Dossier

Poètes et poésies en voix au Québec (XXe-XXIe siècles)[Notice]

  • Pascal Brissette et
  • Will Straw

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  • Pascal Brissette
    Université McGill

  • Will Straw
    Université McGill

S’il est vrai, comme le soutient Gilles Marcotte dans un essai bien connu, que le rêve d’une littérature canadienne a précédé l’arrivée d’oeuvres capables de lui donner un semblant de réalité, et qu’on trouve plus de « courants d’air » que de monuments en nos contrées littéraires, on doit ajouter que cet air a longtemps porté, outre la voix des tribuns, des avocats, des prêtres et des orateurs de rue, celle des chansonniers et des poètes. Dans ses langes, la poésie canadienne est médiatique ou vocale ; elle a pour support le journal ou la voix. Dans le premier cas, elle partage l’espace de la page avec la chronique, l’entrefilet, le fait divers, la nouvelle, le roman-feuilleton ; dans le second, elle s’énonce dans le brouhaha de la cité, au coin des rues et dans les théâtres, dans les mansardes et les cafés, et le dispute aux débats de l’Assemblée, aux harangues, aux sermons, aux éloges, à toutes les déclinaisons de la parole vive qui remplissaient l’environnement sonore des hommes et des femmes du xixe siècle. Lorsqu’on considère cette situation à travers le prisme de la théorie du champ littéraire, on est amené à y voir un manque ou une faiblesse : la littérature canadienne du xixe siècle est peu autonome, le système éditorial est faible ; les instances critiques, à peu près inexistantes. Ce regard sociologique coïncide, comme on le sait, avec le point de vue terre à terre et un brin cynique d’Octave Crémazie, qu’il exprime dans ses lettres à l’abbé Casgrain : parlant français et l’écrivant assez mal dans une société fort peu intéressée par la chose littéraire, l’écrivain canadien serait condamné à produire une littérature de consommation locale, sans valeur sur le marché du livre français. Il serait ainsi forcé d’être un éternel amateur pour des lecteurs sans véritable connaissance de la vraie littérature. Ce jugement n’est pas faux, et les lettres de Crémazie à Casgrain restent certainement une excellente introduction à la littérature canadienne du xixe siècle, mais comme tous les jugements éclairants, ce dernier a ses angles morts et repose sur quelques prémisses qu’on a longtemps tenues pour des évidences : que la littérature, sortie de ses langes, doit aboutir au livre, qu’il n’est d’oeuvre valable qu’écrite et faite pour la lecture silencieuse et solitaire, que la modernité advient avec ce que Mallarmé appelait la « disparition élocutoire » de la poésie, une poésie libérée du corps de l’auteur, du bruit de sa voix et des circonstances de sa production. Les études littéraires sont nées de ces certitudes, et même si de grands critiques comme Paul Zumthor et Roger Chartier ont signalé l’importance des supports non canoniques de la littérature dans l’histoire littéraire, la critique universitaire continue de véhiculer cette idée que l’oeuvre, en littérature, est individuelle, écrite, imprimée et publiée sous la forme d’un livre. Or, de même que l’étude de la presse comme matrice littéraire a ouvert un nouveau continent à la recherche, celle de l’inscription de la littérature dans la cité, hors l’imprimé, appelle de nouveaux travaux. En proposant quelques études ciblées sur la poésie en voix au Québec, le présent dossier voudrait offrir une contribution à cette histoire encore à écrire. Il participe en cela de récentes initiatives de recherche, en France et au Québec, qui ont affirmé l’importance de la médiation orale de la poésie. On pense par exemple aux thèses récentes de Céline Pardo sur la poésie dans les émissions de télévision françaises des années 1945-1960 et de Camille Vorger sur la poésie slam, mais également à des ouvrages collectifs comme …

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