Chroniques : Poésie

Nepveu, Gervais, Hébert[Notice]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

Ma chronique porte sur un livre de critique et deux recueils de poèmes qui sont tous trois des oeuvres de maturité, oeuvres différentes sans doute dans leur esprit (l’inspiration quasi mystique d’un Guy Gervais est fort éloignée de la fantaisie d’un François Hébert), mais où s’exprime la pensée d’une vie. Quand il m’arrive d’écrire sur Pierre Nepveu, je suis toujours guetté par le dithyrambe. La chose est d’autant plus plaisante que mon ami et collègue (ou ex-collègue, par l’effet de la retraite !) est d’une grande modestie, assez barbouillée de timidité, et qu’il n’en a sans doute rien à cirer, des compliments. Eh bien, il devra subir quand même mon enthousiasme à la lecture de La poésie immédiate. Ce recueil réunit des chroniques parues entre 1985 et 2005  dans la revue Spirale qu’il a lui-même codirigée pendant quelques années. Un premier bloc regroupe des textes sur les recueils québécois publiés au cours de la première décennie, de Denis Vanier à Normand de Bellefeuille ; le deuxième fait une incursion dans le vaste domaine de la poésie « étrangère », du Français Jacques Roubaud à l’anglophone montréalais Abraham Moses Klein en passant par des anthologies suédoises et allemandes, et le dernier fait retour aux textes québécois (francophones), cette fois plus récents , de Rachel Leclerc à Marie Uguay. Le contenu n’est donc pas une pure et simple séquence chronologique de pages critiques, il comporte une part d’organisation qui fait de ce livre une sorte d’essai ou d’étude, une composition. Son titre nous indique que ce qui est donné à comprendre, à travers ces analyses brèves mais non pour autant dénuées d’ambition, c’est l’immédiat du texte quand celui-ci s’offre en première lecture, à un lecteur ou un critique en quelque sorte non prévenu ; sans préjugé en tout cas, et parfaitement disponible devant le texte neuf. Les risques de se tromper sont grands, pour le chroniqueur qui veut dégager l’orientation d’un ouvrage poétique ou porter sur lui un jugement — surtout quand le texte prétend échapper au sens (aller « au-delà du sens », écrit François Charron, cité p. 60), créer de nouvelles avenues signifiantes. Ce fut souvent le cas des auteurs auxquels s’est intéressé Nepveu, en particulier ceux de la Nouvelle Barre du Jour et des Herbes rouges, post-formalistes de la même génération que lui. L’expérimentation littéraire (ou textuelle) était à l’honneur, avec ses risques bien réels de dérapage, mais aussi ses inventions nonpareilles, autant dans l’ordre formel que dans celui de la substance — cette vérité humaine/poétique qui régit notre conscience du monde. Ce qui séduit le plus chez Pierre Nepveu critique, c’est sans doute la réunion à parts égales des facultés de comprendre et de juger. Ces opérations, le plus souvent déclarées incompatibles par les partisans de l’ancienne « nouvelle critique », sont chez lui conjointes et portées très haut, de sorte que le relevé des défauts, qui suppose un courage certain en notre ère postmoderne prétendument affranchie des autorités, permet une meilleure appréciation des qualités mêmes, ou plus précisément des coups de force de l’oeuvre soudain ajustée à ses finalités supérieures. Les défauts ne sont d’ailleurs pas toujours des défauts, ils peuvent n’en être que l’apparence, tel ce « mal-écrire » de Carole Massé qui « relève d’un excès d’intensité, d’un vouloir-dire insensé, violent, à la limite de l’insoutenable » (47). Georges-André Vachon, qui fut notre collègue à Nepveu et moi, soutenait que le grand écrivain est celui qui écrit mal (Proust par exemple, ou Saint-Simon) car il brasse, refond, chambarde la langue pour lui faire dire ce qui n’a jamais été dit. Mais il n’y a …

Parties annexes