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Sept incipit des années 1930[Notice]

  • Lori Saint-Martin

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  • Préparé par
    Lori Saint-Martin
    Université du Québec à Montréal

Ils ne circulent plus, ces romans, et plus personne ne connaît le son de ces voix. Comment étaient-elles, que disaient-elles ? Voici sept débuts, choisis en fonction d’un critère bien subjectif, le plaisir de lecture qu’ils procurent, qui illustrent le travail de quelques femmes étudiées dans le présent numéro (Éva Senécal, Jovette-Alice Bernier, Michelle Le Normand, Laure Berthiaume-Denault) et de certaines de leurs contemporaines. Parfois accomplis, parfois maladroits, ces romans présentent, dès leurs premières lignes, au moins une vie de jeune femme en devenir, une jeune femme ardente, ouverte, curieuse devant la vie et les êtres, et souvent sur le point de vivre une aventure qui lui révélera sa vraie nature ou celle du monde qui l’entoure. La promenade dans une nature qui reflète et révèle les sentiments intimes, l’amitié entre femmes, la culture (peinture, théâtre, voyages…) sont des motifs récurrents. On notera aussi l’ambiance joyeuse des milieux bourgeois — théâtres, hôtels, lieux de villégiature —, les évocations sensuelles, la présence de figures « exotiques » (l’Américain, le « Sauvage »), la recherche constante de contrastes : entre des amies, entre un mari ou un fiancé terne et un amoureux aux charmes multiples, entre une jeune femme et une épouse ou une grand-mère résignée. Malgré les yeux qui surveillent, les héroïnes romanesques affichent leur liberté de pensée et de mouvement. Aujourd’hui oubliés, ces romans méritaient pourtant mieux. D’un pas lent, la jeune femme quitta sa retraite et revint vers la maison, à demi cachée dans les ombres de la nuit venue. Toujours le même tableau. Les deux mêmes êtres se trouvaient toujours aux mêmes places. Immobiles dans de larges fauteuils de cuir brun, éclairés à peine par un reflet de la lampe que voilait l’abat-jour, ils ressemblaient à deux sphinx. Mais que lui importait ce soir ! Elle en avait déjà trop du spectacle des êtres et des choses. Elle ressentait le besoin de voir en elle, de ne voir qu’elle. Entrée sans bruit, elle gravissait déjà l’escalier pour se rendre à sa chambre quand le vieillard, de son fauteuil, l’arrêta : — Il vient d’arriver une lettre pour toi, Camille, dit-il. Du geste, il lui désignait une enveloppe blanche posée sur le bord de la fenêtre. Elle la prit, regarda le timbre. Rouyn. Rien de nouveau. Elle en recevait ainsi chaque semaine et toutes disaient la même chose. Comme il savait mal les écrire, ces lettres qu’elle eût voulues autrement, plus simples, avec moins de phrases toutes faites où elle cherchait en vain son âme qui ne devait pourtant pas être comme les autres. Que n’essayait-il, avec des mots enthousiastes, évocateurs, de l’attacher un peu aux mille détails de sa vie, à ces paysages lointains qui seraient un jour « leurs » paysages ! Que ne savait-il la charmer avec des notes accordées aux résonnances du coeur, palpitantes de rêves épars, des riens de chaque jour magnifiés par sa tendresse. Mais non. Il ne savait pas. Il vivait loin d’elle et s’en éloignait un peu plus par chacune de ses lettres. Elle se reprit tout à coup, sentant qu’on l’observait. Et l’on ferait encore des reproches, on parlerait de son indifférence. C’était aussi dans le programme de ses journées. Elle s’y habituerait peut-être. — Quel est cet étranger avec qui je t’ai vue revenir du lac ? demanda tout à coup sa grand’mère. Ce que je fais ici ? je regarde, tout le jour, si tu viens ; je m’inquiète quand le soir arrive tout seul. Pour te sourire avant lui, je me lève avant le soleil ; je passe mes journées sur la grève ; je bois tout …

Parties annexes