Dossier

Dany Laferrière : la traversée du continent intérieur[Notice]

  • Jean Morency et
  • Jimmy Thibeault

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  • Jean Morency
    Université de Moncton

  • Jimmy Thibeault
    Université de Moncton

Depuis 1985, Dany Laferrière a publié dix-huit livres — surtout des romans, mais aussi des essais et des livres pour la jeunesse — qui ont été traduits en plusieurs langues. En plus d’avoir mené une carrière littéraire prolifique, marquée par l’obtention de nombreux prix, il a également touché au cinéma en contribuant à la scénarisation de quelques-uns de ses livres et en réalisant, en 2005, un film qui s’inscrit dans la continuité de son oeuvre romanesque (Comment conquérir l’Amérique en une nuit, primé au Festival des films du monde de Montréal). Pourtant, Dany Laferrière a d’abord été perçu comme un personnage public, médiatique, dont les interventions à la télévision, à la radio et dans les journaux se sont caractérisées à la fois par l’humour, la justesse et la profondeur du regard porté sur le monde. Tout se passe comme si, depuis la parution de son premier roman, la figure de l’écrivain s’était effacée derrière celle, plus flamboyante, du chroniqueur. On constate aussi que, pour parler de l’écrivain, les médias ont essentiellement recouru, du moins jusqu’à tout récemment, à l’image de l’auteur provocateur suscitée par la parution de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer ou à celle de l’auteur haïtien qui, dans L’odeur du café, raconte avec nostalgie son enfance à Petit-Goâve. Deux images figées d’un écrivain qui, ironiquement, a consacré une partie de son travail à briser les lieux communs de l’imaginaire collectif. En fait, Dany Laferrière semble surtout se définir, ainsi qu’il le souligne lui-même avec beaucoup d’humour dans ses romans, particulièrement dans Cette grenade dans la main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit ? et dans Je suis un écrivain japonais, comme un grand titreur, c’est-à-dire un auteur dont la force d’évocation des titres et l’image médiatique suffisent à créer chez le lecteur l’illusion de saisir l’essentiel du personnage et de l’oeuvre. Cette réception de l’oeuvre tend cependant à changer depuis l’attribution, en 2009 et 2010, de nombreux prix pour son roman L’énigme du retour — dont le prix Médicis, le Grand Prix du livre de Montréal, le Prix des libraires — sans compter la nomination de l’écrivain au rang de personnalité de l’année 2009 par La Presse/Radio-Canada et l’attribution du Grand Prix littéraire international du festival Metropolis bleu de Montréal à l’ensemble de son oeuvre. Le public découvre donc Dany Laferrière, l’écrivain, qui d’une certaine manière, transcende le personnage médiatique et le titreur. Si l’image populaire de l’auteur provient surtout du retentissement de quelques titres et d’interventions ponctuelles dans les médias, il ne faut pas croire que les romans qui ont suivi Comment faire l’amour… sont passés inaperçus auprès de la critique universitaire. Bien que l’oeuvre de Dany Laferrière n’ait pas fait, à ce jour, l’objet d’un ouvrage collectif ou d’un dossier dans une revue universitaire, elle est étudiée non seulement au Québec, mais aussi en Amérique et en Europe. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la première étude d’envergure portant sur l’ensemble de l’oeuvre romanesque de l’auteur nous vient d’Autriche  et qu’un bon nombre d’articles traitant de ses romans sont rédigés dans une autre langue que le français, surtout en anglais. Ainsi, plusieurs chercheurs, du Québec et d’ailleurs, ont souligné l’intérêt que présentent les romans de Laferrière, notamment pour la réflexion, très actuelle, sur les rapports à l’espace dans le contexte de migration, d’ouverture à l’autre et d’hybridation qu’impliquent des frontières culturelles de plus en plus poreuses. Chez Laferrière, il y a effectivement une reconfiguration de l’espace identitaire qui passe principalement par une « mise à nu » des stéréotypes, par le refus des …

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