Dossier

Voix de femmes des années 1930[Notice]

  • Lori Saint-Martin

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  • Lori Saint-Martin
    Université du Québec à Montréal

Idée reçue tenace, à propos de la littérature québécoise : entre Angéline de Montbrun (1881-1882 en feuilleton) et le doublé Bonheur d’occasion-Le Survenant en 1945, ce serait le calme plat, voire le trou noir, du côté de l’écriture des femmes. Qui, aujourd’hui, en dehors d’une petite poignée de spécialistes, peut nommer des femmes ayant publié entre ces deux moments ? Pourtant, les années 1920 en poésie et les années 1930 pour le roman ont vu émerger de nombreuses nouvelles voix de femmes qui, après une première réception parfois enthousiaste, parfois assassine, ont vite sombré dans le silence et l’oubli. C’est du désir de révéler un pan peu connu de notre histoire littéraire et de faire résonner ces voix de femmes qu’est né le présent dossier de Voix et Images. Au-delà des angoisses et des incertitudes de tout aspirant écrivain devant la page blanche s’ajoutent, pour les femmes, des inquiétudes particulières. Vivre pour soi — pour s’exprimer, mener une carrière ou se faire un nom — ou pour se dévouer aux autres (son mari, ses enfants) ? À cette époque, pour les femmes d’ici, seule la seconde option est socialement recevable. En 1919, monsieur Louis-Adolphe Paquet qualifie le féminisme de « mouvement pervers », d’« ambition fallacieuse [qui] entraîne hors de sa voie la plus élégante moitié de notre espèce, et menace les bases mêmes de la famille et de la société  ». Une quinzaine d’années plus tard, en 1933, rien n’a changé au pays de Québec, puisque l’écrivain, éditeur et critique Albert Pelletier s’adresse ainsi à la femme de lettres Michelle Le Normand : « Chère madame, ne tenez donc pas à mon estime “comme écrivain” : je vous assure que je vous estime cent fois plus dans l’intimité de vos lettres et mille fois plus dans votre besogne quotidienne de vraie femme . » Entre flatteries et subtil rappel à l’ordre (quelle étrange façon de s’adresser à une romancière !) se dessine une hiérarchie bien calculée : l’espace public (« comme écrivain ») convient cent fois moins à une femme que le cercle restreint de ses proches (« l’intimité de vos lettres ») et mille fois moins que son foyer (la « besogne quotidienne »). La femme artiste serait donc une « fausse femme » égarée par une chimère, une créature à la fois pitoyable et suspecte. Se crée ainsi, entre les aspirations personnelles et les attentes sociales, une tension vive, douloureuse, qui fragilise l’identité tant publique qu’intime et fait de la créatrice un être profondément divisé. Bon nombre de textes étudiés dans le cadre du présent dossier témoignent de ces déchirements et de ces tensions, dont on mesure mal, aujourd’hui, les effets délétères sur le sentiment de légitimité, la disponibilité mentale et l’énergie créatrice. Mais il serait malhonnête de laisser entendre que les écrits des femmes n’ont rencontré que mépris et opprobre. Au contraire, la littérature d’ici était trop jeune durant les années qui nous intéressent, et son existence trop précaire, pour qu’on puisse se permettre de bouder les talents de la moitié de l’espèce, fût-elle ou non « la plus élégante ». Un encart promotionnel pour Comme l’oiseau, recueil de poèmes de Jovette-Alice Bernier paru en 1926, reproduit un concert d’éloges de plumes tant masculines que féminines. Certes, on y trouve des remarques un brin condescendantes comme celles de Victor Barbeau (« [c]hez les femmes, j’en connais peu de plus richement douées ») ou d’Olivar Asselin (« un talent naturel très remarquable chez une Canadienne »), mais Louis Francoeur l’inclut au « nombre des vrais poètes », le Dr Choquette dans La Presse la …

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