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Conserver le présent, parcourir l’imaginaire[Notice]

  • Stéphane Inkel

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  • Stéphane Inkel
    Université Queen’s

En 1985, un programmeur et cinéaste, Alain Bergeron, un philosophe s’intéressant au langage et aux flux de l’information, Philippe Côté, et un artiste fasciné par la propagande, Jean Joseph Rolland Dubé, forment un collectif d’artistes qui produira une oeuvre paradoxale, tournée vers la critique des institutions, en particulier muséales, et dont l’archivage frénétique qui en forme le principe s’appuie sur une pratique tous azimuts de la dissémination. Ayant appris que l’un de ses membres, Philippe Côté, était sur le point de s’éteindre, l’agence TOPO a fait appel à des proches du collectif, de même qu’à des critiques et à des spécialistes de l’art contemporain afin de consacrer un ouvrage  à .(La Société de conservation du présent). Structuré de manière élégante et rigoureuse, le livre épouse les trois principes énoncés par le manifeste minimaliste du collectif en consacrant une partie au « principe d’archive », une autre à « l’art de la promesse » et au « désoeuvrement », en plus d’ajouter une riche dernière partie sur l’utilisation souvent novatrice et décalée des « nouveaux médias » par la .(SCP). Une iconographie abondante au graphisme impeccable ponctue l’ouvrage avec à-propos, chaque page recevant ne serait-ce que l’un des nombreux pictogrammes créés par la .(SCP) ou l’un de ses apophtegmes plus ou moins ludiques servant à définir son esthétique . Une section iconographique rassemble également plus de soixante-quinze cartes, recto-verso, produites par la .(SCP), ces petites cartes de poche de plastique contenant un collage de matériaux variés — souvent tirés de divers périodiques —, dûment « archivées » par la folioteuse et au moyen desquelles la .(SCP) « archivait » le présent, tout en disséminant sa production. Il est d’usage de voir dans le tournant des années 1970 à 1980 un changement de paradigme important, aussi bien en littérature que dans les sciences humaines et les arts en général. La fin — ou le durcissement, mais c’est là une autre histoire — d’un certain militantisme politique va de pair, on le sait, avec la perte de sens de certaines idéologies ayant façonné le siècle, ce dont le « rapport sur le savoir » commandé par le gouvernement du Québec et produit par Jean-François Lyotard en 1979 a rendu compte . Or, au-delà du contenu de ces idéologies, c’est également un changement des modalités du temps vécu qui est en jeu dans la crise affectant la modernité qui s’amorce alors. La .(Société de conservation du présent), comme son nom l’indique, est symptomatique de la modification qui affecte ce que l’historien François Hartog appelle un « régime d’historicité  ». Car que signifie conserver le présent ? L’archiver de manière compulsive, comme le collectif s’y adonnera pendant dix ans par des moyens divers ? André-Louis Paré, dans une très intéressante contribution consacrée au deuxième principe mis de l’avant par le collectif, remarque que « [l]’art de la promesse ne peut avoir lieu sans cette intuition d’un temps qui se transforme » (119). Mais si, comme le soutient également Sonia Pelletier, l’action de la .(SCP) a surtout porté sur le temps, elle s’est aussi attardée aux modalités esthétiques et technologiques d’une postmodernité alors au faîte de sa gloire dans les sphères savantes et artistiques. Deux pratiques rendent compte avec acuité de la dissémination mise de l’avant par la .(SCP) : l’usage compulsif de la folioteuse, cet outil servant à numéroter les archives, et la distribution à tout vent des fruits de la cartographie, pratiques s’appuyant sur deux appareils « technologiques » archaïques, aux antipodes de leurs innovations subséquentes à partir des technologies numériques mais qui témoignent toutes deux du « désoeuvrement » consubstantiel à leur …

Parties annexes