ChroniquesPoésie

L’inconscient ou non[Notice]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

Voici deux choix de poèmes, dans des collections de poche réputées, qui coiffent l’un et l’autre une cinquantaine d’années de production. Le premier de ces poètes est l’auteur d’une oeuvre à la fois très sensible, charnelle, et pourtant écrite dans les marges de la mystique. L’autre a, sa vie durant, porté le flambeau narquois de l’enfant terrible et revendiqué le droit à la folie. Deux poésies aux antipodes. En l’an 2000 Fernand Ouellette faisait paraître, dans la prestigieuse collection « du Nénuphar », un Choix de poèmes  qui couvrait toute sa production antérieure. Le même choix, augmenté d’une quarantaine de textes de Présence du large paru en 2008, est maintenant réédité dans une toilette fort attrayante dans TYPO, sous le titre de Sillage de l’ailleurs . La préface y est également reprise. Que Georges Leroux, philosophe, introduise le lecteur aux richesses du poème n’a rien d’un hasard puisque l’oeuvre poétique de Fernand Ouellette trouve sans doute sa meilleure conversion possible dans le langage de l’ontologie — pour autant que l’ontologie soit imprégnée des vérités du monde concret. Un deuxième tome devrait couvrir la production récente (de 2005 à nos jours), qu’on peut qualifier de prodigieuse tant pour son abondance que pour sa qualité. Pour l’instant, saisissons l’occasion de revenir sur l’essentiel des cinquante premières années. Voilà donc une poésie qui pense, et qui se pense : Le sujet, « les mots », est bel et bien chose abstraite, objet pour la réflexion puisqu’ils sont l’outil même par lequel la pensée accède à l’expression (de même que la poésie). Mais c’est l’image, aux confins du mot, des choses et de l’esprit, qui rend possible la réflexion. C’est elle qui fait des mots, noirs sur blancs, l’équivalent du tain, ce ténébreux silence qui confère au miroir sa vertu réfléchissante, change la nuit en jour. Les mots n’ouvrent l’espace du réel, des germinations et des naissances qu’en acceptant de se refuser à leur propre mort et d’errer, de sillonner le champ des lumières et, pour cela, de quitter le silence auquel ils se mesurent d’abord. Ils doivent quitter les morts dont notre existence est faite, pour nous ouvrir les « larges aires » de la vie. Fernand Ouellette nous convie à tout moment, dans son oeuvre poétique, à des exercices de méditation extrêmement variés, souvent ardus et qui, chaque fois, reprennent sous un nouvel angle le mystère inépuisable de la relation au monde, à la femme, à la chair, à l’oeuvre d’art (musique, peinture, chefs-d’oeuvre littéraires), au père mort, aux êtres spirituels que sont les anges ou le Christ, ou Dieu. L’image est toujours la voie d’accès à l’interrogation, sans qu’elle soit jamais répétitive. On dirait que le poète puise dans son inconscient une diversité d’éléments propres à dérouter les pensées convenues et à actualiser une seule et grande démarche de l’esprit, ce qui fait de lui tout le contraire d’un esprit dogmatique, malgré sa foi inébranlable. Une telle démarche ne va pas sans risque, bien entendu, car les mille et une postures de l’inspiration peuvent s’écarter dangereusement du discours recevable. Je pense à un poème, « Et nous aimions », paru d’abord dans la revue Liberté puis repris avec des retouches dans Le soleil sous la mort. Le début se lit ainsi : « On déposait la lune dans un bocal de décence . » C’est devenu plus tard : « On déposait la lune dans un passé de décence. » (51) J’avoue que l’opération infligée à l’astre des nuits m’a toujours semblé quelque peu surprenante, avec la conjugaison des dimensions cosmique et domestique (« bocal »), sans qu’on sût …

Parties annexes