Résumés
Résumé
Trois des quatre romans publiés à ce jour par Éléonore Létourneau (née en 1981) mettent en scène des personnages dont la quête de sens se traduit par le besoin de quitter leur milieu pour se reconstruire ailleurs. D’un roman à l’autre, la perspective s’élargit : d’abord motivée par des raisons individuelles, la démarche se met au diapason des pensées critiques sur le voyage, le tourisme et les migrations. L’oeuvre de Létourneau approfondit ainsi les apories du cosmopolitisme et travaille à « désexotiser » l’ailleurs en rappelant que son expérience est intimement liée à la recherche d’un « chez-soi ». Notre parcours de l’oeuvre mettra en relief les différents motifs liés à l’ailleurs, en signalant de quelle manière ils conduisent à la mise en place d’une éthique du « chez-soi » solidaire plutôt qu’identitaire, déterritorialisée plutôt que locale ou natale. Chemin faisant, nous montrerons comment l’oeuvre de Létourneau prend place dans ces nouvelles approches de l’ailleurs qui se manifestent dans le roman québécois des dix dernières années.
Abstract
Three of the four novels published to date by Éléonore Létourneau (born in 1981) feature characters whose search for meaning translates into the need to leave their milieu in order to reinvent themselves somewhere else. From one novel to the next, the perspective widens: initially motivated by individual reasons, the approach aligns with critical notions concerning travel, tourism and migration. Létourneau’s work thus deepens the aporia of cosmopolitanism and works to “de-exoticize” the Elsewhere by reminding readers that her experience is intimately linked to the search for a “home.” Our study of her oeuvre highlights the various motifs associated with the Elsewhere by signaling how they lead to the establishment of an ethic of the “home” that is collective rather than identity-based, deterritorialized rather than local or native. In so doing, we show how Létourneau’s work positions itself in these new approaches to the Elsewhere occurring in Québécois novels of the past decade.
Resumen
Tres de las cuatro novelas publicadas hasta la fecha por Éléonore Létourneau (nacida en 1981) presentan personajes cuya búsqueda de sentido se traduce en la necesidad de abandonar su entorno familiar para reconstruirse en otro sitio. De una novela a otra, la perspectiva se amplía: motivada inicialmente por razones individuales, el planteamiento sintoniza con el pensamiento crítico sobre el viaje, el turismo y las migraciones. De este modo, la obra de Létourneau explora las aporías del cosmopolitismo y trabaja para «desexotizar» el otro lugar, recordándonos que su experiencia está íntimamente ligada a la búsqueda de un «hogar». Nuestro recorrido por la obra pondrá de relieve los diversos motivos vinculados al otro lugar, mostrando cómo conducen al establecimiento de una ética del «hogar» solidaria más que identitaria, desterritorializada más que local o natal. Por el camino, mostraremos cómo encaja la obra de Létourneau en los nuevos enfoques del otro lugar que han surgido en la novela quebequense en los últimos diez años.
Corps de l’article
Éléonore Létourneau, née en 1981, est l’autrice de quatre romans parus de 2014 à 2021. Bien que leur réception soit demeurée plutôt discrète jusqu’à présent, ces romans, et plus particulièrement les trois derniers, demandent qu’on s’y attarde dans la mesure où ils mettent en place une interrogation aussi constante qu’originale sur la tension entre l’ailleurs et ce lieu habitable que l’on désigne comme un « chez-soi ». Ces romans, en effet, présentent des personnages dont la quête de sens et le mal de vivre se traduisent par le besoin de se déplacer sans jamais se fixer : déracinés, ils éprouvent des difficultés à établir des relations significatives avec autrui, ils voient leurs projets échouer tant sur le plan professionnel qu’amical et amoureux. Les déceptions rencontrées au sein du lieu natal (qu’il soit de l’ordre du familial ou du national) les conduisent à miser sur une dérive cosmopolite où d’autres écueils les attendent. En bref, ils peinent à trouver leur place dans le monde. Cependant, une progression s’observe d’un roman à l’autre : d’individualiste qu’elle était dans les deux premiers, la perspective aboutit dans le dernier à des considérations qui interrogent des enjeux collectifs et l’engagement social du sujet. Ce parcours met en évidence une évolution de la pensée de l’ailleurs qui inscrit Létourneau dans une sensibilité que répercutent des approches critiques récentes du voyage et des migrations[1].
Dans l’oeuvre de Létourneau, l’ailleurs n’est pas qu’un motif dérivé du comportement errant des personnages, mais bien une problématique à laquelle ils réfléchissent assidûment. S’il est vrai que l’ailleurs est conceptuellement, voire étymologiquement, lié à l’altérité, et que longtemps la découverte de pays étrangers s’est faite sous les auspices d’un certain attrait pour l’exotisme qui a même stimulé le regard ethnologique, les personnages de Létourneau semblent plutôt se demander ce qui tiendrait lieu du proche et du prochain dans le contexte postmoderne de mondialisation et de porosité des frontières nationales. Ces personnages pourraient se définir avec les mots d’Yves Préfontaine : « nous qui sommes d’ici sans être ici et qui sommes d’ailleurs sans être vraiment là[2] ». Loin de les propulser dans une jouissive rêverie exotique, l’ailleurs révèle en eux un désarroi de nature ontologique, lui-même déterminé par la fracture du lien social.
De tonalité méditative plutôt que centrée sur l’action, cette oeuvre est dès lors susceptible de nourrir notre compréhension de l’ailleurs en tant que question posée au sujet contemporain, question qui implique, on s’en doute, la manière dont ce même sujet arrive à inscrire sa subjectivité et son identité dans ces lieux divers où le conduit sa quête. De nombreuses citations pourraient être retranscrites où l’on voit narrateurs et personnages s’interroger sur le sens que peut avoir l’hypermobilité contemporaine, et cela, en fonction des classes sociales. En voici une particulièrement explicite :
C’était pourtant un temps d’hypermobilité. Un siècle plus tôt, on naissait encore quelque part pour y mourir et l’ailleurs restait le domaine du rêve, territoire accessible aux privilégiés, à ceux qui pouvaient s’offrir, peut-être une seule fois dans leur vie, un voyage transatlantique à bord d’un grand navire, le luxe de traduire l’espace en durée, en jours et en semaines passés à espérer. Mais depuis qu’il était possible de rallier l’autre côté de la planète en quelques heures de vol, les distances se sublimaient. On se laissait porter d’un continent à l’autre et seul le décalage horaire rappelait incidemment qu’il y avait là quelque chose de contre-nature et d’un peu fou. On parcourait le monde sans jamais le connaître, collectionnant les souvenirs, les photos géolocalisées, les étampes de douanes. Ceux qui étaient aux commandes de la société moderne prenaient de grandes décisions dans des salles capitonnées, oubliant presque où ils se trouvaient, entre deux déplacements en jet privé. Pendant ce temps, à la surface du monde habité, des embarcations de fortune s’échouaient sur des rivages étanches[3].
Nous aurons à revenir sur les deux dernières phrases qui illustrent de manière dramatique la disparité entre deux expériences contemporaines de l’ailleurs : celle des marchés délocalisés où s’abolissent les différences et celle des réfugiés en quête d’un lieu où se déposer et assurer leur survie, lieu dont l’hospitalité n’a rien de garanti.
Les constats qui précèdent, eux, n’ont rien de bien nouveau : que devient l’appel de l’ailleurs et où est passée cette aspiration à découvrir le monde si ce dernier n’a plus rien à offrir de nouveau, d’inédit ou d’authentique ? Un certain désenchantement a commencé à se faire sentir en Occident dès le xixe siècle et n’a cessé de s’accentuer depuis[4]. On observe qu’« ailleurs » et « ici » se ressemblent étrangement, que les différences autrefois marquantes en sont venues à s’atténuer jusqu’à une certaine forme d’homogénéité : les régimes coloniaux autrefois, l’industrie touristique aujourd’hui, se sont en effet employés à imposer leurs moeurs et leurs produits aux régions occupées, sans parler de la mondialisation des marchés qui a permis la circulation des mêmes objets partout dans le monde[5]. Mais plus fondamentalement, et c’est sur quoi se penche plus particulièrement l’oeuvre de Létourneau, le désenchantement devant l’ailleurs est de nature subjective : le sujet s’y retrouve toujours tel quel, emprisonné dans sa finitude, comme si l’ailleurs ne remplissait jamais sa promesse de le transformer[6].
L’AILLEURS DANS LE ROMAN QUÉBÉCOIS CONTEMPORAIN
Il se pourrait, toutefois, que le roman du Québec soit en train de passer outre ces considérations moroses et que l’altérité de l’ailleurs tente de se frayer un chemin en dehors des sentiers balisés de l’exotisme un peu clinquant qu’entretiennent encore les guides touristiques. Pendant longtemps, le roman exotopique s’est attaché, un peu à la manière des récits de voyage, à exploiter l’ensemble des caractéristiques qui marquent une différence par rapport au lieu d’origine : c’était l’ailleurs comme espace d’aventures et de découvertes, comme lieu d’une altérité à laquelle se frotter pour évoluer, apprendre à connaître le monde et soi-même. De tels romans existent encore, mais une tendance se dessine depuis 2010 environ, qui semble souscrire à un impératif implicite, peut-être en réaction au discours touristique, d’éviter l’accent sur les signes de la différence. Je pense ici au Fantôme de Suzuko de Vincent Brault[7], où le narrateur nous promène dans les rues de Tokyo en les nommant, mais sans jamais les décrire, avec le même naturel qu’il raconterait avoir donné rendez-vous à un ami montréalais au coin de Saint-Joseph et de Saint-Denis. Je pourrais citer également Souvenir de Night de Mathieu Rolland[8] ou Coma de François Gilbert[9], deux romans qui, situés en Asie, non seulement ne comportent aucune référence au Québec, mais se tiennent absolument loin de tout commentaire ethnographique sur le pays étranger. La même observation peut être faite au sujet du premier roman de Perrine Leblanc, dont l’histoire se déroule en Sibérie[10]. Plus radical encore est le Oshima de Serge Lamothe[11] : nous sommes en 2043, la société industrielle s’est effondrée et nous suivons le parcours d’Akamaru, jeune Japonais établi à Paris avec sa mère, qui décide de retourner dans son pays d’origine en suivant une route terrestre, tel un Marco Polo du xxie siècle[12].
On le voit avec ces quelques exemples, la naturalisation et la désexotisation de l’ailleurs vont de pair avec l’absence d’un retour réflexif sur le chez-soi ou le pays natal. L’un des topoï du voyage ou du séjour à l’étranger, chez les auteurs québécois, a longtemps été de mettre en relief l’altérité en montrant de quelle manière elle pouvait répondre à des préoccupations locales. L’autre et l’ailleurs permettent de jeter un regard critique sur soi-même et sur l’ici[13]. Les raisons de quitter le pays sont en nombre limité et assez récurrentes : on fuit une situation difficile[14], on désire « changer de vie[15] » ou trouver l’amour[16], on part se former à l’étranger pour en revenir enrichi d’une belle expérience[17], on s’évade pour se donner de l’air et refaire ses énergies[18], on tourne le dos à un Québec qu’on abhorre ou qui nous a déçu[19], etc. Dans la plupart des cas, le sujet québécois expose d’où il vient et se compare à l’autre pour conclure au meilleur ou au pire et en tirer un enseignement sur sa propre condition. Or, dans les romans des auteurs que j’ai cités plus haut, le retour vers le Québec à titre de pôle référentiel se trouve occulté, comme si d’entrée de jeu on était citoyen du monde et qu’il importait peu de s’inscrire dans une communauté d’appartenance liée au territoire national.
Chez Éléonore Létourneau, le Québec n’est pas occulté, mais il n’est pas non plus une question. L’« ici » que ses personnages cherchent à habiter, leur « home », est un lieu intériorisé où la subjectivité peut inscrire son appartenance au monde, plutôt qu’un espace défini comme « québécois ». On comprend donc qu’ils soient tentés de le rechercher « ailleurs », puisque leur lieu natal ne leur procure pas un ancrage existentiel ou politique satisfaisant ou suffisant. Sur cette question, l’oeuvre de Létourneau pourrait être mise en parallèle avec le large corpus de romans nord-américains analysés par Marie Parent dans une thèse qui met en évidence le rapport problématique au « chez-soi[20] ». Loin d’être un havre de paix, le « chez-soi » (ou « home ») des romans nord-américains depuis 1945 est un « espace liminaire » où « l’étranger et le familier, l’identité et l’altérité se rencontrent constamment », un « lieu politique qui traduit des tensions sociales[21] ». Cette production romanesque témoigne d’un « écart entre le lieu habité et le chez-soi fantasmé[22] », ce qui revient à dire que l’ailleurs peut tenir lieu de chez-soi, à tout le moins dans la logique du désir.
Telle est bien la tension lisible dans l’oeuvre de Létourneau, où l’on suit la quête de protagonistes qui, de roman en roman, s’élancent vers l’ailleurs dans l’espoir d’y trouver un ici habitable.
NOTRE DUPLEX OU L’IMPOSSIBLE FUITE DE SOI
Publié en 2014, Notre duplex a pour narratrice une jeune cinéaste, Véronique, qui fait état de ses déceptions artistiques, puis amoureuses. Alors que Marie, sa colocataire, connaît le succès, Véronique voit ses projets constamment refusés. Pour soigner sa déprime, elle décide sur un coup de tête de se rendre à Paris « pour un mois », prévoit-elle, « loin d’ici et de ce qui n’arrivait pas » :
Peut-être, au bout de ce mois, parviendrais-je à quelque chose, peut-être me remettrais-je à avancer. […] J’espérais que Paris m’inspirerait quelque chose, mais je n’attendais rien d’autre que de freiner l’enlisement, de redevenir perméable au monde[23].
La motivation, on le voit, est très claire et s’accorde au motif de la fuite d’un lieu habité insatisfaisant, au topos d’un ailleurs porteur de renouveau.
Il est toutefois symptomatique que Véronique choisisse Paris, une ville qui lui est familière et où, du reste, elle retrouvera un ancien amant en plus de croiser sa colocataire Marie venue récolter les honneurs à l’occasion de la première parisienne de son dernier film. Elle le constate elle-même : « ne sachant plus ce qui dans ma vie méritait d’être bouleversé, voilà que je fuyais vers un ailleurs connu » (ND, 22). Une seule dérogation : plutôt que de se chercher un appartement dans le dix-septième, où elle a ses habitudes, elle opte pour le dixième. Et à la fin de son séjour, lasse des musées et cinémas, elle pousse l’aventure jusqu’à se rendre à pied dans des quartiers qu’elle n’a jamais parcourus, Ménilmontant et Belleville : « Je découvrais un autre Paris, vivant, cosmopolite, dégagé de sa raideur bourgeoise qui, après avoir atteint le centre, avait peu à peu infecté les quartiers avoisinants jusqu’à tenir la moitié de la ville » (ND, 99). Cela ne suffit pas, cependant, à lui faire vivre une expérience transformatrice. Du reste, contrairement à ce qu’on peut lire dans bon nombre de romans québécois[24], le passage à Paris n’a rien de spécial : ni aventure ni quête, pas même de désir lié à ce lieu ressenti comme une deuxième demeure. Je précise que dans aucun des romans de Létourneau ne se manifeste chez les personnages l’excitation de partir en voyage, à la découverte d’un lieu désiré.
Rentrée à Montréal après cette courte parenthèse, Véronique apprend que son mari a profité de son absence pour avoir une aventure avec Marie : le couple se sépare, le duplex est vendu, Véronique se retrouve seule, n’emportant avec elle que « quelques livres, quelques vêtements, deux cahiers noircis ». On ne saurait mieux illustrer la perte d’un « chez-soi », tant matériel qu’affectif. Fuir paraît encore la meilleure solution viable : « J’habiterais cette chambre pendant quelques jours, le temps de recevoir le montant de la vente. Ensuite, je pourrais repartir vers l’ailleurs. Un ailleurs dont j’ignorais tout encore. » (ND, 141)
La dernière phrase nous guide vers une idée fondamentale : avant même d’être une destination, l’ailleurs est une idée, un concept, un désir sans objet. L’ailleurs est déterminé par le désir de partir, de quitter le lieu où se déroule l’essentiel de l’existence. On parle alors d’« évasion », comme pour signifier que l’espace habité est devenu une prison : « Fuir ! là-bas, fuir ! », comme l’écrivait Mallarmé. Mais le statut de l’ailleurs est forcément inconstant. Comme le fait remarquer le narrateur du deuxième roman de Létourneau, que je vais maintenant commenter : « ailleurs, quand on y reste, devient bien vite ici[25] ». Mais n’est-ce pas précisément ce qui est recherché ? L’ailleurs, chez Létourneau, n’est pas une destination touristique dotée d’une aura exotique ; c’est bien plutôt l’horizon projeté d’un « chez-soi » à découvrir qui provoque le déplacement.
MOURIR À VENISE
Le titre de ce roman, publié en 2018, ne laisse aucune ambiguïté sur ce qui préoccupe le narrateur : Il n’y a pas d’erreur : je suis ici. Mais ce que le protagoniste décrit comme son « ici » est pour le lectorat québécois un ailleurs chargé d’effluves exotiques : Venise. Qu’est-ce à dire ?
Pierre est un designer industriel québécois de réputation internationale. Affecté d’une maladie dégénérative, il se rend à la cité des Doges, où habite son ex-femme, une musicienne accomplie. Il ne sait exactement ce qu’il attend de ce séjour, peut-être s’« accorder une dernière chance de réintégrer le monde des vivants » (JSI, 21). Il a mené une florissante carrière, mais le bilan de sa vie n’est pas rose : las de toutes choses, il ne connaît pas la joie d’exister. « Je mourrai avant d’avoir su aimer » (JSI, 124), constate-t-il avec amertume.
Mais la magie de Venise n’opère pas : « Je suis seul au milieu de la plus belle ville du monde, sans la moindre raison d’y être. » (JSI, 116) Un tel désenchantement a de quoi étonner, mais il faut savoir que Pierre, dès l’enfance, a beaucoup voyagé et qu’il est à peu près revenu de tout. Il est vrai aussi que la splendeur de Venise, cette « ville qui s’enfonce » (JSI, 21), comme il la décrit lui-même, a souvent été associée à la mort. Sans parler des « quais bondés de touristes avides » (JSI, 27) que Pierre s’efforce d’éviter. Il est risqué d’écrire sur Venise, une ville dont tous les aspects ont été sémiotisés par des siècles de commentaires. S’écarter des stéréotypes s’avère de ce fait une entreprise hasardeuse[26]. J’exposerai plus loin la manière dont Létourneau a contourné l’écueil, du moins en partie. Mais je me pencherai d’abord sur le problème central du personnage : son incapacité à trouver un lieu à soi où s’établir et demeurer.
Ce rapport difficile au lieu et cette instabilité foncière se sont inscrits en lui dès la prime enfance en raison de parents en constants déplacements et inaptes à donner à leur fils unique un lien d’amour. Car il vaut la peine de le souligner, ce qu’on appelle l’« ici » n’est pas qu’un ancrage topographique, mais plus fondamentalement le lieu où peut s’installer une relation vivante de soi à l’autre. Comme le rappelle Marie Parent, citant Marc Augé, le chez-soi constitue « un lieu “identitaire, relationnel et historique”, c’est-à-dire inscrit dans la durée[27] ». En plus de beaucoup voyager, les parents de Pierre (père architecte, mère agente de bord) se situaient en marge de la collectivité québécoise :
Contrairement à leurs congénères, mes parents n’étaient pas nés pour un petit pain ; ils exerçaient des professions qui les propulsaient vers ailleurs et qui m’amenaient régulièrement à les suivre. Dans ce pays d’où je viens, qui n’est pas un pays, et dont chacun se croyait encore captif, cette infinie mobilité suscitait l’envie de tous.
JSI, 13
Ce court passage est le seul des trois romans à l’étude où se manifesterait un point de vue critique sur le Québec. Encore faut-il en observer toute l’ambiguïté : le « dont chacun se croyait encore captif » marque la distance de Pierre à l’endroit du discours de libération nationale. Manifestement, il ne s’identifie pas à ce pathos. Cela dit, le fait de signaler qu’il vient d’un pays « qui n’est pas un pays » témoigne malgré tout du drame qui est le sien, celui de vivre dans la privation du sentiment d’un lieu à soi, privation aggravée par les fréquents déplacements subis depuis l’enfance, mobilité enviable aux yeux des autres mais vécue par Pierre comme un déracinement perpétuel. Malgré lui, et d’une manière en apparence opposée à la réalité de ses compatriotes, il rejoue le syndrome d’aliénation québécois.
À l’instar de la Véronique du roman précédent, Pierre choisit de s’éloigner d’un lieu natal inhabitable, voire inhabité, dans l’espoir d’en trouver un où il deviendrait possible d’exister : « Je suis parti très tôt, pour aller me refaire ailleurs, fuir le domicile familial qui n’avait rien d’un nid. » (JSI, 15) Réaction paradoxale s’il en est : de quelle nature peut être l’ailleurs d’un lieu qui ne fait même pas office de « chez-soi » ? Ce vide initial explique peut-être la confusion qui s’installe dans l’esprit de Pierre, chez qui les concepts d’« ici » et d’« ailleurs » s’entremêlent au point de devenir pratiquement indistincts. Réfléchissant à sa séparation d’avec Elga, il écrit[28] : « […] elle est partie depuis longtemps. Enfin, c’est moi qui suis parti mais ça n’a plus d’importance. Maintenant, je suppose qu’elle est ailleurs plus que moi. Elle n’est pas ailleurs, elle est ici. C’est moi qui suis encore ailleurs, qui n’arrive plus à atterrir. » (JSI, 37) Cette dérive du sens obéit à une logique : l’ailleurs d’un ailleurs n’est pas un ici, mais un autre ailleurs. En fait, c’est un non-lieu : « J’ignore ce que je fais ici, mais je sais encore moins ce que j’irais faire ailleurs. […] Je suis ici et je ne suis nulle part. » (JSI, 43) Pierre manifeste à l’endroit de cette fuite perpétuelle une conscience qui ne manque pas d’acuité : « Je crois savoir où je vais, et pourtant plus j’avance, plus je reviens sur mes pas. Je vais tout droit, mais je tourne en rond. » (JSI, 32) Il en rajoute : « Partout où j’arrive, j’ai le sentiment de revenir et je me lasse par avance de ce que je n’ai pas connu. » (JSI, 51) La formule est saisissante, car elle souligne le fait que l’altérité de l’ailleurs n’agit pas lorsque le sujet trimbale partout son manque-à-être. En définitive, tous les ailleurs se ressemblent à partir du moment où on n’y exerce aucune activité signifiante. Il insiste du reste sur cette exigence d’un faire combiné à une relation à autrui qui serait créatrice de sens : « [J]e ne vois plus ce que je suis venu faire ici [avec Elga], sinon contempler l’étendue du fossé qui nous sépare et la vacuité des phrases que nous échangeons. » (JSI, 54) Au fil de sa réflexion, le sens de sa présence à Venise se précisera : « C’est donc ça. Je suis ici pour mourir. » (JSI, 70) Comme si disparaître était la condition de l’eccéité !
REVIVRE À VENISE ?
Si l’ailleurs s’impose de la sorte comme une donnée existentielle et psychologique, qu’en est-il du choix de Venise, tant pour le personnage que pour la romancière et ses lecteurs ? La ville résonne-t-elle avec ce que vit le protagoniste ? On l’a vu, le roman réactive (mais très légèrement, sans insister) le stéréotype de la « mort à Venise » : « Je m’enfoncerai avec elle vers le néant qui m’habite et que je fuis. » (JSI, 52) Le roman exploite aussi le contraste entre splendeur extérieure et misère intérieure, la première n’arrivant jamais à sauver le sujet de la seconde.
Pour Pierre, Venise est loin d’être une destination arbitraire. D’abord, il est vaguement porté par le souhait de renouer avec son ex-femme, de réparer quelque chose. C’est à Venise qu’ils ont vécu leur voyage de noces, séjour qui, malheureusement, a tourné à la catastrophe. Venise s’était alors présentée à leurs yeux comme une « spirale infernale » (JSI, 27), une « ville sans issue » (JSI, 39) avec ses ruelles tortueuses qui ramenaient sans cesse les amants aux mêmes endroits bondés de touristes qu’ils cherchaient précisément à fuir. Malgré tout, Pierre précise : « [q]uand, par quelque hasard que nous n’aurions su reproduire, nous parvenions à nous extraire de ce dédale, la ville paraissait, il me semble, d’une rare beauté » (JSI, 27). Aujourd’hui, que peut-elle lui offrir qui le soulagerait de son mal ?
C’est par un pas de côté que Pierre (et Létourneau à travers lui) parvient à s’écarter des représentations conventionnelles de la Sérénissime. Dans la section III du roman, l’intérêt de Pierre pour la ville s’éveille au point qu’il semble enfin s’ouvrir à d’autres perspectives que celles de son déclin. On le voit s’étonner de la « merveille d’ingénierie » (JSI, 85) qui se cache sous ses ponts et palais (non seulement les pilotis qui soutiennent le tout, mais les fils électriques et les conduits d’aqueduc qu’il a fallu installer sans que rien y paraisse). Il médite le fait que dans cette ville, jamais rien n’est détruit, les nouveaux édifices devant être plutôt rafistolés à partir des anciens (observation que l’on pourrait interpréter comme une métaphore du sens qu’il cherche à donner à sa propre existence) :
Plus mon périmètre rétrécit, moins mon regard s’égare. Il n’a d’autre choix que de se poser sur les choses, sur le tissu dense de cette ville, que je détaille à l’infini. Ici, tout est fait pour durer. Les palais, les ponts, les pavés et les maisons. Les insulaires n’ont pas le luxe de détruire et de recommencer ; ils doivent sans cesse entretenir et rafistoler. Sur des fondations byzantines s’érigent des églises baroques, tout se transforme, tout est là pour rester, jusqu’à l’ancien abattoir devenu Faculté d’économie. […] C’est ce qui, au fond, fait la beauté de la ville : elle raconte une histoire.
JSI, 86
C’est dans cette section que Venise est la mieux décrite, parcourue par le narrateur qui s’en tient à ses repères intimes et entreprend de la faire sienne. De la part de l’autrice, faire voir la Sérénissime à travers le regard d’un homme revenu de tout s’avère un moyen ingénieux d’en parler sans tomber dans les représentations de cartes postales. On trouve là une manière judicieuse d’aborder dans un roman les villes-joyaux saturées de descriptions touristiques : par la voie d’une identification entre elles et la vie intérieure des personnages qui y circulent. On n’a plus à décrire de telles villes, mais on peut nommer ce qui en elles répond au parcours subjectif du personnage. Aussi, on ne trouvera dans le roman aucune allusion au palais des Doges et au Rialto. Pierre ne sort jamais du périmètre restreint qui se trouve dans la portion nord de Venise, entre les Fondamente Nove et la Fondamenta Cannaregio. La surexposition ostentatoire des beautés d’une ville comme Venise, dépeuplée de ses habitants et rendue inorganique, dit très bien la perte de l’être causée par l’industrie touristique. Pour accéder à ce qui demeure en elle d’authentique, on peut s’intéresser à ce qu’elle cache, à ses marges et à ses soubassements.
Carte en main ou à l’aide de Google Street View, le lecteur un peu curieux peut s’amuser à reconnaître à de menus détails les endroits qui forment les repères du narrateur au cours de ses promenades : ce bloc de pierre devant la Scuola Grande della Misericordia, où il aime s’asseoir ; la cour de ce bâtiment sans apprêt, au bout de la Fondamenta Cannaregio, aux trois escaliers semi-circulaires qui donnent sur la lagune, endroit en retrait et peu attrayant fréquenté par les « pauvres, chômeurs, veufs, marginaux [qui] errent en silence, sans que personne ne les dérange, sans crainte d’être exposés au bonheur des autres » (JSI, 93). Pierre s’identifie tellement à ces « nowhere men » que, dans ces lieux qu’il fréquente, il peut enfin énoncer ce rare constat : « Je suis ici chez moi. »
Ainsi, on ne saurait réduire le roman de Létourneau à la confession d’un homme aux prises avec un mal de l’âme incurable. L’extrême lucidité de Pierre l’amène à énoncer des constats qui ne valent pas que pour lui. Cet inassouvissement qui pousse vers l’ailleurs, cette difficulté à vivre l’ici et le maintenant sont des problèmes largement partagés. Commentant un texte de Jacques Brault, Pierre Ouellet écrit : « […] son autre, c’est sa solitude, c’est-à-dire lui seul comme autre de l’autre : cette altérité à lui-même que l’altérité aux autres lui aura fait subir[29] ». L’essayiste interprète cette posture comme une « subjectivité postcoloniale » décentrée quant à son identité :
La migrance identitaire ne donne plus lieu à du sujet qui s’ajoute à du sujet, en une sorte d’hybridité débridée, mais à un sujet qui se soustrait à lui-même, dans l’incapacité où il est désormais de se fonder, de se former, de se produire, parce qu’il se perçoit comme tout autre plutôt que comme l’accumulation de petits autres en lui. […] [O]n n’a plus affaire à un sujet qui change mais à un changement qui se subjective : c’est la mue qui fait le sujet et non pas le sujet qui ferait sa mouvance en tant qu’agent de son changement[30].
C’est bien là ce que vit Pierre, mais il est incapable de le formaliser et ressent donc l’altérité qu’il porte en lui-même comme une faille ontologique. Dans le roman qui suit, Létourneau présentera des personnages qui ont davantage assumé leur mobilité intrinsèque et deviennent ainsi aptes à fonder leur foyer dans l’ailleurs. Mais d’autres désillusions les attendent.
UN ENRACINEMENT DÉTERRITORIALISÉ
Le constat d’une désaffection du monde est au coeur d’Une forme claire dans le désordre (2021). Plus que jamais, l’autrice interroge le destin d’individus déracinés dans un contexte mondial par ailleurs marqué par l’hypermobilité et l’apparent décloisonnement des frontières. Ce roman, comme les précédents, met en scène des personnages qui sont à l’heure des bilans. Ils sont quatre :
Adèle : écrivaine originaire de Paris ; elle revient d’un séjour au Japon.
Thomas : musicien originaire de Brossard ; il a aussi vécu en Californie.
Yosr : photographe originaire de Tunisie.
Peter : artiste engagé originaire du canton d’Appenzell en Suisse ; avec sa femme Mia, maintenant décédée (mais dont le roman raconte la carrière), il a conçu des installations, des performances en divers lieux publics du monde.
Les protagonistes se sont connus en 2000 à la villa Médicis de Rome. Vingt ans plus tard, ils décident de se retrouver dans cette même ville. Ils ont vieilli et font des constats amers sur l’état du monde, sur le délitement de leurs idéaux artistiques et sociaux. Le roman les suit à travers leurs déambulations romaines, mais réserve aussi une section à chacun qui décrit son parcours des vingt dernières années.
À Rome, ils espèrent renouer avec « cet état d’avant », mais c’est pour constater une dégradation de la vie citadine : « Ils cherchaient à reproduire leurs habitudes d’alors, à retrouver ce qu’ils avaient aimé de cette ville, mais tout ça n’était encore qu’une mise en scène stérile. » (UFCD, 15) Plus loin : « Dans les rues et sur les places, à la Villa comme au fond d’eux-mêmes, ils n’avaient trouvé que des paysages désolés. » (UFCD, 55) Ici comme dans le roman précédent, la perspective subjective sur le lieu empêche l’altérité dont il pourrait être le vecteur de remplir sa promesse de transformation des sujets.
Il est dès lors difficile de départager ces impressions, qui concernent leur propre vie, du désenchantement généralisé devant l’état du monde. Au début de la décennie 2010, en effet, ils ont connu l’exaltation d’assister à un éveil des consciences rebelles, et même d’y participer :
[D]ans le monde entier, on avait cru sentir un vent de changement. Après la Tunisie et son croissant étoilé, les drapeaux rouges s’étaient hissés dans le ciel de Turquie, des casseroles s’étaient fait entendre dans les rues du Québec et d’Argentine, des banderoles s’étaient élevées dans les villes d’Amérique latine. Pour la première fois depuis longtemps, on aurait pu, sur la carte du monde, allumer des étoiles là où l’espoir naissait et y voir apparaître des constellations.
UFCD, 81
Après, ç’avait été le ressac : explosion à Fukushima en 2011, répressions violentes dans les pays arabes, en particulier en Syrie, attentats terroristes à Paris en 2015, attentat islamophobe à Québec en 2017. « Le temps avait passé et quand on levait les yeux vers le ciel, on ne percevait, le plus souvent, qu’une nuit grise et uniforme. » (UFCD, 81)
Aussi longtemps qu’ils ont été jeunes et idéalistes, le cosmopolitisme a été le mode de vie naturel de ces artistes. Après maints deuils et désillusions, ils en sont à chercher un ancrage :
— De quoi tu rêves, Adèle [lui demande Yosr] ?
— Peut-être… de m’enraciner quelque part ?
UFCD, 18
Cette question, Yosr la pose à toutes les personnes qu’elle rencontre (jeunes, vieux, chômeurs, femmes engagées, femmes voilées, artisans, riches héritiers, etc.) et elle tente de les photographier au moment même où elles répondent. Où en sommes-nous avec nos rêves ? Voilà sans doute la question centrale du roman et celle-ci va de pair avec le choix du lieu où nous pouvons les vivre. Ce lieu peut-il être « le monde » ou doit-il nécessairement se loger en un point précis du globe ? « Yosr savait la force de l’attachement à la ville natale, autant que l’envie de s’en arracher. » (UFCD, 22) Maintenant, c’est la Tunisie qu’elle parcourt, de manière à découvrir ce qui, de son propre pays, lui était jusque-là demeuré inconnu.
Pour Adèle, c’est plus compliqué. À son retour du Japon, elle a retrouvé « tout ce qui, de Paris, lui avait déplu, la bousculade, l’odeur du métro, les sonneries de téléphone, la cacophonie des foules, cette manie d’interrompre, de lever le bras, d’attirer l’attention, de se croire toujours plus important que les autres » (UFCD, 66). Elle s’installera finalement près des falaises d’Ouessant et fera de l’écriture un chez-soi rempli des souvenirs laissés par ses voyages.
Thomas, devenu voyageur pour échapper aux murs du bungalow de Brossard où s’est déroulée son enfance, a tenté l’aventure de la célébrité à Hollywood. Maintenant installé sur la Côte-Nord du Québec, « au milieu de nulle part », il retrouve le mouvement dans le flux des saisons et laisse les bruits de la nature inspirer ses compositions.
Peter, enfin, s’installe définitivement dans cette maison de campagne de Lavertezzo, au flanc des montagnes, qu’il avait rénovée avec Mia. Du temps qu’elle était vivante, ils voyageaient beaucoup, puisque Mia nourrissait depuis l’enfance « des envies solitaires et mobiles, l’idée de vivre libre, sans jamais jeter l’ancre » (UFCD, 30). Maintenant seul, Peter retrouve sa nature plus sédentaire.
Ainsi, sans préconiser pour autant le retour au terroir national, ce dernier roman d’Éléonore Létourneau pose clairement l’exigence d’un engagement à l’endroit du proche. En cela, elle témoigne d’une nouvelle conception de l’ailleurs qui consiste à le chercher dans ce que Georges Perec nommait l’« endotique » : « L’épuisement des ailleurs lointains se voit dès lors opposer l’infini des ailleurs proches[31] », écrit Véronique Porra. Létourneau montre en effet comment le géographiquement proche peut être abordé comme une altérité à investiguer et à inventer (au sens antique de ce mot, qui signifie « découvrir, exhumer »). Pour l’individu cosmopolite, une personne qui n’a jamais voyagé représente une curiosité, voire une énigme. Voici Yosr, soudain interpellée par ces amis « de la classe immobile, celle qui ne bougeait qu’au péril de sa vie » (UFCD, 117). Les nomades n’ont-ils pas besoin de ces êtres, gardiens de la stabilité, qui tiennent au chaud un foyer où se réfugier ?
Mais Létourneau ne s’en tient pas à cette perspective, qu’elle renverse dans l’effort de concevoir l’ailleurs comme étant tout aussi proche, le Québec se retrouvant du coup en relation de solidarité avec les autres peuples du monde. On trouve dans le plus récent essai de Pierre Nepveu des énoncés proches de ce que donne à penser le dernier roman de Létourneau :
[C]ette vision suppose que ce qui est étranger à ma propre condition et irréductible à mon identité peut toujours me devenir proche, à condition d’habiter et de perturber ma propre intimité, de réveiller des traces de ma propre vie et de ma propre mémoire, de participer à mes désirs et à mes rêves, à mes ratés et à mes insuffisances, de fouiller cette « intérieure différence » où je suis toujours en exil de moi-même, en pays perdu. […] Paradoxalement, l’expérience de la proximité ne peut commencer qu’à travers le sentiment qu’il y a du lointain dans ce qui se présente à mes sens. C’est alors seulement que le monde cesse de m’être in-différent, qu’il me touche et me concerne[32].
Plus encore, Létourneau en arrive à donner un autre tour de clé à sa réflexion sur l’ailleurs en évoquant, par le biais du discours de Yosr, les
harraga, ces migrants brûleurs de frontières, qui travers[ent] la mer dans l’espoir d’une vie meilleure, pour ne trouver en Europe qu’une autre misère, une misère citadine, de grisaille, de violence, de petits boulots au noir jusqu’à la fuite obligée, jusqu’à recommencer toujours quelque part ailleurs
UFCD, 39
L’ailleurs a une tout autre résonance pour ces êtres. Leur réalité à elle seule suffit à nous détourner d’une exotisation qui en ferait l’horizon d’une jouissance programmée, ou encore d’une définition idéalisée du « citoyen du monde ». Dans sa thèse sur le « chez-soi », Marie Parent s’appuie sur la réflexion de la critique canadienne Diana Brydon pour énoncer une critique des apories du cosmopolitisme proche de celle que l’on peut dégager du roman de Létourneau :
Diana Brydon résume bien le dilemme dans lequel se trouvent plongées les cultural studies : on hésite entre une conception du home qui favoriserait une forme de citoyenneté mondiale se concrétisant dans des formes d’habitation cosmopolites, ou bien une conception environnementale qui promouvrait un attachement à la Terre, à la planète. Ces modèles alternatifs créent toutefois un nouveau problème en proposant la vision d’un monde « délocalisé », où les plus vulnérables trouvent difficilement leur place. Brydon souligne qu’un monde sans frontières, où tout le monde développe l’habileté d’être partout chez soi, ne permet pas d’éliminer les relations de pouvoir qui structurent l’organisation sociale, au contraire. L’ethos du « citoyen du monde » convient le plus souvent aux privilégiés[33].
Devant ces flux migratoires, nous suggère le roman de Létourneau à travers les choix de ses personnages, il est temps d’aménager l’espace du proche comme un lieu hospitalier auquel ces exilés pourront venir se greffer. Là encore, elle rejoint la réflexion de Parent : « La constitution d’un home à l’écart de la société (par sa localisation ou sa composition) devient une façon d’exister contre elle, de la refaçonner, de la travailler depuis ses frontières[34]. »
Dans cette perspective, le proche n’a plus rien de commun avec le local ou le natal : il peut être déterritorialisé et dispersé. Il s’agit avant tout d’un lieu aménagé comme un espace de solidarités. Il est significatif, de ce point de vue, que le roman ne comporte aucun personnage central mais bien, comme il est dit à la toute fin, « une drôle de bande, disloquée et intime à la fois » (UFCD, 134). Je serais tenté de dire, pour reprendre le titre d’un célèbre essai de Jean-Luc Nancy, une communauté désoeuvrée[35]. Communauté rendue impossible, mais qui insiste : être-en-commun qui reste à définir. Déçus de n’avoir pu changer le monde à large échelle, les protagonistes du roman se replient dans une forme d’isolement, ce qui pourrait nous conduire à penser qu’ils reproduisent là un autre syndrome québécois, celui relevé par Isabelle Daunais du « roman sans aventure[36] », lequel, pour résumer la thèse, présenterait un protagoniste incapable d’affronter les contradictions du monde et de se laisser transformer par elles, et qui pour cette raison choisirait de cultiver son jardin à l’écart du tumulte de la vie sociale. Une telle lecture me semblerait négliger le fait que les protagonistes du roman de Létourneau ont au contraire acquis un savoir sur eux-mêmes et sur l’état du monde. Leur militantisme s’est heurté aux impasses d’un cosmopolitisme devenu l’autre forme du colonialisme. Ils ont tout de même pris la mesure des aires géopolitiques en train de se redessiner, des identités nationales en pleine mutation. Leur petite communauté est « disloquée », à l’image des sociétés humaines, mais tout de même « intime », ce qui annonce l’espoir qui les anime encore « d’une force lente, traversant les années autant que les frontières, une lame de fond, une marée, une vague, qui revient, qui soulève, qui remue jusqu’à l’inerte » (UFCD, 135). Leur repli est donc stratégique. Le roman se clôt en effet sur une question ouverte : « Qu’allaient-ils faire, maintenant ? » On peut prévoir que, dans l’oeuvre à venir de Létourneau, ce « maintenant » se conjuguera à un « ici » capable d’accueillir tous les ailleurs du monde.
Létourneau n’est du reste pas la seule à lancer la littérature québécoise vers un déverrouillage des frontières, comme l’observe aussi Michel Biron : « L’action et les personnages se situent certes hors du pays, mais comme tout est connecté à l’ère de la mondialisation, il n’y a plus vraiment d’opposition entre ici et ailleurs[37]. » Les dernières années ont vu la sortie de quelques romans qui tendent à montrer l’intime relation que le Québec entretient avec d’autres contrées du monde. L’éloignement manifesterait, écrit encore Biron, « une subjectivité élargie, décentrée et qui se projette hors de soi, dans un autre soi-même décentré[38] ». Après nous avoir plongés au coeur du Burkina Faso et du Sénégal[39] dans ses deux premiers romans, Bianca Joubert explore dans Couleur chair[40] la mémoire africaine venue à la rencontre des mémoires autochtones et canadienne-française. La narratrice de ce récit, née tout comme l’autrice à Montmagny, retrace ses origines jusqu’à une aïeule micmaque élevée par des Blancs, mais qui aurait été amoureuse d’un ancien esclave américain réfugié au Québec. Ce parcours généalogique entraîne la narratrice jusqu’à l’île de Gorée, d’où serait parti cet ancêtre. Hélène Rioux, qui n’est pourtant pas de la même génération, semble faire écho à ce projet narratif lorsqu’elle fait dire au narrateur de son dernier roman : « j’irai un jour en Afrique, je trouverai sur ce continent un destin à faire émerger des ténèbres, une nouvelle âme abandonnée que je rendrai à la lumière[41] ». Quant à Geneviève Rochette, elle propose dans Ofilao[42] une fiction inspirée de sa propre vie lorsqu’elle entraîne sa narratrice jusqu’en Guadeloupe, où vit sa grand-mère, occasion pour elle de faire dialoguer Gaston Miron avec Aimé Césaire, Alain Grandbois avec Saint-John Perse. Jean-Simon DesRochers, enfin, auteur qui jusqu’ici avait fait se rencontrer ses multiples personnages dans des espaces confinés, entrelace et juxtapose cette fois dans un roman au titre éloquent, Le monde se repliera sur toi[43], les destins d’individus qui vivent aux quatre coins du globe mais se trouvent tous rattachés les uns aux autres, le plus souvent à leur insu. On ne saurait parler ici d’un mouvement concerté ou d’une école de pensée, mais on constatera que, pour nombre d’auteurs et autrices du Québec contemporain, il n’y a pas d’erreur : si l’ailleurs est l’un des chemins empruntés par le sujet pour se dégager du quant-à-soi et des identités sclérosantes, il est néanmoins indissociable du besoin de se trouver un chez-soi ou de redéfinir les frontières du lieu donné.
Parties annexes
Note biographique
DOMINIQUE GARAND est professeur au département d’études littéraires de l’UQAM et codirecteur du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture au Québec (CRILCQ). Il enseigne la rhétorique, l’analyse du discours et les fictions de l’histoire. Spécialiste du discours polémique et de l’agonistique littéraire, il a publié plusieurs ouvrages et articles sur le sujet, dont Portrait de l’agoniste : Gombrowicz (Liber, 2003) et Un Québec polémique. Éthique de la discussion dans les débats publics (Hurtubise, 2014). Il est aussi l’auteur d’un essai sur la tradition littéraire québécoise, Accès d’origine ou pourquoi je lis encore Groulx, Basile, Ferron… (Hurtubise, 2004 ; prix Jean Éthier-Blais). En 2015, il a fait paraître aux Éditions Leméac un premier roman, Florence, reprise, classé par la revue L’Inconvénient parmi les vingt meilleurs romans publiés entre 2000 à 2020.
Notes
-
[1]
Voir en particulier : Jean-Didier Urbain, L’envie du monde, 2e édition, Paris, Éditions Boréal, 2018, 294 p. ; Rodolphe Christin, Manuel de l’anti-tourisme, nouvelle édition revue et augmentée, Montréal, Écosociété, coll. « Polémos », 2017, 141 p. ; Thangam Ravindranathan, Là où je ne suis pas. Récits de dévoyage, Paris, Presses universitaires de Vincennes, coll. « L’imaginaire du texte », 2012, 312 p.
-
[2]
Cité par Pierre Ouellet, L’esprit migrateur. Essai sur le non-sens commun, Montréal, VLB éditeur, coll. « Le soi et l’autre », 2005 [Trait d’union, 2003], p. 51.
-
[3]
Éléonore Létourneau, Une forme claire dans le désordre, Montréal, VLB éditeur, 2021, p. 86. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle UFCD suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
-
[4]
Les travaux de Rodolphe Christin font état de ce désenchantement de manière insistante. Voir, entre autres : L’imaginaire voyageur ou l’expérience exotique (Paris/Montréal, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 2000, 238 p.), Anatomie de l’évasion. Pour d’autres rapports au monde (Paris, Homnisphères, coll. « Voies autonomades », 2005, 149 p.) et L’usure du monde. Critique de la déraison touristique (Montreuil, L’Échappée, coll. « Pour en finir avec », 2014, 107 p.).
-
[5]
Si l’on se fie à Pierre Loti, cette uniformisation a de longue date précédé le pullulement des chaînes de restauration rapide à travers le monde. Dès 1887, Loti voyait venir « un temps où la Terre sera bien ennuyeuse à habiter, quand on l’aura rendue pareille d’un bout à l’autre, et qu’on ne pourra même plus essayer de voyager pour se distraire un peu ». Cité par Patrick Née, L’Ailleurs en question. Essais sur la littérature française des xixe et xxe siècles, Paris, Hermann, coll. « Savoir. Lettres », 2009, p. 17. La banalisation de l’ailleurs aurait débuté avec le développement des réseaux ferroviaires et routiers qui, en plus de réduire la distance temporelle entre les lieux, ont complètement redessiné le paysage. J.-D. Urbain définit ce passage comme une « révolution cinétique » (voir L’envie du monde, p. 68-69).
-
[6]
Ici, c’est à Baudelaire qu’il faut remonter, le premier à avoir diagnostiqué cette désillusion : « Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !/Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,/Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image : /Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui ! » Charles Baudelaire, « Le voyage », v. 109-112, Les fleurs du mal (1857).
-
[7]
Vincent Brault, Le fantôme de Suzuko, Montréal, Héliotrope, 2021, 199 p.
-
[8]
Mathieu Rolland, Souvenir de Night, Montréal, Boréal, 2020, 166 p.
-
[9]
François Gilbert, Coma, Montréal, Leméac, 2012, 118 p.
-
[10]
Perrine Leblanc, L’homme blanc, Montréal, Le Quartanier, coll. « Polygraphe », 2010, 173 p. Paru en France sous le titre Kolia (Paris, Gallimard, 2011, 161 p).
-
[11]
Serge Lamothe, Oshima, Québec, Alto, 2019, 285 p.
-
[12]
Il est tentant de voir dans ce geste littéraire une manière de rejouer sur un mode futuriste Les voyages de Marco Polo d’Alain Grandbois (Montréal, Éditions Bernard Valiquette, 1941, 229 p.). Dans les deux cas, et bien que les situations temporelles soient complètement différentes, il s’agit de réenchanter le monde et de sauver l’héritage de la civilisation.
-
[13]
C’est ce qu’établissent les travaux de Pierre Rajotte consacrés aux récits de voyage publiés au Québec : « Rappelons qu’au cours du xixe siècle et au début du xxe siècle, on voyage bien souvent dans le but de commémorer un patrimoine culturel et religieux. […] Pour les voyageurs, il importe d’aller contempler les sites, les monuments et les vestiges qui témoignent du fondement de leur identité collective et de leur culture religieuse. Aussi leur réaction la plus courante consiste-t-elle à se servir de la culture de l’Ailleurs et de l’Autre pour conforter la leur, et plus précisément à retrouver les traces de leur propre culture dans celle de l’Autre. » (Pierre Rajotte, « Les récits de voyage des années 1940. Vers “l’exceptionnelle occasion d’un réveil” », Voix et Images, vol. XLI, no 2, hiver 2016, p. 45.) Rajotte ajoute que cet ethnocentrisme s’efface progressivement à partir des années 1940, mais qu’on le retrouve dans certains récits qui, devant les cultures étrangères, s’emploient à faire la promotion de la réalité québécoise.
-
[14]
En guise d’exemples, parmi de nombreux autres : La chair décevante de Jovette Bernier (1931), Voyage en Irlande avec un parapluie de Louis Gauthier (1984), Carnets de naufrage de Guillaume Vigneault (2000), L’homme et l’enfant maure d’Albert Martin (1998), La femme du peintre de Monique Durand (2003).
-
[15]
L’idole de Louise Desjardins (2017), L’or des Indes de Pierre Gélinas (1962), Les voies de la disparition de Mélissa Verreault (2016), La femme de Valence d’Annie Perreault (2018), La première personne de Pierre Turgeon (1980), HKPQ de Michèle Plomer (2009).
-
[16]
Chasse à l’homme de Sophie Létourneau (2020), Ainsi font-elles toutes de Marie-Ève Lacasse (2005), Petit manuel des amours toxiques de Véronique Papineau (2018).
-
[17]
Des nouvelles d’Édouard de Michel Tremblay (1984), Une liaison parisienne de Marie-Claire Blais (1975), La neige et le feu de Pierre Baillargeon (1948), La concierge du Panthéon de Jacques Godbout (2006), Cuba libre de Gabriel Anctil (2019), Parigi ! Parigi ! de Marc Doré (2007).
-
[18]
Les tulipes noires de Danielle Dubé (1984), Du sel sur la peau de Louise Cartier (1998), la trilogie Les aventures de Benjamin Tardif de François Barcelo (1989-1992), Les falaises de Virginie DeChamplain (2020), Le grand départ d’Henri Lamoureux (1993).
-
[19]
Le serment aux poissons de Patrice Lessard (2011), La pêche blanche de Lise Tremblay (1994), XX [Hecho en Mexico] de François Landry (2003), En chemin je t’ai perdu de Martin Robitaille (2012).
-
[20]
Marie Parent, L’Amérique à demeure. Représentations du chez-soi dans les fictions nord-américaines depuis 1945, thèse de doctorat, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2016, 475 f.
-
[21]
Ibid., f. 10 et f. 11.
-
[22]
Ibid., f. 11.
-
[23]
Éléonore Létourneau, Notre duplex, Montréal, XYZ éditeur, coll. « Quai no 5 », 2014, p. 14 et p. 17. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle ND suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
-
[24]
La liste pour en témoigner serait longue. Voir à ce sujet : Dominique Garand, « D’enchantements en désillusions : l’expérience de la France dans le roman québécois, de 1930 à aujourd’hui », Gerardo Acerenza, Marco Modenesi et Myriam Vien (dir.), Regards croisés sur le Québec et la France, Città di Castello, I Libri di Emil, 2022, p. 51-75 ; Yan Hamel, Paris en miettes, Montréal, Boréal, 2023, 208 p.
-
[25]
Éléonore Létourneau, Il n’y a pas d’erreur : je suis ici, Montréal, XYZ éditeur, coll. « Quai no 5 », 2018, p. 25. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle JSI suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
-
[26]
« Toujours ramener l’inconnu au connu et parcourir le monde en touriste, en n’éprouvant jamais le sentiment de sa propre étrangeté, voilà sans doute l’une des définitions possibles de la bêtise. Venise, en ce sens, est la capitale de l’idiotie quand elle cesse de surprendre et suscite l’ébahissement obligé. Lieu commun du consumérisme, rond-point de tous les clichés, l’admirable Venise devient désolante dès lors que sa grâce légendaire se consume dans le spectacle apprêté de son propre prestige. » Paul Klein, à propos du livre de Regis Debray, Contre Venise, Paris, Gallimard, 1995, 74 p. Citation trouvée sur Babelio : https://www.babelio.com/livres/Debray-Contre-Venise/38015 (page consultée le 12 octobre 2022).
-
[27]
Marie Parent, L’Amérique à demeure, f. 3.
-
[28]
Le narrateur, est-il précisé dès les pages liminaires, rédige sa confession : « Je noircirai les pages jusqu’à y voir plus clair. Jusqu’à exhumer le squelette de mes années mortes, retracer les grandes lignes de ma trajectoire, restaurer les passages dérobés de ma mémoire. » (JSI, 10)
-
[29]
Pierre Ouellet, L’esprit migrateur, p. 37 ; Ouellet souligne.
-
[30]
Ibid., p. 38.
-
[31]
Véronique Porra, « Épuisement de l’exotisme et voyage en creux. Sur une redéfinition de l’ailleurs et de l’altérité dans les années 2010 », Revue critique de fixxion française contemporaine/Critical Review of Contemporary French Fixxion, no 16, juin 2018, p. 9, en ligne : http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org/rcffc/article/view/fx16.01/1237 (page consultée le 10 octobre 2022).
-
[32]
Pierre Nepveu, Géographies du pays proche. Poète et citoyen dans un Québec pluriel, Montréal, Boréal, coll. « Papiers collés », 2022, p. 89 et p. 84 ; Nepveu souligne.
-
[33]
Marie Parent, L’Amérique à demeure, f. 14.
-
[34]
Ibid.
-
[35]
Jean-Luc Nancy, La communauté désoeuvrée, Paris, Christian Bourgois, coll. « Détroits », 1990, 197 p.
-
[36]
Isabelle Daunais, Le roman sans aventure, Montréal, Boréal, 2015, 222 p.
-
[37]
Michel Biron, « Je ne suis pas là », L’Inconvénient, no 89, été 2022, p. 58.
-
[38]
Ibid.
-
[39]
Bianca Joubert, Le brodeur, Montréal, Marchand de feuilles, 2012, 160 p. ; Le léopard ne se déplace pas sans ses taches. Histoires naturelles, Montréal, Marchand de feuilles, 2016, 151 p.
-
[40]
Bianca Joubert, Couleur chair, Québec, Alto, 2022, 189 p.
-
[41]
Hélène Rioux, Inventeurs de vies, Montréal, Leméac, 2022, p. 50-51. Rioux est par ailleurs l’autrice d’une série de quatre romans publiés de 2007 à 2019 et regroupés sous le titre générique Fragments du monde : dans un restaurant montréalais appelé Le Bout du monde transite une galerie de personnages dont on suit, en des chapitres entrecroisés, les déambulations à travers le monde.
-
[42]
Geneviève Rochette, Ofilao, Montréal, Mains libres, 2022, 225 p.
-
[43]
Jean-Simon DesRochers, Le monde se repliera sur toi, Montréal, Boréal, 2022, 244 p.