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Introduction

Notre société aurait-elle peur du silence, de ce silence qui accompagne par exemple la réflexion, la sidération, l’éblouissement, ou plus simplement la lecture ou encore la vue d’un spectacle qui réjouit ? La question mérite d’être posée. Une simple interrogation sur le moteur de recherche Google avec l’expression « silence inquiétant » renvoie plus de 31 500 000 réponses !

Notre société ne saurait-elle plus attendre ? On ne supporte plus d’attendre l’arrivée du train ; on appelle pour dire que l’on est bien dans le train (comme prévu), puis que le train devrait être à l’heure (ce qui est normal et probable) et que tout va bien (ce qui est normal et probable à 99 %). Et l’on arrive à l’heure prévue. Normalement. Idem pour le colis que l’on attend : à tout moment, moyennant un service payant, l’on peut savoir précisément où il en est de son acheminement. Idem encore pour votre journal : vous pouvez recevoir l’information de ce qui sera dans votre journal de demain. D’ailleurs, comment attendre le journal de demain alors que l’information pourrait être disponible en temps réel ?

Notre société ne saurait-elle plus se taire ? Peut-on ne pas twitter ou live-twitter ? Peut-on ne pas « liker » sur Facebook ? Ne pas commenter ? Ne pas blogger ? Ne pas partager ? Ne pas prescrire sur les réseaux sociaux (Stenger, 2011) ?

Parmi la liste des cent plus grands hommes de l’histoire, pas un seul n’a connu Twitter, Myspace, Facebook, Flickr et les autres médias sociaux. Une conclusion s’impose : ils ne devaient pas savoir communiquer ! Or il faut communiquer ! Le discours ambiant nous enveloppe de cette double injonction communicationnelle technicisant nos relations humaines : l’injonction de connexion (être joignable à tout moment et en tout lieu grâce aux technologies de communication – position de disponibilité) et l’injonction de participation à l’activité de l’orchestre communicationnel – position d’activité. Confusion, sans doute, entre modernité, connectivité et progrès…

Cette frénésie communicationnelle peut-elle être durable ? Ou, pour repartir du terme anglo-saxon sustainable, est-elle soutenable ? Supportable sur le long terme ? C’est bien la notion même de pratique communicationnelle durable qu’il nous faut interroger, non pas dans un état d’esprit passéiste qui soutiendrait que la communication avant les TIC était meilleure, plus profonde, plus humaine, mais parce que les rapports sociaux et économiques se construisent de plus en plus massivement sur ce modèle séduisant d’hyper-communication et que l’on nous explique - une nouvelle fois - qu’il n’y a pas d’autre voie.

La « communication durable » selon les professionnels

Bref retour aux origines de la problématique « durable »

L’expression « développement durable » a, en quelque sorte, fait officiellement son entrée dans le champ des questions contemporaines avec la parution du rapport Bruntland en 1987. Non pas que l’idée d’un développement soutenable en ce qu’il n’épuise pas les ressources nécessaires aux générations futures (littéralement : sustainable development) fut tout à fait neuve[1], mais le fait que l’Organisation des Nations Unies juge pertinente de travailler sur le sujet a contribué à inscrire la question dans les agendas gouvernementaux, dans les préoccupations d’un plus grand nombre d’acteurs et dans les colonnes des médias.

Le terme « communication » est présent vingt-quatre fois dans le texte de ce rapport. Il n’y est associé qu’au progrès technologique, à la productivité, à l’idée d’échange d’information nécessaire à toute évolution positive. De réflexion sur la notion de pratique communicationnelle durable, point. Le sujet, à l’évidence, était autre.

L’expression « développement durable » et ce qu’elle semblait induire ont connu depuis lors non pas un engouement immédiat mais une montée en puissance constante. Des secteurs d’activité de plus en plus nombreux ont inscrit la notion de durabilité au sens large dans leurs préoccupations sous diverses appellations constituant un maquis sémantique, conceptuel et pratique (développement responsable, écologique, raisonné, soutenable...). Parmi ces secteurs, l’un nous intéresse tout particulièrement : celui des professionnels de la communication.

Des professionnels de la communication à la recherche d’un concept exploitable

En France, trois approches de la question communicationnelle ont émergé dans le sillage de la réflexion en termes de développement durable, approches que l’on décèle par exemple dans la succession de textes publiés par l’Union des Annonceurs[2] entre 2004 et 2011. La première approche est la communication sur le développement durable, qui suggère d’orienter les actions de communication vers la valorisation des actions procédant du développement durable dans l’organisation, un développement durable présenté comme gage de rentabilité future (UDA, 2004)[3]. Cette première approche, très en vogue, a rapidement conduit à des excès dénoncés de part et d’autre sous l’appellation greenwashing[4].

La deuxième approche est l’éco-conception des produits de communication. Celle-ci recommande de limiter au strict minimum l’impact environnemental des actions de communication menées, tant dans l’agence que du côté de l’annonceur[5]. The Institute for Sustainable Communication, le plus visible sur Internet des organismes américains travaillant sur ce sujet, suit cette approche :

The extent to which we communicate, learn, collaborate and coordinate our actions in a sustainable manner will determine the fate of humanity and the quality of life enjoyed by current and future generations. […] ISC's mission is to raise awareness, build capacity and foster the widespread adoption of economically viable, environmentally restorative and socially constructive uses of print and digital media[6].

L’expression « éco-communication » serait, semble-t-il, en passe de remplacer l’expression « communication durable » (Marquat, 2012).

La troisième et dernière approche est dite communication responsable. Elle s’efforce de conférer un caractère éthique aux pratiques de communication mises en oeuvre par les professionnels[7]. Elle doit « toucher la conscience civile de la personne et porte sur des éléments d’information (performances, conduite, stratégie, culture, gouvernance, éthique, valeur) » alors même que

l’entreprise se retrouve dans une situation étrange ou la communication doit rester responsable même si elle a affaire à des citoyens qui ne seront pas toujours des consommateurs responsables tout en intégrant ses impératifs en terme de compétitivité par rapport à une pression concurrentielle sans cesse accrue. Il paraît donc délicat pour celle-ci de cerner le juste territoire d’une communication responsable.

Desbos, 2005, p. 6

Si le principe peut sembler solide, en pratique les discours sont plus équivoques. Ainsi, L’Association pour une communication plus responsable affiche-t-elle l’ambition de « promouvoir une évolution des métiers de la communication d’une posture …] encore très défensive et encore orientée vers la croissance à tout prix, vers une envie d’assumer pleinement son rôle et ses responsabilités sociales dans les changements des modes de vies et de consommation auxquels aspirent le public » […] afin de redonner « au communicant la place de dénicheur de tendances émergentes et de pionnier des nouveaux modes de vies qu’il avait il y a 20 ou 30 ans. »[8]. Manifestement, les mêmes termes ne donnent pas lieu aux mêmes interprétations.

En somme, sur la base des discours des acteurs de terrain français et américains[9], la communication « durable » apparaît comme une pratique professionnelle consistant à réduire au maximum l’impact sur l’environnement d’une communication qui doit focaliser (autant que faire se peut) sur les efforts de développement durable (composante ressources) et responsable (composante sociétale) engagés par l’organisation.

Cette vision professionnelle sectorielle du sujet, telle qu’elle se dégage de l’analyse des discours et des pratiques, ne nous semble pas suffire à embrasser le concept de pratiques communicationnelles durables.

Vers des pratiques communicationnelles durables ?

Introduction du temps long dans l’analyse

Toute réflexion en termes de durabilité introduit le temps long dans l’analyse. Elle ne se satisfait pas d’une étude de situation à un moment du temps (l’instant « t »), ni même de la simple comparaison de deux instants (« t » et « t+1 ») ou de la distinction du temps d’avant (ex ante) et du temps d’après réalisation (ex post). Elle ne privilégie pas le temps court, l’optimisation immédiate, la comparaison de séquences successives.

Le temps long de la réflexion en termes de durabilité, comparable en ce point à celui des démographes, pense en termes de « générations futures ». Ce temps long ne peut donc être que celui de la prospective, hasardeux car, au-delà d’une certaine période de temps, la prévision devient impossible. Il est aussi un temps volontariste, philosophique et politique. Volontariste car l’atteinte des objectifs demande une patience que seule une volonté constante permet d’espérer atteindre, sans garantie aucune pour les acteurs d’aujourd’hui que demain connaîtra des bénéficiaires de leurs actions. Philosophique et politique, car il est indissociable d’une conception du bonheur et de l’équilibre de l’Homme considéré individuellement, mais aussi des générations futures d’hommes à venir qui peupleront la planète, l’une et l’autre étant susceptibles d’évoluer précisément au fil des générations.

L’introduction du temps long pourrait nous conduire à une sorte de découragement keynésien en ce sens que Keynes privilégiait l’analyse à court terme en arguant du fait que « à long terme, nous sommes tous morts »… Pourquoi, donc, nous interroger sur un hypothétique équilibre communicationnel ? Pour des raisons éthiques et philosophiques, parce que l’observation des effets des pratiques actuelles de communication ne laisse pas indifférent : le temps de la pensée chassé par la préférence pour l’action immédiate (Le Deuff, 2011) et le développement d’une pensée comprimée qu’Alloing qualifie de « web des corps gras » (Alloing, 2010) ; la culpabilisation de la non-réactivité ou, pire, de la non-connection en raison notamment d’une « chrono-compétition entre entreprises » conduisant à une « colonisation du temps privé par le temps professionnel » (Jauréguiberry, 2010) ; le transfert de certains coûts de communication sur l’individu, sommé de dépenser en équipements et abonnements pour se connecter ; la remise en cause de la frontière entre vie privée et vie publique (Manach, 2010, p. 224) ; le traçage informatique ; l’impossible apprentissage permanent des évolutions des multiples outils (Agostinelli, 2003, p. 15). Aucun espace communicationnel ne semble préservé. Au sein même de notre communauté de chercheurs, le mouvement naissant de slow science semble indiquer l’émergence d’une prise de conscience de la vanité et la vacuité d’une course à la communication chez les scientifiques, quelque pression qu’ils subissent en ce sens. En témoigne le manifeste du mouvement :

We are scientists. We don’t blog. We don’t twitter. We take our time. […] We do need time to think. We do need time to digest. We do need time to misunderstand each other, especially when fostering lost dialogue between humanities and natural sciences. We cannot continuously tell you what our science means; what it will be good for; because we simply don’t know yet. Science needs time[10].

Des définitions de la communication qui excluent le temps ?

L’auteur de ces lignes a vainement cherché (mais peut-être a-t-il mal cherché ?) parmi les approches pragmatiques, fonctionnalistes, interprétatives… une définition de la communication qui introduise la dimension temporelle explicitement et de manière forte avec un regard en termes de temps long. Lorsque la communication n’est pas confondue avec l’information, c’est couramment l’idée de partage qui prévaut, lequel implique une circularité dans l’échange, et donc implicitement du temps. D. Wolton (2009) insiste sur une évolution majeure en ce domaine :

On observe le même changement de sens du mot communication. Celui-ci signifie beaucoup moins aujourd’hui le sens classique de partage de valeurs communes, que l’idée de cohabitation liée à la nécessité de faire tenir ensemble des logiques disparates. Hier, communiquer, c’était partager, réunir, ou unir. Aujourd’hui c’est beaucoup plus cohabiter et gérer les discontinuités.

Lesquelles impliquent une perspective de durabilité. En revanche, la dimension temporelle apparaît dès qu’est exposée la notion de « système de communication ». Ainsi, chez Alex Mucchielli (2006) :

Un système de communications, au sens de la systémique qualitative des communications, est un ensemble récurrent, régulier et repérable de formes d’échanges existant, dans une certaine temporalité, entre des acteurs participant d’un cadre d’action pertinent, ensemble qui entraine les acteurs dans sa dynamique propre.

2006, p. 17

La question semble donc moins devoir être formulée en termes de communication que de système de communication, donc de pratiques renouvelées, régulières.

Notion de « pratiques communicationnelles durables »

Que peuvent-être, compte-tenu des éléments d’analyse que nous avons rassemblés jusqu’à présent, des pratiques communicationnelles durables ? En quoi le concept de « durabilité » des pratiques communicationnelles, autrement dit l’idée même de pratiques supportables sur le long terme en ce qu’elles n’hypothèquent pas l’existence et la qualité de communications futures, peut-il consister ?

Il nous semble que communiquer sur le développement durable, par des procédés éco-conçus et d’une manière socialement responsable ne suffit pas à décrire ce dont il s’agit. Nous ne négligeons pas l’approche des professionnels, qui cherchent à préserver l’avenir de leur métier, mais elle nous semble ne pas décrire, ni même résumer le coeur du sujet.

À ce stade de conceptualisation, notre propos ne pourra être qu’exploratoire, prélude à de plus longs approfondissements à venir.

Par nature, la communication est un acte relationnel qui s’inscrit à la fois dans l’instant (la communication qui s’opère), éventuellement dans le passé (les empreintes laissées par des communications antérieures) et dans le futur en ce qu’elle est une promesse de relation à venir (D’Almeida, 2012). Nous suggérons que « des pratiques communicationnelles durables sont des pratiques qui n’épuisent pas les possibilités et promesses d’une relation future pérenne par un frénétique trop plein technologique, informationnel, passionnel, visuel, conversationnel, persuasif, etc. de la relation actuelle, risquant de conduire à ce qu’il conviendrait peut-être de nommer une saturation, un écoeurement, un burn out communicationnel ou un « information overload »[11].

Certes, la pyramide des besoins du sociologue Abraham Maslow nous enseigne que, chez le commun des mortels, le besoin de communication est une aspiration perpétuelle et par conséquent qu’une saturation ne peut être que temporaire (sauf cas rares). Mais celle-ci peut provoquer des ruptures (du lien) et des rejets (d’outils). Une pratique cesse, quitte à reprendre sous une autre forme, sur une nouvelle plateforme de services, par exemple. C’est le cas lorsque des personnes se désabonnent de services de communication en ligne tels Viadeo pour rejoindre Linkedin ou Facebook pour Snapchat. C’est aussi le cas lorsqu’elles se désabonnent de newsletters non demandées et répétées pour finalement reprendre de nouveaux abonnements.

Précisons que nous ne souscrivons pas à l’idée qu’une pratique communicationnelle durable est une pratique statique, figée, au regard des outils employés. Au contraire, elle est normalement évolutive. Mais la question du lien relationnel est au coeur de la préoccupation et doit servir de repère primordial à toute analyse qui se consacre aux outils.

L’étude des pratiques communicationnelles peut emprunter plusieurs voies, que nous développerons ultérieurement. Esquissons simplement l’une des pistes de travail envisageables.

Sur la base du très classique modèle émetteur-récepteur, une pratique communicationnelle durable peut être interrogée en termes d’économie de l’attention du récepteur, dans le sillage du texte fondateur de Herbert Simon (1971) et des nombreux travaux produits depuis : l’abondance de communications « webmédiées » crée une rareté de l’attention disponible du récepteur. De même, une approche de la réception par l’économie de la vigilance (Oury, 1983) méritera d’être menée. La vigilance présente cette spécificité de ne pas donner l’apparence d’un travail. Elle « ne consomme pratiquement ni matière, ni énergie ; elle ne produit rien de directement mesurable en ces termes » (Oury, 1983, p. 19). Des flux d’information extrêmement rapides soutiennent-ils la vigilance en lui donnant l’occasion de se révéler utile, dès lors que la vigilance ne justifie son utilité que lorsqu’elle détecte quelque chose de recherché ? Ou bien l’abondance et la frénésie des échanges d’information endorment-ils la vigilance en noyant les signaux utiles dans les flux constants ? Une pratique durable de veille, par exemple, gagne-t-elle à multiplier les abonnements à des flux RSS ?

Concernant les canaux de communication, sans doute faut-il aborder la question de leur stabilité dans le temps, de leur disparition, du passage d’une formule gratuite à une formule payante ou, à l’inverse, d’un coût élevé à un coût réduit, et de leur impact en matière de pratique communicationnelle[12]. En France, les exemples d’abandon de la diffusion papier de certains journaux au profit de versions numériques, de cohabitation des deux formules seront des cas intéressants à explorer de ce point de vue. Écrire par courrier à un journal, lui envoyer un email, réagir sur les pages numériques qui en offrent la possibilité, commenter ses articles, signaler son approbation ou sa désapprobation sont autant de modifications du rapport de communication qui s’établit entre le journal et son lecteur, au-delà d’un simple rapport d’information.

Pour ce qui est de l’émission, enfin, une attention doit être portée à l’évolution des pratiques d’engagement de la communication : passage de l’écrit long à l’écrit court[13] ; substitution de l’infographie au texte ; réduction du nombre d’émissions de messages ou, au contraire, accélération de leur rythme ; évolution des signes à vocation phatique. Ainsi, la pratique du spam est-elle, à notre sens, contraire à l’établissement d’une pratique communicationnelle durable avec l’internaute. Cette sollicitation systématique, non désirée, lourdement insistante est davantage de nature à créer une image négative de l’émetteur qu’à engendrer une communication durable avec l’internaute. La création de communautés auxquelles l’internaute adhère volontairement semble de nature plus pérenne à la condition que cette communauté soit animée, quand bien même une interruption correctement organisée de sa communication avec un consommateur peut déclencher un regain d’intérêt de celui-ci à l’égard d’une entreprise, par exemple, et le conduire à accroître le temps qu’il lui consacre en ligne (Xia et Sudharsan, 2002). L’évolution des pratiques de community management sera donc intéressante à suivre dans le cadre de l’étude des pratiques communicationnelles durables.

Conclusion

Cette note de réflexion s’interrogeait sur la transposabilité de la notion de « durabilité » à la question communicationnelle, au-delà de la tentation suscitée par un effet de mode. Notre réponse est positive.

Nous avons pu démarquer ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler en France « communication durable » ou « communication responsable » d’une problématique plus globale, plus sociétale, celle de la pérennité de pratiques communicationnelles rendue possible par leur caractère « supportable » pour les individus et les organisations (sans atteindre la saturation) et « soutenable » (en termes d’efforts à consentir). Par exemple, un individu bloggeur et utilisateur compulsif de Twitter peut parfaitement être soucieux de développement durable en limitant l’impact écologique de son activité, agir de manière responsable dans les propos qu’il tient et malgré tout mettre en place des pratiques communicationnelles avec ses lecteurs et abonnés qui finissent par lasser ceux-ci en raison du rythme (trop rapide ou trop lent) de sa production ou atteindre les limites de sa propre disponibilité de « pronétaire » (De Rosnay). Les récepteurs réduisent alors leur attention à ses messages et leur vigilance quant au contenu de ceux-ci. La pratique communicationnelle n’est donc pas durable.

Là est le risque. L’enjeu peut être uniquement personnel, très limité ; le risque est alors mince et ne mérite sans doute pas une étude approfondie. Mais il est des domaines dans lesquels la problématique est forte. Qui n’a pas au moins été tenté de mettre en « indésirables » des mails d’annonces et d’informations du journal en ligne auquel il s’est malgré tout abonné ? Quid de l’avenir de la communication entre ce journal et ses abonnés ? Qui n’a pas été débordé par l’accumulation des tweets qui lui sont arrivés s’il est resté ne serait-ce qu’une journée sans les consulter ? Retrouver un tweet parvenu vingt-quatre heures plus tôt est parfois difficile étant donné l’abondance de la réception et demande un savoir-faire. Quid de la pérennité de Twitter s’il doit s’écrouler sur lui-même, en raison de la masse des messages envoyés ou de la démotivation des abonnés saturés de messages ? Et quel procédé pourrait le remplacer ? Quid de l’usage des courriels lorsque les spams représentent la plus grande part des messages reçus ? De nombreux utilisateurs avouent, de retour de vacances pendant lesquelles ils se sont déconnectés du réseau, verser à la poubelle tous les courriels reçus en faisant le pari que les messages véritablement importants seront ré-envoyés. Comment alors communiquer professionnellement en recourant uniquement aux courriels ?

La question est bien communicationnelle. Elle implique une étude approfondie à partir du concept que nous proposons car il nous semble qu’elle ne peut pas simplement être traitée comme une situation d’information overload. Certes, ce sont des cas de saturation par le volume des informations reçues qui sont présentés ci-dessus. Mais la question est celle d’une écologie communicationnelle et la réponse ne réside pas dans la recherche d’une méthodologie de traitement de l’information plus efficace, quelque application visant à repousser plus loin la limite des quantités que l’on peut traiter ou l’amélioration des algorithmes de traitement des grandes masses de données – quand bien mêmes les uns et les autres ont leur utilité. Si l’on ne peut pas ne pas communiquer, ne peut-on être plus qualitatif dans ses pratiques ?

L’interactivité est-elle l’alpha et l’oméga de notre société de communication ? Nous communiquons avec les différentes administrations de l’État, de plus en plus via Internet. Sommes-nous à la recherche d’une interactivité avec l’État ? Comment allons-nous appréhender la communication avec des administrations qui joueront le jeu de l’open data ?

La réactivité, prônée par les services de microblogging, encouragée par les plateformes de réseaux sociaux, est-elle en soi bénéfique ? Combien d’erreurs, de propos regrettés par manque de temps pris pour réfléchir ? Il commence à se dire qu’il faudrait tourner sept fois la souris dans sa main avant de cliquer pour envoyer un message.

Nouveau est-il synonyme de neuf et de progrès ? Quelle consistance communicationnelle y a-t-il dans les outils nouveaux ?

Terminons par l’exemple de la communication politique, afin de montrer un champ de questionnement possible sous l’angle de la durabilité des pratiques informationnelles. Les pratiques de communication politiques actuelles sont-elles durables ? En France, si l’on en croit le site Elus 2.0[14], près de la moitié des élus ont un compte Twitter et un profil Facebook. Ils préfèrent de loin tweeter alors que 54 % des Français ont un compte Facebook et seulement 7 % un compte Twitter. « Il semble donc évident que très peu de citoyens suivent les propos émis sur Twitter et que nous sommes loin de créer, avec Twitter, un nouvel espace de débat, où l'ensemble des citoyens prendrait la parole. » (Rousseau, 2013) D’autre part, nombre de candidats à des mandats électifs avaient ouvert des comptes Twitter et des blogs en période de campagne électorale, comptes à l’abandon depuis. Parmi ceux qui ont intégré les tweets à leur panoplie, nombre d’entre eux ont dû corriger des messages hâtivement formulés dont ils ont regretté aussi vite la teneur. Ces pratiques communicationnelles politiques sont-elles tenables sur le long terme ? Tout cela ne nuit-il pas à la possibilité d’une communication politique crédible dans l’avenir ?