ChroniquesPoésie

Le cercle de l’absence[Notice]

  • Denise Brassard

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  • Denise Brassard
    Université du Québec à Montréal

Lorsque, en 1996, je me suis mise à travailler sur l’oeuvre de Fernand Ouellette, il n’avait pas publié de poésie depuis Les heures. Il était alors dans ce qu’on peut considérer comme sa période essayistique. En à peine plus d’une décennie, il faisait paraître neuf essais — certains portant sur l’art et la littérature, d’autres sur des questions spirituelles et théologiques — pour un seul livre de poésie. Au cours des dix dernières années, et surtout depuis la parution de L’inoubliable, les choses ont pris un autre tour, et on ne peut que s’en réjouir. Cette somme poétique, presque immédiatement suivie par une autre (L’abrupt), force l’admiration, et le poète depuis n’a cessé de produire. Au moment où j’ai découvert son oeuvre, Ouellette m’interpellait par l’esprit. Partageant son amour des idées, j’ai plongé dans ses livres en acceptant, comme il l’a toujours fait lui-même, d’affronter des questions fondamentales, tel notre rapport au temps et à la mort. Ce faisant, je m’engageais sur une voie où parfois la réflexion devrait le céder à la méditation et au recueillement. Si bien qu’une autre chose s’est peu à peu dévoilée au fil de mes lectures, qui m’apparaît aujourd’hui d’une importance capitale : l’amour, ce sentiment banalisé, dont on n’ose plus guère parler, et sans quoi pourtant il n’est pas de véritable pensée. Mais il ne s’agit pas de n’importe quel amour. Cet amour a son exigence, et elle est de taille. À l’instar de la foi de Ouellette qu’on ne peut, même si on ne la partage pas, que respecter, il doit être porté par l’intelligence. Comme l’écrivait Simone Weil : Or si la mort et le temps y sont omniprésents, c’est sous le signe de l’amour que se présente Avancées vers l’invisible, le plus récent recueil de l’auteur. Il y est question de l’amour divin, vers lequel le poète est en marche, mais aussi — et peut-être surtout — de l’amour humain, celui qu’il éprouve pour son fils disparu, pour sa compagne décédée, à qui sont consacrées les deux dernières suites du livre, aussi bien que pour ses proches, parents et amis, à qui de nombreux poèmes sont dédicacés, comme autant de dons, d’offrandes faites au long du chemin. Pour qui a fréquenté assidûment la poésie de Ouellette, il y a quelque chose d’apaisant, de rassurant à retrouver, à intervalles réguliers, cette voix posée, parfaitement maîtrisée, jamais exubérante, même lorsqu’elle tente de dire l’indicible. On l’investit tranquillement, comme un lieu familier, et l’on se laisse bercer par sa parole amie. Ici comme dans ses derniers opus, le poète reste près de l’essayiste. On y chercherait en vain la densité formelle des premiers recueils. C’est la pensée plutôt que la forme qui est tendue, et cependant jamais la langue ne se relâche (peut-être la forme définitive de l’écrivain est-elle à cheval sur le poème et l’essai ?). Bien qu’il reprenne la plupart des figures symboliques et des polarisations auxquelles le poète nous a habitués, c’est aux confins du connu que son livre nous convie. Il n’y a qu’à songer aux titres des oeuvres récentes pour saisir la nature radicale de la démarche en cours, laquelle s’inscrit résolument dans le temps. Le temps, une préoccupation de toujours pour Ouellette, se présente de manière particulière dans ce livre en ceci que les jours du poète semblent désormais comptés. L’expression est à prendre au pied de la lettre. En effet, depuis L’inoubliable, tous les recueils ont des allures de chronique, comme si à chaque jour suffisait son poème, dont l’une des fonctions serait précisément d’assurer le relais entre les jours. …

Parties annexes