ChroniquesPoésie

L’enfant des ruelles[Notice]

  • Nelson Charest

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  • Nelson Charest
    Université d’Ottawa

Dans leur courte présentation de La poésie des Herbes rouges, Roxane Desjardins et Jean-Simon Desrochers reviennent sur le procès de « formalisme » qu’on a fait à la maison des frères Hébert (Marcel et François), en préférant, pour leur part, tracer le fil des « étonnements » : « le langage demeure une matière imprévisible, puissante » (10-11), ajoutent-ils. Ils insistent entre autres sur la cohabitation, à côté de ce souci langagier, de thèmes et d’approches comme ceux de la « contre-culture, [du] féminisme, [du] marxisme et [du] lyrisme » (10). Comment, en effet, souligner les cinquante ans des éditions des Herbes rouges sans tomber dans la mise au tombeau, mais sans non plus être si débonnaire que l’événement en perde toute valeur ? C’est bien un étrange parcours, peut-être typiquement québécois, que celui que tracent cette revue d’abord, puis cette maison d’édition, qui ont eu comme projet d’innover et d’expérimenter, et qui perdurent dans le paysage poétique québécois. Celui-ci s’est grandement transformé ces dernières années, avec l’arrivée de plusieurs jeunes éditeurs. Dans un article récent de LaPresse, Chantal Guy notait justement, parmi les dix tendances de la littérature récente d’ici, une valorisation des jeunes auteurs, et tout particulièrement des « primoromanciers ». De même, les Quartanier, Poètes de brousse, Écrou, Peuplade, Oie de Cravan, Lézard amoureux et autres, en misant notamment sur des mises en pages soignées, ont pris de court les départages habituels entre grands et petits éditeurs, de même que les problèmes liés aux tirages. Le livre de poésie est, de toute manière, un objet à diffusion restreinte : aussi bien, dès lors, en faire un objet de valeur, qui transmettra à son lecteur une expérience mémorable, à contre-courant du flux informationnel et communicationnel qui nous submerge. En ce sens, les cinquante ans des Herbes rouges sont peut-être symptomatiques — et pour cette raison hautement significatifs — du contexte littéraire québécois, et même peut-être plus encore de notre contexte actuel. « Quel est l’éléphant dans la pièce ? » semblent se demander les poètes des Herbes rouges, avec un esprit frondeur, avec l’énergie de celui qui va exhiber ce que personne n’ose voir. Ce fut le corps, d’abord, pendant les années florissantes de la marche à la reconnaissance. Puis, ce qu’on a nommé l’intimisme, qui serait plutôt une tension entre le quotidien et l’universel. Puis un nouveau lyrisme, marqué par l’écriture personnelle et le retour des images. Enfin, depuis 2000 et à la faveur d’une nouvelle génération, une écriture plus suivie et narrative. Le tout premier texte cité, de Marcel Hébert, nomme explicitement « Les corps d’encre » (15), à quoi répond peu après le « Corps convulsé » de Paul Chamberland ; ils seront suivis par toute une génération qu’on a qualifiée de formaliste, en oubliant que la forme première qu’ils accaparaient était celle des corps. Aposteriori, en 1980, Normand de Bellefeuille le reconnaîtra narquoisement, en disant qu’il est « [é]tonnant d’ailleurs que l’on ait fait tout un courant, pour ne pas dire un genre, autour de cette simple coïncidence homophonique », qui fait rimer « sexe » et « texte ». Puis il ajoute : « Je n’y ai jamais vraiment cru bien que j’en aie aussi profité, on est moderne non ! » (137 ; l’exclamation finale se réclame de Rimbaud, dont il relate la lecture). Il ne s’agit pas seulement d’exhiber un corps trop longtemps défendu, mais peut-être davantage d’exhiber l’exhibition, de rendre évidente cette sortie, ce dehors conquis, dans une belle désinvolture toujours joueuse. La suite basculera entre l’évidence des choses matérielles, ce « remue-ménage …

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