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Un témoin dérangeant. À propos de Pierre Vadeboncoeur[Notice]

  • Stéphane Inkel

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  • Stéphane Inkel
    Université Queen’s

Prenant prétexte d’une lecture de ses Essais sur la croyance et l’incroyance par Étienne Beaulieu dans les cahiers Contre-jour , Pierre Vadeboncoeur y va, dans La clef de voûte , d’une réflexion sur le genre de l’essai, qu’il pratique depuis plus d’un demi-siècle, genre littéraire particulier en ceci que son matériau premier est fait d’idées, ce qui l’inscrit dans le registre de l’opinable. Rappelant l’essai à sa nature d’écrits et au style qu’il présuppose, Vadeboncoeur avance le paradoxe suivant pour définir son travail : « Même si je discute, je ne discute pas… » (CV, 152) Je laisse aux spécialistes du genre le soin de commenter, et au besoin de contester, les implications d’une telle définition de l’essai. Par contre, les conséquences d’une telle définition pour la critique devraient ici nous intéresser, elle qui se voit confinée par Vadeboncoeur à une mesure d’accompagnement de l’oeuvre d’art, à sa mise en valeur et à son accueil plutôt qu’à sa réfutation, voire même à sa discussion (CV, 153-154). Cette chronique ne porte pas sur l’oeuvre de Vadeboncoeur, mais sur deux monographies qui viennent de lui être consacrées : Un moderne à rebours  de Jonathan Livernois et D’un royaume à l’autre  de Réjean Beaudoin. Il s’agit par conséquent d’une critique au deuxième degré. À ce titre, et en cherchant à faire écho à la fonction qui lui est prêtée par Vadeboncoeur, j’aimerais, pour débuter, non pas définir la critique, mais poser une première pierre en ce sens qui puisse nous permettre d’appréhender ces deux ouvrages et d’en mesurer la finalité. En ce qui concerne les monographies, il s’agirait de soutenir que la critique ne consiste pas tant à accueillir les oeuvres dans son propre discours qu’à tisser leur parole respective afin de les inscrire (ou de les réinscrire) sur la scène de la délibération de l’espace public, et de faire en sorte que celui-ci s’en trouve visé. De ce point de vue, les deux ouvrages dont il sera ici question représentent les pôles opposés de cette tension discursive, l’un toujours enclin à retrouver sous les idées de Vadeboncoeur, y compris les dernières, les échos des discours ayant circulé dans la société contemporaine de ses années de formation, alors que l’autre, celui de Beaudoin, s’approprie la parole, inactuelle, de l’essayiste pour mieux la donner à entendre en fonction des enjeux d’aujourd’hui. Qualifié, en sous-titre, de « biographie intellectuelle et artistique de Pierre Vadeboncoeur », Un moderne à rebours constitue en fait une relecture de l’ensemble de l’oeuvre de l’essayiste, incluant quelques textes des années 1940 publiés dans Le Quartier latin et L’Action nationale, en fonction de l’histoire des idées dans laquelle cette oeuvre s’est inscrite. Le livre se divise ainsi en trois grandes thématiques — le rapport de Vadeboncoeur à l’histoire universelle ; celui qu’il entretient avec le passé canadien-français ; et l’art et l’enfance dans ses essais — qui structurent autant de chapitres de façon semblable : survol sociohistorique et revue des idées dominantes pertinentes à chacune de ces thématiques au cours des années de formation de l’essayiste, suivi d’une lecture chronologique des essais opportuns. Le procédé, pour être efficace et rigoureux, finit par donner une impression de redite à laquelle un surcroît de concision aurait pu remédier. Cette première réserve n’est pas que cosmétique. Car cette impression de redite, c’est aussi la thèse principale de l’ouvrage et le traitement qu’elle nécessite qui en sont responsables. Voyons plutôt. Si l’on peut parler de « relecture », c’est que cette thèse se veut surtout une rectification de la lecture critique dominante. Celle-ci, en effet, a souvent souligné la …

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