ChroniquesPoésie

Poésie impure, poésie/prose, classicisme[Notice]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

Au programme, deux essais sur la poésie et, au milieu, un recueil qualitativement et quantitativement important. L’abbé Henri Bremond, contemporain de Paul Valéry, était un grand amateur de littérature, doublé d’un remarquable critique et d’un théoricien du verbe. Il recherchait dans les oeuvres une dimension idéale que son inclination religieuse jugeait supérieure à tout. Il a donc créé le concept de poésie pure, qu’il appliquait aux réussites d’ordre lyrique. Pour lui, affirme un commentateur récent, il y a quelque « impureté métaphysique » à « enseigner, raconter, peindre, donner le frisson ou tirer des larmes ». C’est là l’effet ou la mission de la prose (animus), et la poésie (anima) doit s’en garder, elle qui est vouée à l’inanalysable, à quelque mystère nodal du texte. C’est contre une telle conception, passablement répandue encore de nos jours, que s’élève Robert Melançon dans son dernier ouvrage. Comme s’il reprenait, en la développant mais pour la contredire, l’énumération citée plus haut, il affirme : « Un poème peut se faire méditation, inventaire, lettre, gémissement, cri de joie, babillage, raisonnement, éloge, vitupération, journal intime, éditorial. » (11) La poésie n’est pas la prose, mais elle ne peut se passer d’elle, car la prose est seule capable de lui faire tremplin pour l’élever jusqu’à la hauteur désirée. Cependant, on aurait tort de penser que Melançon, excellent poète lui-même et critique averti, favorise le laisser-aller de l’inspiration et de l’expression. Il suffit de lire les études qu’il consacre à un Robert Marteau (119-125) ou à un Jacques Réda (127-140) pour constater le culte de la rigueur qui étaie l’admiration qu’il leur voue. La précision métrique notamment, pourtant exercée en contexte de modernité donc de vers libres, fait justement de ces derniers « véritablement des vers, non de la prose en morceaux » (131). Rappelons que Melançon lui-même, dans son admirable Paradis des apparences, équilibre en quelque sorte le réalisme de l’inspiration par la rigueur métrique, alignant cent quarante-quatre (12 × 12) poèmes de douze vers (proches de l’alexandrin — vers de douze pieds). En quoi consiste donc l’impureté salvatrice que l’auteur appelle de ses voeux ? On voit bien qu’elle tient non pas à la forme, qui se veut idéale, mais à un contenu contraire à celui de la poésie romantique, celle qui se veut inspirée et étrangère au quotidien. Robert Melançon me semble ranimer en notre époque ce mouvement qui a récusé le romantisme au profit d’une poésie plus terre à terre, le Parnasse, qu’on peut définir précisément en termes d’impureté (à distinguer, bien entendu, de l’abjection ou de la saleté). Le Parnasse dit l’immédiat, le directement saisissable, non sollicité par quelque rêve infini. Certes, l’évocation du réel peut et doit être singulière. Prenons ce passage de Robert Marteau, cité par Melançon : Certes, l’oiseau poursuivant l’insecte constitue un motif simple et relativement peu inspirant ou inspiré, la quête de nourriture rendant le vol prosaïque ; mais la métrique (ici, trois alexandrins) et la formulation recherchée (voltes, dix degrés, horizon oriental) transforment l’image sur la base même de son « impureté » ou, si l’on veut, de sa banalité. Même chose dans ces vers de Jacques Réda, poète que Melançon met au-dessus de beaucoup d’autres : Voilà une menue scène urbaine centrée sur des êtres animés ou des choses en mouvement tout ordinaires (pigeons, clapotis, balayeur), aux antipodes de la vie affective telle que la peut éprouver le moi. La poésie ici surgit à l’intersection des choses et des mots qui les énoncent avec une parfaite et rare élocution. Le rapprochement se fait sans peine avec les « impures » …

Parties annexes