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Tout est parole. Sauf le lion qui vous part avec la jambe[2].

D’Hervé Bouchard, on a reconnu « la puissance de [l]a voix[3] », une « voix à mille lieues de toute imitation[4] », une « voix fondamentalement originale, jusqu’alors in-ouïe en littérature québécoise[5] ». Hervé Bouchard a une voix : c’est le mot juste. Par cette affirmation qui fait consensus, les critiques soulignent à l’évidence que son oeuvre possède un style unique, mais signalent également qu’elle est portée par l’enjeu de la parole. Pour le dire avec Laurance Ouellet Tremblay dans son étude de Bouchard — et c’est d’ailleurs l’argument principal de ce dossier de Voix et Images : « Le phénomène de la parole [est] quelque chose de plus large et de plus complexe que le simple fait de parler à voix haute[6]. » L’oeuvre de Bouchard est l’une de celles qui permettent de prendre la pleine mesure de cet énoncé. Le statut de la parole dans son écriture ne se laisse pas circonscrire facilement ; en témoigne le nécessaire détour par la métaphore qu’emprunte l’auteur lui-même pour tenter d’éclaircir cette question dans un entretien avec Stéphane Inkel :

Je ne me réclame pas d’une oralité qui veut reproduire le parler, la conversation de la rue. En général, je n’aime pas lire les textes en joual, par exemple. Parce que les textes en joual nous obligent à une médiatisation supplémentaire. On est obligés de traduire les mots que l’on voit pour les entendre comme on les aurait entendus s’ils n’avaient pas été écrits. Ça, je veux me défaire de ça. C’est pour ça que j’écris tous les mots la plupart du temps correctement. À moins de vouloir une sonorité particulière. C’est une oralité qui ne veut pas reproduire un parler, mais le flot spontané de la parole. Une parole qui est d’une franchise crue. Cette écriture-là on la comprend comme orale parce qu’on a l’impression qu’y sont dites des choses qui ne se disent pas. Et puisque ce sont des choses qui ne se disent pas qui sont dites, ce sont des choses qu’on entend. Et ce qu’on entend, c’est oral. […] Ce n’est pas une oralité dont l’écriture serait une transcription. C’est une oralité littéraire, ou écrite ; c’est une écriture qui parle. C’est une écriture qui produit de la salive, qui fait appel à la bouche[7].

Cette « écriture qui parle », dans plusieurs textes de Bouchard, elle parle l’enfance, ce qui ne revient pas seulement à dire qu’elle nous est livrée par l’intermédiaire d’un narrateur-enfant. En me penchant principalement sur Mailloux. Histoires de novembre et de juin[8] et en dégageant plusieurs aspects de sa poétique, je soutiendrai dans cet article que l’écriture bouchardienne, sans mimer la parole de l’enfant, cherche à rejoindre une posture infantile dont l’entrée dans la parole constitue le point de chute[9].

QUI PARLE ?

Synthétiser les différents ressorts narratifs de Mailloux est un exercice difficile auquel s’est prêté Francis Langevin, qui, à son tour, ne manque pas d’applaudir la « voix » de Bouchard :

Une oralité stylisée caractérise le récit, qui tord la syntaxe, change les adjectifs de place, invente les substantifs, soigne sa prosodie. Ce mélange entre une langue littéraire et livresque, une langue d’enfant, une coloration québécoise, joint à une variété de formes du discours rapporté (direct, indirect libre et immédiat), donne à l’ensemble une polyglossie réjouissante où s’élabore véritablement une voix, et ce malgré la multiplication des points de vue de narration et les variétés de scènes d’énonciation suggérées[10].

Cette « polyglossie réjouissante » répond à certaines lois que j’entends ici dégager. L’éclatement de la voix narrative se fait sentir dès l’incipit de Mailloux, qui présente le texte comme une parole contée et entendue : « Ouverture. Où l’on entend Jacques Mailloux conter sa première échappée ; sa mère monstre ; son sauvetage à l’aide d’une pelle. Où l’on entend ensuite Jacques Mailloux sur les circonstances de son premier déguisement[11]. » (M, 9) En tête de page trône cet « intertitre descriptif en forme de proposition complétive[12] », pour emprunter la terminologie de Genette, comme on en trouve dans le Roman de Renart et autres récits médiévaux. Autrement dit, chaque chapitre s’ouvre sur une liste des événements à venir qui donne l’impression d’avoir été ajoutée par un éditeur se plaçant du côté du lecteur pour indiquer ce qu’il « entend » avec lui. Toutefois, on se rend compte très tôt que le corps du texte et ces intertitres ne sont pas les deux seuls registres d’énonciation qui organisent Mailloux. L’histoire s’ouvre ainsi : « J’ai été Jacques Mailloux, comédien de naissance, enfant sans drame, dehors tout le temps. » (M, 9) Entre ce passage et le début du récit est inséré l’impératif « Raconte[13] », et non pas « Je raconte » ou « Je vais vous raconter ». En fait, tout se passe comme si le je de « Mailloux quarante » (M, 49) s’adressait à « l’enfant Mailloux[14] » pour qu’il prenne la parole avec lui. Dans cette narration, l’enfance n’est pas comprise comme un temps révolu qu’un sujet pourrait mettre à distance, mais plutôt — de même que le conçoit la psychanalyse — comme un temps toujours présent, qui oriente la jouissance du sujet parlant et auquel la narration laisse ici toute la place. Non seulement la narration est consciente de la survivance de l’enfant en l’adulte, de l’« enfance éternelle » (M, 56) de Jacques Mailloux, mais elle fait de la superposition du présent de l’enfance et du présent de l’énonciation un motif de l’écriture bien visible et avoué, où l’on se plaint « d’être à la fois Mailloux Jacques et je moi dans les phrases d’écriture à chaque passage de la boue qui est » (M, 48).

Qui parle ? D’où ça parle, et quand ? La narration ne répond jamais de manière définitive à ces questions, elle les borde et les relance, dirait-on. La fin de l’ouvrage est à ce titre un tour de force. Dans ce « Chant des “Quand j’aurai” » (c’est le titre du chapitre), le temps est replié sur lui-même, comme en témoignent, entre autres, ces trois énoncés : « Quand j’aurai fini de manger les tartes et les pâtés ronds qui m’ont donné le cancer » (M, 157), « Quand j’aurai achevé les vers qui me mangeront » (M, 157), « Quand j’aurai reçu le coup de bâton qui m’a cassé les dents » (M, 158). Dans cette finale, le sujet veut se survivre, être vivant et manger ce qui l’a tué, tuer ce qui le tuera, etc. Ce fantasme d’atteindre un temps hors temps, qui est aussi un fantasme d’« invent[er] un parler à rebours » (M, 161), culmine dans les tout derniers mots de l’ouvrage : « Alors/Je saurai qu’être et être font six, je saurai qu’être et être font six, je saurai qu’être et être font six,/Font six. » (M, 161) Sur cette incantation, le texte affirme radicalement le désir de Mailloux d’atteindre une unité entre son nom, son âge et son corps, qui lui permettrait d’être assuré de son être. Six, c’est l’âge de Jacques Mailloux à certains moments du récit : « Jacques Mailloux, c’est un flot. Un flot de six ans, dit l’un des frères grands. » (M, 52) Mais la coïncidence entre Jacques, son âge et son corps n’est jamais tout à fait assurée : « Ça prend un nombre pour être et je ne l’ai pas encore » (M, 147), s’inquiète-t-il. Ce déphasage proprement bouchardien se poursuit avec la publication de Numéro six, douze ans plus tard. Dans ce texte, le six désigne le numéro du chandail de hockey du jeune protagoniste, mais la même inadéquation que dans Mailloux est en jeu, à l’échelle de la patinoire, dans un long monologue où un narrateur se demande ponctuellement s’il habite un nom : « J’ai porté le numéro six dans le dos du dire comme un endroit dont je parlais[15] » ; « L’an d’ensuite j’ai conservé le numéro six au bras comme s’il était à moi, comme si c’était mon nom, comme si l’ayant au bras je n’avais rien de plus à faire pour m’absenter de moi et disparaître un temps en m’enfonçant dedans[16]. » Par conséquent, le narrateur n’est pas certain d’être : « J’étais sans destinée[17] », dans « l’euphorie de ne pas être là[18] ». Cette incertitude de l’être, véritable leitmotiv bouchardien, marque également la narration de Mailloux et contamine les personnages et les choses ; « l’occurrence presque outrancière du verbe être[19] » qu’observe Inkel, comme un contrepoison, semble la pallier[20].

ENTRE LE CORPS ET LE NOM

Au jeu sur la frontière indéfinie entre le souvenir d’enfance et le présent de l’écrivain s’ajoute donc un jeu sur la frontière entre l’être et le corps. Ce motif n’est pas sans rappeler les écrits de Beckett, écrivain qui a manifestement influencé Bouchard[21] et qui a assumé plus que tout autre cette frontière comme lieu d’énonciation, notamment dans L’innommable :

[…] ils me diront qui je suis, je ne comprendrai pas, mais ce sera dit, ils auront dit qui je suis, et moi je l’aurai entendu, sans oreille je l’aurai entendu, et je l’aurai dit, sans bouche je l’aurai dit, je l’aurai entendu hors de moi, puis aussitôt dans moi, c’est peut-être ça que je sens, qu’il y a un dehors et un dedans et moi au milieu, c’est peut-être ça que je suis, la chose qui divise le monde en deux, d’une part le dehors, de l’autre le dedans, ça peut être mince comme une lame, je suis ni d’un côté ni de l’autre, je suis au milieu, je suis la cloison, j’ai deux faces et pas d’épaisseur, c’est peut-être ça que je sens […][22].

Cet éclatement de l’être répond, dans Mailloux — et à vrai dire dans toute l’oeuvre de Bouchard — à une logique précise : celle de la honte. Avoir un corps qui ne répond pas à sa volonté est le grand drame du protagoniste. Mailloux l’exprime d’ailleurs lorsqu’un jeune adulte lui propose ainsi qu’à son ami Cerise de perdre et de reprendre connaissance par pendaison : « [J]’avais honte de ma peur et j’avais peur d’eux. Et si ça marche pas ? j’ai demandé, si la décision de revenir dans mon corps et de reprendre mon souffle, je la prends pas et que je reste mort, qu’est-ce qu’on fait ? » (M, 105) Le moi n’est pas maître dans sa propre maison ; Jacques Mailloux apprend cet adage à la dure. Un autre enfant, un « Mailloux de cent jours » (M, 109), est d’ailleurs étouffé « dans la tristesse malade de la honte » (M, 109) par son père endormi sur le canapé : « Se réveiller ayant tué. Se réveiller ayant commis l’irréparable. Se réveiller le corps t’ayant trompé et te plongeant dans un temps autre, où tout soudain presse. » (M, 110) Le motif de l’énurésie est celui qui met en jeu de la façon la plus insistante, dans Mailloux, cette trahison du corps. Au matin, Mailloux voudrait se réveiller avec « le bonheur de son corps chaud dans un lit sec » (M, 62), mais voilà : il pisse au lit. « [I]l voudrait que son corps le tienne au courant quand une chose pareille se passe » (M, 62) ; or, comme le dit la mère Mailloux à son propos : « Il ne comprend pas l’eau ni l’attente de l’eau ni l’obéissance à l’eau ni l’obéissance de l’eau. Il n’est pas le chef de l’eau. » (M, 68) Dans cet écart entre la volonté de Mailloux et la réponse de son corps surgit la honte : « Voyez-le se couvrir de honte en montrant ses matins de boue jaune, voyez le pissou, le pissou, le pissou » (M, 63), se dit-il pour lui-même. Dans un chapitre présenté sous la forme d’un choeur antique, le père et la mère prennent même la parole pour crier la honte que Jacques Mailloux fait tomber sur le clan familial :

Mère Mailloux
Il se pisse dessus dans la nuit. Il va nous tuer. Père Mailloux, bats-le !
Père Mailloux
J’ai pris mes mains et je l’ai battu. […] Sa peur est dans la nuit. Je vais prendre un morceau de bois. Je vais le battre en pleine nuit à coups de deux par quatre sur ses os de pisseux.
Mère Mailloux
En criant à la mort la honte qu’il nous fait.
Père Mailloux
En criant à la mort la honte qu’il nous fait.

M, 64

Comme le dit Inkel, « ce qui intéresse Hervé Bouchard se rattache toujours de près ou de loin à ce qui sort du corps — urine, excrément, parole —, à ce lieu de passage entre le dedans et le dehors[23] ». C’est parce que ça passe du dedans au dehors sans son consentement que Mailloux ressent la honte. Le cinquième chapitre de l’ouvrage met en jeu ce motif de façon flamboyante, dans une scène pivot où Mailloux « laisse une motte luisante sous le couchant » :

Mailloux t’allé se baigner dans l’eau verte à la piscine publique, sèche maintenant son corps enfant sur la grosse roche en face comme les autres phoques sous le couchant, une serviette sur le dos. Croit pas pouvoir se lever de la roche à cause d’une motte de merde plus dense que la roche qui tient son bout et force Mailloux à l’immobilité sinon elle sort. De toute façon elle sort […]. Un heurque retentit sans cesse entre les oreilles de Mailloux s’éloignant en larmes de la grosse roche où l’enfant grand Gagnon voit sans croire ce que Mailloux laissa, la motte luisante sous le couchant. […] La merde sortie de Mailloux, comment diable est-elle sortie du maillot ?

M, 23-24

Ce « heurque », c’est le cri de l’autre enfant qui vient marquer la scène du sceau de la honte, qui veut doter d’un signifiant l’événement impossible à assumer et qui, comme le remarque Ouellet Tremblay, fait figure de scène traumatique[24]. « Heurque », c’est le signifiant d’un signifié qui ne passe pas et qui fait retour, un mot épinglé sur un « événement/toujours/sur le point/de ne pas se produire[25] », suivant les vers de Normand de Bellefeuille. Le narrateur mentionne qu’il est projeté dans cette scène de l’enfance chaque fois que le dégoût s’exprime chez autrui sous le signifiant « heurque », signifiant qui « avale d’un coup toutes les prétentions du langage à dire ce qui est[26] » : « Et c’est la honte encore aujourd’hui qui le prend et qui se nourrit de cette image absente que relance sans cesse le mot d’heurque d’un autre, cela dit pour la clarté. » (M, 80) À la trahison du corps est associée la honte qu’elle engendre et qui fait écrire. Cette association trouve dans l’extrait suivant — où Mailloux noircit le rebord de son plâtre souillé d’urine — une métaphore on ne peut plus éloquente :

J’ai pris un gros marqueur et j’ai noirci le contour à l’entrée de mon tube, regarde, c’est une bande noire de trois quatre pouces qui recouvre les trois quatre pouces de jaune à l’entrée de mon tube. Cacher de noir le jaune à l’entrée du tube. Et toute l’écriture qui est qui en découle et qui fait mon décompte et qui est mon décompte.

M, 156

Se raconter, s’écrire, « faire son décompte », comme on recouvre d’encre noire les marques de la honte.

Avant même de signifier, les mots sont des choses qui frappent le corps. Cette primauté du signifiant sur la signification — telle que l’expérience de la honte et du trauma la révèle —, l’oeuvre de Bouchard ne cesse de la reconnaître. Le narrateur va jusqu’à raconter un rêve où il « reçut en songe les mots qui le font », rêve où le langage, dans sa matérialité, entre et sort de Mailloux, le borde et le dépasse :

J’ai la tête retournée et mon épaule est une colline que des mots dévalent si vite que je n’arrive pas à en lire un seul. Je les vois et les reconnais, du moins j’en ai le sentiment. Tous les mots me passent sous le menton. Mais je n’en conserve aucun. Je vois tous les mots. Je vois tous les mots. Je suis incapable de les prononcer. Le mot « coulement » me vient, pourtant je ne le vois pas passer, il est là. J’ai la teneur de la boue. Je vois tous les mots. Je les vois m’embrunir d’incompréhension face à l’empêchement qu’ils font de moi. Je suis la colline désolée. La teneur de la boue m’a. Le mot « colline » me passe sous le menton, je suis incapable de le prononcer et je n’ai plus de corps. Quand cesse l’abominable défilé, la boue est de sauvetage avec son nom emprunté le temps qu’on voie de quoi je parle. Plein tube. C’est la noyade. […] Le grand coulement de moi qui cherche.

M, 17-18

On devine que c’est d’ailleurs la pisse (la boue, la noyade, le coulement) qui réveille Jacques Mailloux de son rêve (« la boue est de sauvetage », entendre : « la bouée de sauvetage ») et qui le sauve de cette autre noyade métaphorique qu’est celle de la déprise du symbolique. Mailloux, c’est littéralement son cauchemar, redoute un retour à ce qui précède la maîtrise du signifiant, espace-temps où les mots lui ont passé sous le menton.

Dans la même veine, Bouchard met en scène un souvenir où Mailloux, « ignorant de la physique », n’exerce pas un plein contrôle de ses sens et de son corps, moment où il croit que si les sons ne se rendent pas à l’intérieur de lui, c’est qu’ils ne se rendent pas non plus à l’intérieur d’autrui. Si le bruit n’est pas entendu par moi, il est inexistant :

Petit Mailloux pense fort à comment s’emparer du sachet de boules qu’il veut sans bruit afin d’éviter les parents consécutifs. Mais le bruit sera, le bruit sera le bruit, il ira dans le sommeil de Mailloux mère qui comprendra qu’un Mailloux bruyant petit fouille. Et elle sortira de son lit et dira nue sans dentition « c’est qu’tu fais là ? » Ouais. C’est petit que Mailloux pense fort à faire là sans être bruyant, sans faire de signe, et c’est devant le panneau à bruit qu’il s’empare du tube long du cesse-respir avec dedans la pensée que ce qui n’est pas entendu n’existe pas. Mais comment faire en sorte que le bruit du panneau s’ouvrant ne soit pas entendu, Mailloux se le demande et ignorant de la physique y petit répond. En se bouchant les oreilles, mains enfoncées dans la tête et fessant du genou dans le panneau qui l’accueille comme un trou, Mailloux déjacques d’un coup seul capture le bruit du panneau à ressorts qu’il rote ensuite dans un silence de mort, signe de sa première disparition. Gisant mou dans l’armoire à tournant plateau avec sur le corps collées les boules sucrées les boules colorées les boules pour un temps valant mille fois la mort engueulée à laquelle cois les parents Mailloux assistent voyant leur fils dans un sans bruit tournoi. Fils de Mailloux, c’est à ce moment que je mue dans ce qu’il y a sans comprendre.

M, 21-22

L’entrée de Jacques Mailloux dans ce que l’on devine être une armoire munie d’un plateau de type Lazy Susan fait figure de moment ontologique, où, dans un tournoiement, Jacques passe du rien (« silence de mort », « cesse respir », « disparition », « mort engueulée »), de l’inconsistance (« gisant mou »), du nom qui se défait (« Mailloux déjacques »), à l’entrée dans « ce qu’il y a » ; l’être, la parole et la filiation : « Fils de Mailloux, c’est à ce moment que je mue en plein dans ce qu’il y a, sans comprendre. » (M, 22 ; je souligne.)

L’IMAGE DU CORPS

Mailloux présente donc quelques scènes où Jacques, nourrisson, ne fait pas parfaitement la distinction entre son corps et celui de l’autre ; le premier chapitre raconte d’ailleurs un jeu où Mailloux mime un retour au corps de la « mère monstre » qui menace de le manger tout cru[27]. Ce moment fondateur où le sujet se reconnaît comme un a intéressé Jacques Lacan, comme en témoigne son célèbre texte « Le stade du miroir[28] », dans lequel il décrit ce moment charnière du développement où l’enfant, dans le miroir, voit l’image unifiée de ses morceaux de corps, image qui ne correspond pas du tout à ce qu’il éprouve, mais qu’il doit tout de même assumer pour devenir sujet. C’est seulement à partir du moment où l’autre authentifie son image (« Regarde, c’est toi ! ») et qu’il la fait sienne que le sujet peut dire « je », se reconnaître et entrer en relation avec autrui par le recours au langage. Pour reprendre les mots d’Élisabeth Roudinesco, ce moment constitutif n’a « pas grand-chose à voir avec un vrai stade, ni un vrai miroir[29] » ; il s’agit surtout de souligner que le moi se constitue sur la base d’« une identification aliénante à l’image spéculaire[30] ». Ainsi, aux premiers temps, le sujet doit s’identifier à une image qui ne correspond pas à ce qu’il éprouve en son corps ; il « voit sa forme réalisée, totale, le mirage de lui-même, [uniquement] hors de lui-même[31] ». Cette identification, qui est un leurre, est absolument nécessaire[32] et permet qu’au réel se nouent les dimensions imaginaire (l’image du corps) et symbolique (le langage).

Si certains passages de Mailloux — le rêve de la colline, la scène de l’armoire — offrent une métaphore de cette traversée, celle-ci est problématisée à même l’énonciation, laquelle semble se situer au temps d’indécision où le corps et le Nom ne font pas encore un, temps où le sujet a « la teneur de la boue » (M, 17), où « la teneur de la boue [l]’a » (M, 17). Bien sûr, Mailloux n’est pas une production psychotique ; il s’agit d’une véritable construction de langage, et c’est à ce titre, sur le plan poétique, qu’est interrogée la coïncidence entre l’imaginaire et le symbolique. Pour le dire autrement, il s’agit, pour Bouchard, de donner forme par le langage à ce temps où le langage n’est pas encore noué au corps du sujet.

Le langage ne parvient pas au sujet d’un coup, comme une étrangeté. Avant d’être parlant, le sujet à venir occupe une place dans le discours d’autrui ; il est parlé, nommé. Dire qu’il y a une « entrée dans le langage » est aussi un moyen de souligner qu’il faut assumer un nom pour prendre la parole, à l’image des « criés » qui doivent courir à travers les « pas nommés » au « jeu de ballon au poteau des crucifiés[33] ». Le narrateur de Mailloux s’inquiète de ne pas avoir franchi cette étape, avançant que « ça prend un nombre pour être et [qu’il ne] l’[a] pas encore » (M, 147), et n’étant pas certain « qu’être et être font six » (M, 161), c’est-à-dire font nom. Dans l’écriture de Bouchard, et ce n’est pas anodin, le nombre se substitue bien souvent au nom ; avant d’avoir un nombre (c’est-à-dire avant de naître, ou avant d’avoir un an), Mailloux « ne compte pas » : « Il y avait aussi un Mailloux sans nombre (qui ne compte donc pas) qui zigotait dans l’avenir de l’à peine visible ventre au-dessus du con de Mailloux mère[34]. » (M, 121) Dans Parents et amis sont invités à y assister, le numéro six est le nom d’un des orphelins, mort, dont la parole est incarnée en choeur par ses frères pour dire, à sa place, sur un mode parodique, le Eyeh Asher Eyeh que Dieu profère à Moïse dans l’Ancien Testament lorsque ce dernier lui demande son nom : « Je suis celui qui est » (traduit aussi par « Je suis celui qui sera », « Je suis qui je serai ») devient « Je suis celui demain qui sera[35] », « J’ai la voix d’un qu’on ne voit pas[36] ». Autrement dit, l’orphelin de père numéro six incarne celui qui ne porte pas un nom, mais l’absence de nom en tant que nom ; le seul à posséder le langage sans avoir été nommé par autrui.

Dans d’innombrables passages de Mailloux, le nom est dédoublé, comme si le narrateur n’était pas certain de la performativité du pronom personnel. Dire « je » ne suffit pas à Mailloux, il dira plutôt « Mailloux moi », « Jacques Mailloux je », « Je moi Mailloux Jacques », ce qui n’est pas sans évoquer le langage qu’adopterait, justement, une personne s’adressant à une autre qui ne comprend pas sa langue. Parfois, on lira « ceux qui sont » (M, 77 ; 105 ; 109) plutôt que « ceux-là » ; « je m’accroupis » devient « Mailloux m’accroupissant » (M, 77) ; « je triomphais intérieurement » se lit « [j]e triomphais du Jacques à l’intérieur » (M, 105). S’ajoutent des formules plus complexes, telles que « J’ai pas le Jacques que ça tente de faire garder » (M, 113), « [c]haussé de bottes soi-même Jacques Mailloux entrer dans l’eau » (M, 25), etc. Parfois, le nom complet précède simplement le « je », comme pour l’appuyer : « Jacques Mailloux je me sens trahi » (M, 118), « Jacques Mailloux je lui regardais dans la craque à la tante Génisse » (M, 117), « Jacques Mailloux j’allais à quatre pattes » (M, 9), « Jacques Mailloux je passais l’après-midi puni » (M, 55), etc. Tout se passe comme si brandir son nom constituait pour Mailloux une garantie de ne pas le perdre.

« DES NOMS DE CORPS NUS SANS PERSONNE POUR LES PORTER »

Dans Le refoulement. Pourquoi et comment ?, Gérard Pommier met en lumière les mécanismes du refoulement à l’oeuvre dans tout acte langagier, et que la linguistique saussurienne ne prend pas en compte : « La parole doit refouler la valeur d’image des sons, pour acquérir une signification dans la construction d’une phrase[37]. » Pommier fournit cet exemple très pragmatique : pour arriver à lire au sein d’une phrase « chapiteau », « châtaigne », « chacal », « il faut refouler que le son chat peut se représenter par un chat […] il y a un refoulement du visuel par l’auditif[38] ». Ce signifié sous-tend la parole et se trouve susceptible de ressurgir sous la forme d’un lapsus, par exemple. Le premier refoulement est celui du nom propre, qui constitue un signe auquel le sujet s’identifie, à partir duquel il peut prendre la parole, mais qu’il occulte par défaut quand il parle. Pour s’énoncer, le sujet ne peut pas à la fois prononcer le « je » et son patronyme ; il refoule donc ce dernier[39]. C’est d’ailleurs le sort qui est réservé aux « didascalies fonctionnelles » qui, au théâtre, trônent au-dessus de chaque réplique, mais disparaissent de facto au moment de la représentation. Bouchard — c’est l’une des marques les plus visibles de son style — transgresse cette loi à laquelle l’écriture littéraire peut échapper. Dans la scène centrale du Faux pas de l’actrice dans sa traîne, le personnage du directeur porte ainsi un nom différent à chaque réplique. Une didascalie nous prévient de ce jeu, confirmant ainsi son importance au sein de la poétique de Bouchard : « [Le directeur] sera appelé [par qui ?] dans l’ordre le directeur, le préau nommé flux, le méandre faquin, chanteur fille, le garçon fromage, Jérôme B.[, etc.][40]. »

L’importance du patronyme chez Bouchard, qui s’exprime dès le titre de Mailloux, est confirmée dans plusieurs formules langagières où non seulement il s’ajoute ou se substitue au « je », mais, par métonymie, en vient à désigner le corps en entier de celui qui parle, quitte à ébranler l’édifice syntaxique. Au lieu de dire « je tombe », Jacques dira « je me suis renversé tout le Mailloux dessus » (M, 14) ; la mère Mailloux ne pousse pas Jacques, elle lui pousse « le Jacques[41] » ; le corps de Jacques n’est pas baigné d’urine, Jacques « se noie l’Mailloux » ; il ne recueille pas de la monnaie, « [s]a main de Mailloux dix [est] au centre recueillant la monnaie » (M, 22), etc. C’est ainsi que Bouchard tente de ressaisir, par l’écriture, une position infantile qui n’est pas tant racontée dans sa chronologie et son espace qu’éprouvée dans une poétique qui donne forme à l’entrée dans la parole. La voix narrative bouchardienne raccroche constamment le nom propre au corps, comme si le sujet de l’écriture était en voie de se défaire, comme s’il n’était pas dupe du fait que la consubstantialité de l’image du corps et de la parole ne tient que par le nom.

Parents et amis sont invités à y assister présente également ce motif d’écriture, alors que l’orphelin de père numéro un, rapportant la parole de la mère, fait grand cas de la coïncidence entre le corps et le patronyme :

J’ai vu un marguillier Melançon, dit l’une, quand nous sommes passées devant la vitrine tantôt juste, il parlait sans que j’entende rien avec une Moffat Laurie qui avait l’air de comprendre. As-tu vu Brisson Poussin, Gendron Poussin, Jeannot Collard ? demanda une autre. Oui, oui, répondit l’une troisième, ils fumaient, et j’ai dû voir aussi Forêt Danny roulant et Morin Boulon courant, Filion Henri faisant rien, quelle ville. À moi aussi des noms me sont venus au nombre de quelques, dit la veuve dépliée, mais j’ai vu plus de corps que de noms, c’est-à-dire, j’ai vu des corps dont je ne sais pas les noms, et, parmi les corps sans noms que j’ai vus, j’ai reconnu des noms de corps nus sans personne pour les porter. Ça semblait recommencer dans sa tête, la vie des morts. J’ai vu Gosselin corpu, elle continua, Gosselin corpu tenant la main d’une Bigonesse ouverte et puis Mouillon coupé du bas rampant derrière une Bambineau et puis Jomphe rongé suppliant une Coutu des joues et puis Flamain le doigt dans le goulot d’une Champoux, deux par deux filant j’ai vu[42].

On ne peut pas « reconn[aître] des noms de corps nus sans personne pour les porter ». Cette contradiction, un sujet parlant ne peut pas l’expérimenter ou la retrouver en tant que telle. Il s’agit d’une impossibilité logique — car s’il la retrouve, il n’est déjà plus sujet. Seule l’écriture est en mesure de restituer quelque chose de ce moment qui précède le nouage du corps et de la parole ; elle le montre à même les matériaux qui la produisent, et les livres de Bouchard, pour citer Daniel Canty, « nous invitent à passer derrière leur décor en carton-pâte. Les choses se coulent par la trouée du langage, et nous passons parmi les figures de la fiction, alors que le réel fait tableau tout autour de nous[43] ». En procédant à une inversion des prénoms et des noms de famille, la narration, dans le passage cité plus haut, a pour premier effet de mettre ces derniers à l’avant-plan. Mais surtout, c’est sur le mode de la vision (« j’ai vu », « j’ai reconnu ») que la voix narrative exprime la dichotomie entre le corps et le patronyme des personnages… patronyme qui est toujours ici très près d’un nom commun (Poussin, Forêt, Flamain, Boulon, Bambineau) et que le narrateur raccroche au corps (Gosselin corpu, Coutu des joues, Mouillon coupé du bas, Flamain le doigt). Ce jeu dénote un certain refus du caractère arbitraire de la nomination, une « angoisse du nom » qui habite également toute l’oeuvre de Réjean Ducharme et dont Anne Élaine Cliche révèle la logique scripturale dans son ouvrage Le désir du roman : « [Ê]tre nommé, c’est aussi être divisé, se trouver fracturé par du signifiant dont le premier effet est de creuser une faille entre mon corps et celui de l’autre, et, par le fait même, de marquer la place de tous les autres noms qui pourraient le recouvrir[44]. » La mère, dans Parents et amis sont invités à y assister, joue parfaitement ce refus : une métaphore lui donne sa condition corporelle (quand son mari est mort, les bras lui sont tombés), et cette condition devient son nom (la veuve Manchée ; Laïnée Manchée ; Laïnalinée Manchée). À moins d’être un personnage bouchardien, on ne peut pas porter son corps comme nom. Cette loi est la première à laquelle le sujet parlant est confronté (car il est nommé avant même d’avoir un corps), et c’est du coup l’une des lois que Bouchard s’amuse à contourner, à déjouer. Au moins deux personnages de Mailloux portent comme nom la condition de leur corps ; un à sa naissance, l’autre à sa mort. Le premier, Mazout, « tient son nom d’une tache brune qui lui colore l’épaule, une tache brune de naissance qui a la forme d’une coquille de Shell » (M, 28). Le second se nomme « l’en bois », taché lui aussi : « J’ai connu un suicidé en bois […]. C’était un suicidé en bois il avait des taches glabres dans le visage » (M, 97), dit Mailloux. « Il a été aperçu pour la dernière fois, il flottait comme une pitoune dans la rivière. Il était nu. » (M, 108) Ainsi, c’est une métaphore (il flotte sur l’eau comme le bois des draveurs) qui lui donne son nom, et ce nom apparaît dans le récit plusieurs pages avant le suicide raconté. Suicidé avant de mourir, « l’en bois » porte le nom de son destin.

La dislocation du corps et du nom mise en question dans Mailloux prend une tournure tragique lorsqu’elle vient rejoindre la représentation des corps. Des « Mailloux », il en meurt (noyés, suicidés, étouffés) plus d’une dizaine dans l’ouvrage. Mailloux et ses amis se rendent à la station-service avec un contenant pour y mettre de l’essence, dans le but de faire un feu, malgré le danger pressenti, « pensant que le corps a lui aussi quelque chose de bidon » (M, 32). Une scène confuse à force de syntaxe désarticulée et de mots syncopés suit l’accident de la brûlure d’un des garçons, Pouque. Ce dernier se lève au moment où Bène d’onze (on devine qu’il s’agit d’un garçon de onze ans prénommé Benoît) l’insulte parce qu’il souffre de sa brûlure :

Bombé du torse et fulminant Pouque, l’icil est allé droit au Bène d’onze et l’a foudroyé d’un rot commençant par m et sonnant comme meurs. Sur ce s’est tombé d’onze le Bène aidé de Payne et du cousin Perron et d’oi-même ailloux et d’Ouelle, tous quatre clouant avec rouille sur un côté pourri par bouts de l’entour du carré de sable sa tête de Bène sans nombre. Après pas la peine. Le sang du corps Bène de mort a coulé dans le sable puis le sable dans le sablier le temps qu’on raconte aux adultes le meurtre inadvertant. Mailloux maintenant, je ne vais pas recommencer.

M, 34-35

On en vient à ne plus savoir si la mort de l’enfant est réelle, comme dans la scène du nourrisson étouffé sous le corps du père, ou mimée, jouée, comme dans la scène de la « mère monstre » qui mange tout cru son enfant. Une chose est sûre, la mort de l’enfant est associée au langage qui se défait, à la disparition du nom-bre ; « Bène d’onze qui allait bientôt mourir et ne serait donc jamais douze » (M, 34). La mort engendre la perte du langage, perte du mot, perte d’intelligibilité ; babil.

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C’est à mi-chemin entre une sociocritique et une psychocritique des textes que l’on s’est le plus souvent expliqué l’omniprésence de la parole de l’enfant dans la littérature québécoise, phénomène dont l’oeuvre de Bouchard est l’une des manifestations les plus contemporaines. La littérature québécoise s’écrit du lieu de l’enfance : c’est là un axiome bien connu, lieu commun des études québécoises par lequel on désigne à la fois une thématique récurrente du roman québécois et une posture politique dont notre littérature serait porteuse sur le plan poétique[45]. On va même jusqu’à qualifier ce motif d’écriture et ses formes de « courant littéraire inconscient[46] ». La littérature québécoise de la seconde moitié du xxe siècle à aujourd’hui regorge en effet de personnages enfants qui, à l’instar de Mailloux, font de manière insistante l’objet de violences, que l’on pense aux différents garçons en proie à l’inceste et à la violence maternelle dans les oeuvres de Michel Tremblay ou d’Anne Hébert, ou aux enfants qui meurent ou projettent de mourir avant d’avoir atteint l’âge adulte chez Réjean Ducharme et Marie-Claire Blais. Les critiques se sont grandement intéressées à cette figure, mais bien souvent dans le but d’y révéler le lien social québécois en érigeant l’enfant représenté en icône de la nation. Tout se passe comme si la parole de l’enfant n’éclairait qu’une part d’ombre de la culture québécoise, un handicap, un problème à régler : celui d’une immaturité politique constitutive ou revendiquée. Ces recherches partagent l’idée selon laquelle les écrivains québécois se débattent avec un réel difficile à capter et à transmettre, réel dont l’atteinte sur le plan esthétique engendrerait le roman de l’âge adulte[47]. C’est dans cette perspective que François Ouellet lit l’oeuvre de Bouchard :

Les héros des romans contemporains, à moins qu’ils ne soient carrément des enfants (ce qui arrive souvent), sont des fils attardés en quête de paternité. Le héros peine à naître, à être, de sorte que la mort est une sorte de synonyme de la naissance, car entre les deux la vie achoppe. Dans ces conditions, comment pourrait-il penser seulement devenir un homme ? Le personnage du roman québécois est en fait à l’image du pays incertain : il n’en finit plus de naître[48].

À force d’effectuer une « suture entre les êtres de papier de la littérature et l’espace politique de la communauté[49] » — suture qui produit justement la figure rhétorique du Sujet-Nation que Jean-François Hamel repère dans certaines critiques de la modernité québécoise —, on en vient à aborder avec scepticisme, voire avec pessimisme, une écriture aussi singulière que celle de Bouchard. Bien sûr, Mailloux peine à naître ; bien sûr, il n’arrive pas à devenir un homme. C’est peut-être justement par le seul chemin de l’écriture de l’enfance que l’on peut accéder au plus près de ce qui reste, en chaque sujet, de l’entrée dans la parole. Ce temps toujours déjà achevé, le sujet ne peut en faire l’expérience qu’à condition de se défaire, tandis que la théorie n’arrive à le reconstruire qu’en l’arrachant à sa grammaire. L’oeuvre de Bouchard ne fait pas que figurer ce moment ; Mailloux est une construction poétique qui donne à lire ce qui est du registre de l’illisible, et qui concerne le corps avant que le symbolique ne s’y imprime. Pour le dire avec Bouchard,

[l]a littérature […] n’est pas une affaire d’histoire, d’espace, d’action, de pas d’action, etc. C’est une affaire d’affirmation vivante de l’homme qui parle. Le texte cherche son inscription dans le défilé qui le fait. Ça n’a pas d’importance. Sa force est de se révéler à travers la parole vivante qui le porte, de donner à entendre que la parole est vivante et qu’il y a l’homme par où elle passe[50].

Hervé Bouchard assume sans compromis l’enfance comme posture d’énonciation, et c’est en s’intéressant à cette parole que l’on peut dégager de ses oeuvres leur originalité, leur savoir.