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Ça fait longtemps que c’est comme ça[Notice]

  • Jonathan Livernois

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  • Jonathan Livernois
    Université Laval

Voilà la parution simultanée de deux ouvrages que nous n’aurions pas pensé, évidemment, associer. François Ricard, cheville-ouvrière de la collection « Papiers collés » aux Éditions du Boréal, a eu une excellente idée. Lire d’un seul trait un choix de chroniques et de textes anciens d’André Langevin, décédé il y a six ans, et les essais de Jean Larose, qui n’avait pas publié de recueil depuis 1994, c’est faire un « pas de côté », pour le dire comme Ricard lui-même. Langevin et Larose ont en commun d’être de sévères juges de la Révolution tranquille. Le premier a vite quitté la fête de juin 1960. Le second y a-t-il seulement été convié ? Pendant les années 1980, Jean Larose était considéré comme un essayiste québécois de premier plan. En 1986, dans le magazine L’actualité, Georges-Hébert Germain lui consacrait même un portrait. On y voyait une photo de Larose en jeune intellectuel, veste de cuir, dans un décor aux allures postindustrielles. On le retrouvait aussi à la télévision, clouant solidement le bec de la bande des six, en direct du défunt Lux et sur les ondes de la défunte Radio-Canada. Il me semble qu’il y avait, sur ce plateau, un futur académicien, mais je peux me tromper. De manière moins anecdotique, on se souviendra également de son débat avec Jacques Pelletier, en 1994, tandis que ce dernier le considérait comme un des tenants (avec Ricard, Jacques Godbout et Denise Bombardier) de la « droite culturelle » au Québec. Après avoir publié deux romans au succès mitigé et avoir écrit quelques chroniques dans Le Devoir, il revient s’installer, vingt et un ans après son dernier recueil, La souveraineté rampante (1994), dans son milieu naturel : l’essai. En verve, il publiera même, cet automne, de Nouveaux essais de littérature appliquée, dont le titre associera plus ou moins adroitement le moteur de recherche et la dissidence soviétique : Google goulag. Entre 1994 et aujourd’hui, sur le plan politique, il y a bien eu un référendum, le passage de Lucien Bouchard du statut de sauveur à celui de lucide, l’élection de Jean Charest, le printemps 2012 (dont Larose ne parle pas), la victoire de trois semaines du Parti québécois ainsi que le retour à la normale avec un gouvernement libéral qui gouverne la province comme un centre commercial de troisième ordre. Il y a eu quelques romans, deux ou trois recueils de poésie et cette impression permanente, chez plusieurs dont Larose, qu’il y a une crise et un lent effritement de la culture québécoise. Le décor est planté : Depuis longtemps, Jean Larose traîne un bagage d’élitisme et de mépris pour un Québec jamais à sa hauteur. Plusieurs textes de L’amour du pauvre (1991) font mal à ce sentiment qu’on cachera, presque honteux : le patriotisme. En 1986, quelque temps après qu’il a eu tiré à boulets rouges sur La Barre du jour et La Nouvelle Barre du jour ainsi que sur un dossier de Voix et Images leur étant consacré, on le représente dans cette dernière revue à la manière d’un chevalier avec ses armes et son heaume. Je crois qu’on voulait insister sur l’idée que son combat en était un d’arrière-garde… Si Larose a déclenché et déclenche encore moult émotions négatives que je peux fort bien comprendre, je suis toujours resté un peu mixed feelings, comme on dit à Ogunquit, face à son travail d’intellectuel et d’essayiste. Les raisons sont purement et simplement personnelles : c’est dans son cours sur l’oeuvre de Proust, à l’Université de Montréal, que j’ai compris que ce que je cherchais en histoire ou …

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