ChroniquesFéminismes

(Re)prendre racine ?[Notice]

  • Lucie Joubert

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  • Lucie Joubert
    Université d’Ottawa

Plusieurs événements au Québec et ailleurs ont récemment donné lieu à l’expression d’un ras-le-bol des jeunes femmes et ont remis à l’ordre du jour d’importants enjeux féministes. La violence des échanges et de certains gestes, la radicalisation de la pensée et la multiplication des tribunes donnent à croire que le féminisme, dans l’ensemble, se fait plus virulent. S’il est plus audible, plus perceptible — et on ne va pas s’en plaindre —, il renoue en fait avec les revendications de trois pionnières (dont deux nous ont quittés) auxquelles les Éditions du remue-ménage consacrent autant d’ouvrages : De l’invisible au visible. L’imaginaire de Jovette Marchessault, de Roseanna Dufault et Celita Lamar ; Qui est Hélène Pedneault ? Fragments d’une femme entière, de Sylvie Dupont et ses soixante-huit témoins ; Nicole Brossard. L’inédit des sens, de Roseanna Dufault et Janine Ricouart. Je l’ai déjà dit dans ces pages mêmes, mais je le répéterai puisque deux de ces collectifs confirment la tendance : les féministes (littéraires) québécoises de la première heure intéressent beaucoup plus les Canadiennes anglaises et les Américaines que les critiques de ce côté-ci des frontières pour des raisons qui restent à éclaicir (dont, peut-être, le défi que posent ces oeuvres à la langue, sur lequel je reviendrai). Il reste que ces trois ouvrages incitent à retourner aux sources de parcours féministes déterminants dans l’exercice de la prise de parole. C’est ainsi que l’on renouera avec les textes fondateurs, telluriques, de Jovette Marchessault dans un amalgame de chapitres qui participent de l’analyse universitaire autant que du témoignage. C’est une spécialité de Dufault et de Ricouart que de convoquer ainsi une diversité des formes textuelles. L’exercice n’est pas sans risque — certains témoignages n’étant d’aucune utilité pour la recherche — mais prouve sa nécessité, justement parce qu’il permet d’élargir le prisme des lectures que l’on peut faire de Marchessault. Il est difficile de faire le tour d’une oeuvre aussi complexe, mais Louise Forsyth, avec « Jovette Marchessault dramaturge : vers une théâtralité du féminin », parvient à brosser un tableau convaincant et à résumer efficacement le mandat que s’est donné l’auteure, du moins dans son travail scénique : « toute l’oeuvre de Marchessault véhicule un refus des normes du réalisme dans un grand projet artistique visant à changer les habitudes et les structures mentales » (187). À ce désir de bouleversement en profondeur se greffe le leitmotiv du déplacement, comme l’explique Claudine Potvin au sujet de la pièce Le voyage magnifique d’Emily Carr : « Le motif du voyage au centre de la pièce confère à l’écriture une forme de nomadisme au sens où l’entend Rosi Braidotti, une subjectivité féministe sur le mode nomadique, une forme de devenir créative, une conscience qui résiste aux normes socialement codées, un état de transformation. » (260) On saluera la réserve exprimée par S. Pascale Vergereau-Dewey dans « Passé recomposé, matriarcat jouissif et “filiation” chez Jovette Marchessault », qui, dans un des textes les plus originaux de ce collectif, pose différemment la question « de la figure idéalisée de la grand-mère qui triomphe de la mère biologique masochiste » (127). « L’on se demande, poursuit-elle, avec Monique Dumont, si cette Grande Déesse Mère ne nous ramène pas à une nouvelle déification de la féminité qui revient à la Vierge Marie, le mythe se révélant réducteur. » (150) Non, semble-t-il, puisque « Marchessault rend aux femmes un corps érotique, parle d’une mère orgasmique et vise à déloger la femme du piédestal symbolique catholique si puissant au Québec qu’il a contaminé l’imaginaire national. » (150) En outre, le collectif rapatrie des textes déjà publiés ou traduits …

Parties annexes