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Il s’agit là d’un manuel, dont l’ambition est de présenter à des travailleurs de santé en formation, initiale ou continue, professionnelle ou universitaire, un vaste panorama des sciences sociales, notamment des principaux auteurs, ainsi que des approches de la médecine et de la pratique soignante relevant de ces disciplines. En quatrième de couverture, les deux auteurs, un sociologue et un cadre infirmier formateur en institut de formation de cadres de santé, proposent cet exercice : « Un public averti pourra faire le point sur un débat qui domine notre temps : la « professionnalisation ». Car c’est bien un des attraits des manuels qui s’adressent à des travailleurs en formation que de dévoiler les discours à l’oeuvre dans la construction d’une identité professionnelle.

L’ouvrage est structuré en trois parties. La première, « anthropologie des soins », présente comme opposées les approches médicale (« un discours sur la maladie, non sur l’humain ») et anthropologique (« un discours avant tout sur l’humain »). La deuxième partie, après un exposé général des différentes dimensions de la culture et de l’identité, s’attarde sur les représentations sociales de la santé et de la maladie. La dernière est consacrée aux organisations, plus précisément aux organisations de soins, et insiste notamment sur les formes de pouvoir. Sans citer tous les auteurs évoqués, et les principaux le sont tandis que leurs travaux sont pris en compte et présentés dans l’ouvrage de manière assez fine pour ne pas tomber dans le piège d’un didactisme pesant, soulignons la place accordée à François Laplantine ainsi qu’à Erving Goffman. L’importance de ce dernier est d’ailleurs d’autant plus significative que, bien que la traduction en fût parue aux Éditions de Minuit en 1968, Asiles n’a été que tardivement utilisé en France en dehors de l’étude du milieu psychiatrique alors qu’il s’agit d’un outil de premier ordre pour une approche de l’hôpital général. Mais les grands absents sont les historiens. On aurait pu s’attendre à trouver Olivier Faure ou Françoise Thébaud, voire Alain Corbin, au moins Yvonne Knibiehler, et à percevoir les travaux d’histoire des femmes dont l’école historique a été féconde ces dernières décennies. Or, il n’en est rien. Il ne serait question d’en faire grief aux auteurs, tant le temps long et la dimension historique sont en France largement oubliés dans les milieux de la formation de personnels de santé. Ce n’en est pas moins significatif du véritable handicap qui empêche de penser de manière dynamique la pratique des soins et l’exercice médical.

Sans doute peut-on déplorer le recours trop fréquent et sans distance à des écrits venant de l’intérieur même des professions, discours présentés sans véritable critique, mais c’est là la rançon de l’écriture d’un ouvrage qui s’adresse à des publics captifs d’institutions prescriptrices. Dès lors, en adoptant peu ou prou la position de ces institutions, en acceptant donc de se situer en concurrence avec le corps médical, les auteurs entérinent une coupure plus institutionnelle que véritablement épistémologique. Or, cette distinction se construit, et elle se construit notamment en présentant des ouvrages qui, de fait, malgré l’avant-propos (p. iv), excluent les médecins, particulièrement les étudiants en médecine auxquels la lecture de ce livre ferait le plus grand bien. On regrettera également que, pour cette seconde édition, les auteurs n’aient pas pris en compte les récents travaux de chercheuses en sciences sociales ayant largement renouvelé l’approche du personnel hospitalier, Anne Vega (2000) et Anne-Marie Arborio (2001) ni présenté dans leur bibliographie de nouveaux ouvrages, comme Les nouvelles sociologies de Philippe Corcuff (1995) qui peuvent rendre accessibles des travaux devenus classiques.