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Des provinciaux et des procrastinateurs[Notice]

  • Krzysztof Jarosz

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  • Krzysztof Jarosz
    Université de Silésie

Ma lecture du livre de Jonathan Livernois Remettre à demain. Essai sur la permanence tranquille au Québec commence par une surprise. En évoquant le printemps érable de 2012, Livernois place, pour ainsi dire, en exergue du premier chapitre de son essai, un graffiti commémorant la réaction des manifestants face aux assauts de la police : « Duplessis reviens ! T’as oublié tes chiens ! » Et Livernois de poursuivre en disant que « les manifestations et la grogne populaire du printemps 2012 ont été marquées par une volonté, surprenante, de s’approprier le passé et ses symboles » (14) : par exemple, entre autres, un portrait d’André Laurendeau, des fragments de poèmes de Gaston Miron, etc. Ce qui étonne, c’est que cette analogie ait été perçue par des jeunes, en dépit de ce qu’on diagnostique parfois comme une rupture de continuité intergénérationnelle, que certains, dans mon pays du moins, comparent à une coupure de continuité civilisationnelle, puisque la majorité des références culturelles de la génération des quinquagénaires ou sexagénaires polonais d’aujourd’hui diffèrent sensiblement de celles dans lesquelles se reconnaissent leurs enfants adultes. C’est donc finalement un bon signe que les jeunes Québécois manifestent (c’est le cas de le dire !) une telle connaissance de l’histoire de leur pays. Il est aussi somme toute réconfortant qu’à notre époque d’individualisme débridé — et parfois carrément paroxystique ! — on soit encore capable de réagir en fonction d’un instinct grégaire, un peu trop injustement décrié. Cependant, l’évocation de la révolte estudiantine de 2012 n’est que l’introduction à la matière de l’essai dont l’argument n’est pas tout à fait inédit : Livernois aborde la question de ce qu’il appelle, d’après Pierre Vadeboncoeur, « la permanence tranquille » : l’« impression d’être un peuple de tout repos et de toute éternité, [u]n peuple qui flotte sur l’Histoire et qui n’a pas besoin de se presser pour devenir ce qu’il est » (19). En d’autres termes, les Québécois sont (croient être) un peuple dont la pérennité est assurée quoi qu’il arrive, conviction qui — curieusement — coïncide avec des jérémiades qui prédisent la « louisianisation » du Québec. Ce sentiment de « fausse éternité » (21) fait que les Canadiens, les Canadiens français et les Québécois (donc les successifs avatars historiques d’un même peuple) s’arrêtent juste avant de faire le pas décisif qui ferait d’eux une nation souveraine et libre. D’où vient cette tendance à la procrastination ? Faut-il la chercher déjà dans le caractère provisoire des premières installations des colons français ayant échoué sur les berges du Saint-Laurent, et été constamment menacés d’anéantissement par les forces naturelles et hostiles, comme semble l’évoquer la phrase de Mère Catherine de Saint-Augustin, citée en exergue de l’essai : « Nous ne nous pressons pas pour achever le reste de nos bâtiments, à cause de l’incertitude où nous sommes si nous demeurerons longtemps ici… » ? Toujours est-il que ce sont les événements ultérieurs qui ont formé ainsi les Québécois en gens qui se contentent du provisoire, à commencer par la Cession qui les a laissés pratiquement sans élites et sans le sentiment (vrai ou faux, n’importe) d’être protégés par leur lointain monarque, livrés à la bonne ou à la mauvaise volonté des occupants professant une autre religion et parlant une autre langue. Le repli autour du familier immédiat, c’est-à-dire l’esprit du clocher, est la réaction la plus naturelle. Chaque fois qu’ils sont obligés de sortir de l’intimité rassurante de leur paroisse, ils se voient économiquement et socialement subordonnés aux contremaîtres allophones, détenteurs du pouvoir et d’un savoir-faire exprimés dans une langue de prime abord incompréhensible qui finit par parasiter …

Parties annexes