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Cette étude, qui aborde de manière globale le partenariat comme un nouvel échiquier du jeu de la puissance à l’ère où les considérations géo-économiques déterminent la stratégie et la diplomatie des États, s’articule autour d’une double hypothèse. D’une part, elle tente de montrer qu’à travers la nouvelle politique internationale de l’« Afrique partenaire » se joue l’intégration de l’Afrique dans l’économie mondiale. D’autre part, elle analyse le partenariat comme le cadre de la transformation des relations internationales africaines aussi bien dans leurs principes d’ordonnancement que dans leurs dynamiques concrètes. Le partenariat est abordé ici comme un phénomène géopolitique total qui comporte un sens (il est un principe de vision et de division du monde ; une norme de civilisation politique internationale[1] de par les principes énoncés dans sa « dimension politique ») et structure une configuration de positions inégales entre acteurs en jeu pour l’appropriation des gains symboliques et matériels liés au partenariat. C’est cette approche du partenariat à partir de la tension entre puissance et normativité qui constitue la dimension novatrice de l’analyse et confère au partenariat une importance et une profondeur conceptuelle et théorique dans les nouvelles internationales.

Analyser le partenariat à l’intersection du jeu de la puissance mondiale et de la montée de la civilisation politique internationale constitue un tant soit peu, sinon une rupture du moins un renversement des approches en cours globalement orientées vers la recherche de la précision sémantique et la détermination des conditions de faisabilité du partenariat entre les nations au niveau de développement inégal[2]. Le discours sur la faisabilité est court et sa recherche de l’authenticité le conduit à aborder les questions internationales à partir de postures éthiques[3]. Si l’éthique n’est pas à exclure des relations internationales[4], il convient de prendre en compte ce qui advient de celle-ci lorsqu’elle met en jeu les intérêts égoïstes des États. Sur la scène internationale en effet, la production éthico-normative apparaît fondamentalement réaliste ; éthique et intérêts sont en interaction permanente et celle-là est le plus souvent mobilisée et mise au service de la légitimation de ceux-ci. D’où toute la richesse de l’« idéalisme pragmatique » développé par Madeleine Albright et renvoyant, pour l’Amérique, à recourir aux armes éthico-axiologiques pour défendre des intérêts nationaux et stratégiques vitaux. En tout état de cause, le discours sur la faisabilité et sur l’authenticité se prive de lire le « partenariat en acte » et de mettre en perspective les nouvelles formes d’expression des relations internationales auxquelles il conduit. L’objectif de la présente étude est par conséquent d’analyser la dynamique pratique du partenariat et surtout la manière dont celle-ci met à l’épreuve les relations internationales africaines.

Sur le plan de la théorie des relations internationales, le partenariat semble porteur d’une approche hybride de la scène interétatique qui recombine revivalisme westphalien et gouvernance globale. Redécouverte et revalorisation du principe westphalien de l’égalité et de la souveraineté comme piliers de l’ordre international, le partenariat l’est assurément dans la mesure où il réintroduit la parité au coeur du concert des nations : « c’est (..) une nouvelle application du principe de l’égalité des États ; l’égalité dans le respect des différences[5] (…) ». Mais à la différence de l’égalité et de la souveraineté westphaliennes qui imposaient aux États des obligations surtout négatives : « ne pas intervenir dans les affaires intérieures des autres États (…) ; ne pas violer les traités[6]… », la parité du partenariat semble s’accommoder de l’ingérence. Dans cette posture, le partenariat rentre en phase avec une tendance lourde de l’histoire des relations internationales qui est, dans une large mesure une histoire de l’ingérence. Il est aussi un indicateur du changement de la cible de cette ingérence qui perd considérablement sa coquille étatique et bilatérale au profit de celle civile et multilatérale[7] avec le phénomène de l’émergence et de la consolidation d’un espace public international[8]. Le partenariat infléchit aussi quelque peu le principe westphalien de la coexistence égalitaire par la place qu’il accorde à la notion de participation. Plus précisément le partenariat fait reposer la coexistence internationale sur la participation mondiale. Au droit de la coexistence égalitaire hérité de l’ordre westphalien, le partenariat tente de rebâtir la société internationale autour de la participation commune aux défis mondiaux[9]. C’est dans cette posture qu’elle s’ouvre à la gouvernance globale marquée par une cogestion des affaires communes par les individus, les institutions publiques et privées[10]. Le partenariat est ainsi une notion qui permet de relire les relations internationales à l’intersection du bilatéralisme interétatique (réalisme), du multilatéralisme interorganisationnel et de la société civile internationale (transnationalisme.)

Le partenariat est un concept qui renouvelle l’analyse des relations internationales à partir des catégories de la responsabilité et de la solidarité. Le principe de la responsabilité des nations qui voudrait que chaque État se sente garant de l’avenir de l’humanité tout entière[11] – découle de l’obligation de solidarité qui lie toutes les nations eu égard à l’universalisation des menaces consécutives à la «fin des territoires[12] » . Dans cette perspective, la solidarité et la responsabilité, loin de renvoyer à une diplomatie ou à une défense de « Mother Theresa » comme le prétend Stanley Hoffman[13] constituent plutôt de rudes principes réalistes qui tactiquement s’inscrivent dans des motifs d’endiguement du danger à distance. L’altruisme du partenariat est en tout cas intéressé. C’est la logique des intérêts qui fonde le partenariat : les États ne s’engagent dans les relations de partenariat que dans la mesure où leurs intérêts à s’y engager le commandent.

Le partenariat, du point de vue du renouvellement théorique des relations internationales, s’inscrit aussi dans une dynamique de civilisation internationale des moeurs politiques. C’est dans cette perspective qu’il est un cadre d’énonciation politique, qui véhicule une vision du monde dont les éléments clefs sont libéralisation des marchés politique et économique, réformes institutionnelles et économiques, État de droit, droits de l’homme, gouvernance, décentralisation, technocratie, société civile, etc. Il est inspiré des courants théoriques dits du « Consensus de Washington » qui consiste à réformer les économies en développement autour de la discipline et de la réforme fiscales, de la rationalisation des dépenses publiques, la libéralisation des échanges et du commerce, la compétitivité des économies, l’ouverture aux investissements étrangers, la privatisation des droits de propriété[14] et des droits de l’homme[15] . Ainsi, le partenariat est un élément de la mondialisation ; un canal de promotion et de diffusion de l’internationalisme libéral[16].

Le partenariat apparaît ainsi comme un nouveau champ où se déroule le jeu de l’influence mondiale. C’est l’un des apports recherchés de cette étude qui est la réintroduction forte de cette dimension élaguée de la puissance dans l’analytique du partenariat. Dans un contexte où, comme le souligne Marie-Claude Smouts, « le discours de la coopération internationale a d’abord été celui de la puissance et du droit[17] » , il convient de prendre en compte les dynamiques de puissance qui accompagnent le partenariat international avec l’Afrique. En le faisant, l’Afrique s’intègre du coup dans le discours de la puissance en tant que cadre sociopolitique de son expression. C’est pourquoi en analysant la façon dont le partenariat responsabilise l’Afrique sur la scène mondiale, l’étude accorde aussi une attention soutenue à la structuration partenariale des positions des États sur la scène continentale.

I – Partenariat, politique internationale d’intégration de l’Afrique dans la mondialisation

La conviction de l’accélération de la croissance durable de l’ensemble économique africain par le biais de son ouverture à la civilisation internationale du marché[18] et de son intégration à l’économie mondiale est, dans les relations Nord-Sud de la période post-bipolaire, portée par la nouvelle utopie du partenariat[19] qui est en train de succéder aux relations inégales instaurées par la colonisation et la coopération[20] qui sont restées jusque-là les principaux modes du commerce des rapports entre l’Afrique et l’Occident[21]. Le partenariat au développement apparaît comme le nouvel environnement du dialogue entre l’Afrique et le concert des « nations civilisées et développées» de même que le cadre de négociation par l’Afrique, de son insertion bénéfique et maîtrisée dans la nouvelle donne de l’économie mondialisée[22]. C’est le moment du rééquilibrage des relations entre les nations ; quel que soit leur niveau de développement[23].

Resitué dans l’histoire globale de la dynamique des relations entre le Nord et le Sud, le partenariat semble le moment du « grand bond » qualitatif en ce sens qu’il fonde sa légitimité sur le partage de la prise de décision et la réciprocité de l’influence. Il se légitime aussi par la reconnaissance des différences entre nations-partenaires sur la base de l’adhésion à des valeurs communes. En promouvant sur la scène internationale des actions où chaque acteur, tout en gardant son autonomie, prend sa part de responsabilité, exerce sa part de pouvoir et garde une sphère d’influence spécifique, le partenariat indique clairement un changement profond dans la société internationale. Or, il n’y a pas de changement qui soit une génération spontanée, une émanation ex-nihilo : toute mutation sociale est historique, c’est-à-dire une transformation de la continuité, « une transformation profonde assurant une continuité par d’autres moyens[24]». Le partenariat ne peut donc répondre qu’à un processus progressivement construit et mis en oeuvre par des forces socio-politiques ; c’est-à-dire qu’il s’élabore pour des besoins de promotion d’un « principe de vision et de division » de la scène internationale tout en structurant un nouveau cadre du jeu de la redistribution de la puissance à l’ère de la mondialisation économique.

A — Partenariat, élément du sens néolibéral

Dans la perspective de l’analyse du partenariat comme un principe de vision géopolitique du monde, celui-ci se décline sous le mode d’une manifestation du sens et de la puissance des grandes nations qui élaborent ou influencent la politique internationale à l’ère de la mondialisation. Le partenariat se présente dans son déploiement actuel comme « un produit de la globalisation et de la mondialisation[25] » et renvoie de ce fait à l’expression d’un « sens » dont les éléments clefs sont : État de droit, droits de l’Homme, bonne gouvernance, coopération décentralisée, société civile et espace public, libéralisation économique. On est bel et bien ici au coeur de l’agenda politique de la mondialisation dont la finalité est l’uniformisation économique de la planète[26]. Appréhendé à partir de son contexte d’émergence et de sa diffusion mondiale, le partenariat se déploie comme un canal de promotion du nouvel ordre mondial et donc, une trajectoire d’occidentalisation du monde[27].

Car la mondialisation a bel et bien un ou des centres ; c’est-à-dire ses lieux d’impulsion et une ou des périphéries qui sont des espaces de réception, de manière plus ou moins passive, des flux de diverse nature qui irradient l’ensemble de la planète à partir des centres producteurs. Et les lieux centraux d’impulsion de la mondialisation se situent dans le monde occidental qui domine le reste de la planète : États-Unis, Union européenne, Asie[28]. Ce qui est à constater d’emblée, c’est l’absence du monde en développement et plus particulièrement de l’Afrique dans ces lieux centraux de la mondialisation. Celle-ci se met progressivement en ordre sans l’Afrique dont les États ne parviennent pas encore à remplir les conditions politico-institutionnelles d’accès à la stabilité sociopolitique et donc de consolidation des assises d’une croissance économique durable. Or la légitimation mondiale de la donne capitaliste/libérale passe nécessairement par l’inscription de son processus dans des traditions culturelles diversifiées ; par son incorporation dans les problématiques politiques légitimes qui sont spécifiques aux différentes composantes sociales de la planète[29]. C’est ici que prend véritablement sens le nouveau phénomène conceptualisé sous la figure de la « glocalisation[30] » qui renvoie non seulement à la capacité des « temps locaux » à éroder et à phagocyter le temps mondial néo-libéral mais aussi à l’aptitude de celui-ci à pouvoir s’infiltrer et s’incorporer dans les patrimoines culturels locaux. Dans cette conjoncture particulière, le partenariat au développement proposé – ou imposé – à l’Afrique par la « communauté internationale » renferme une dimension stratégique : il est une intégration de l’Afrique dans la nouvelle dynamique de la constitution ou plutôt de l’imposition à l’échelle universelle d’un « patrimoine [politico-institutionnel] commun des sociétés politiques[31] » à savoir la démocratie libérale. De même le partenariat s’avère comme une universalisation de l’« Homo oeconomicus » occidental[32].

Le partenariat pourrait d’abord s’inscrire dans la thèse ruffinienne de la réinvention du Sud par l’Occident[33]. Dans un contexte mondial marqué par des transferts de pouvoirs et des transformations de la puissance qui font en sorte que le Sud, dernière poche de la « barbarie » dans le monde, ne soit plus à l’abri des « turbulences de l’histoire » et des retournements favorables susceptibles de lui permettre de s’incruster dans la détermination de l’agenda universel légitime, Jean Christophe Ruffin propose, en guise d’action préventive, de réinventer le Sud au travers du moule politico-idéologique occidental. Réinventer le Sud c’est l’organiser à partir des valeurs et des manières d’être propres à l’Occident ; c’est la perspective de la recolonisation de l’Afrique par l’Occident[34]. Cette finalité recolonisatrice peut être considérée comme étant la charge symbolique du partenariat. En effet, le continent africain, à travers la mondialisation et le partenariat, n’a jamais été aussi inséré dans les préoccupations internationales comme c’est le cas actuellement. Le partenariat s’inscrit alors dans une dynamique globale de replacement de l’Afrique au sein de la communauté internationale mais une dynamique de replacement qui se fait dans une situation d’infériorité idéologique et matérielle. En tant que nouveau cadre de l’aide publique au développement et de la solidarité internationale avec l’Afrique, le partenariat est le lieu de la diffusion du « principe de vision » du monde des donateurs occidentaux. Sa finalité stratégique semble alors être celle de l’occidentalisation du monde africain. Comme l’affirme le président français Jacques Chirac, « Être donneur d’aide aujourd’hui, c’est en règle générale appartenir à la grande famille des nations industrialisées et démocratiques. Une famille qui a sa culture, ses solidarités et ses réflexes. notamment la bonne gouvernance, la transparence, le dialogue, la rigueur, l’efficacité. C’est pourquoi ils [les donneurs] tendent à se détourner des pays aidés qui ne respectent pas ces mêmes critères que, par ailleurs, ils s’imposent à eux-mêmes[35] ». On voit bien que le partenariat est le cheval de Troie du projet idéologico-politique de l’uniformisation occidentalo-centriste du monde[36].

Le partenariat semble ensuite relever de la stratégie de la reproduction de la mondialisation dans les sociétés non libérales et désordonnées africaines[37]. Toutes les grandes organisations et institutions internationales intervenant dans le financement du développement à l’échelle mondiale sont devenues les lieux de la formulation et de la diffusion de son discours. Les « pays industrialisés et démocratiques », qui exercent une « puissance structurelle[38] » sur le monde de par leur mainmise sur l’agenda politique international, font du partenariat le seul moyen d’accélération du développement des pays du Sud. Le partenariat est tout aussi le discours autorisé des instances supra étatiques de légitimation collective que sont les organisations internationales gouvernementales. D’où l’hypothèse du partenariat comme politique publique internationale de puissance ; c’est-à-dire une politique de maîtrise et de civilisation des moeurs politico-économiques des entités étatiques du Sud. L’alignement international derrière la politique du partenariat avec l’Afrique est un fait très remarquable des grandes mutations qui affectent la coopération internationale à la veille du xxie siècle.

Les récents programmes de la plus grande organisation mondiale – les Nations Unies – en vue de l’accélération du développement de l’Afrique sont centrés sur le partenariat. Le « Nouvel Ordre du jour des Nations Unies pour le développement de l’Afrique dans les années 90 » adopté en décembre 1991 par l’Assemblée générale repose sur « l’esprit de partenariat » : « Le Nouvel Ordre du jour, où s’expriment le consensus et le partenariat entre l’Afrique et la communauté internationale, cherche à encourager les efforts exceptionnels de développement économique et de progrès social en Afrique[39]. » Toutes les autres grandes conférences et déclarations internationales faites sous l’égide des Nations Unies ont souscrit aux principales préoccupations exprimées dans le nouvel Ordre du jour : la conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique tenue en 1993 ; le sommet de Rio de 1992 sur l’environnement, le sommet du Caire de 1994 sur la population, le sommet de Beijing de 1995 sur les femmes, la neuvième conférence sur le commerce et le développement (cnucedix) tenue en mai 1996 en Afrique du Sud. Le Programme d’Action de Tokyo de 1998 sur le développement de l’Afrique à l’aube du xxie siècle réaffirme de manière forte l’option pour un partenariat mondial : « Le développement de l’Afrique devrait suivre le principe du partenariat mondial qui a créé un cadre commun de coopération entre tous les acteurs de développement[40]… » La communauté européenne a établi avec les pays acp (Afrique Caraïbes et Pacifique) en juin 2000 à Cotonou, un « Accord de partenariat » devant servir de « cadre cohérent d’appui aux stratégies de développement définies par chaque État ACP[41] ». Au demeurant, les politiques africaines de tous les grands organismes internationaux, en l’occurrence le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, l’Organisation pour la coopération et le développement économique et bien d’autres, s’organisent autour de l’idéologie du partenariat. Il n’est pas jusqu’au Programme des Nations Unies pour le Développement (pnud) ou l’Organisation mondiale du commerce (omc) qui ne se soient alignés derrière le référentiel du partenariat au développement[42] : le partenariat fait sens au sein de la « communauté internationale ».

Mais le partenariat apparaît aussi et surtout comme porteur d’un sens à destination du monde en développement. Il a déjà été souligné qu’il constituait un concept politique ferme qui met en branle tout un « principe de vision » du monde. Ce qui est important d’entreprendre à ce niveau, c’est une brève illustration de la manière dont il nivelle les ordres politiques tropicaux. Ainsi par exemple, le Programme d’Action de Tokyo de 1998 a engagé la « communauté internationale » à « soutenir des politiques spécifiques de développement que suivront les gouvernements africains et qui sont du domaine prioritaire de l’aide publique au développement[43] ». La communauté des donneurs occidentaux fixe ainsi de manière exclusive et souveraine un « domaine prioritaire de l’aide » en dehors duquel aucun pays demandeur ne saurait être soutenu dans ses efforts de développement. « L’ocde et les autres pays donateurs » ont pour leur part pris soin de délimiter les domaines prioritaires de cette aide qui sont les suivants : les réformes politiques, notamment la bonne conduite des affaires publiques et la démocratie, les réformes économiques, la valorisation des ressources humaines, l’instauration d’un climat favorable au secteur privé, avec un soin accru donné à la qualité des pratiques d’intermédiation financière et au rôle du secteur non structuré, l’intégration régionale, la protection de l’environnement, la participation des organisations de la société civile[44]. L’« approche générale » de l’« Accord de partenariat acp-ce » établit pour sa part que « Les États acp déterminent, en toute souveraineté, les principes et stratégies de développement, les modèles de leurs économies et de leurs sociétés[45] ».

Mais la souveraineté dont il est question ici est une souveraineté limitée et encadrée. Celle-ci s’apparente fortement à la liberté du client d’un restaurant par rapport à la carte du menu qui, dans le cadre de l’« Accord de partenariat acp-ce », renvoie à l’article 9 intitulé « Éléments essentiels et élément fondamental » de « la dimension politique » du partenariat. Dans le cadre de cet article 9, le partenariat se fonde sur le respect des droits de l’homme, des principes démocratiques et de l’État de droit qui inspire la structure de l’État et les compétences des divers pouvoirs ; il se fonde en outre sur la bonne gestion des affaires publiques qui « inspire les politiques internes et internationales des partenaires et constitue un élément fondamental du présent accord[46] ». Les pays qui s’écartent de ce cadre politique sont tout simplement inéligibles à l’aide publique au développement (apd) et sont considérés comme des États non démocratiques et donc non civilisés. Tels sont actuellement les cas du Togo et de la Côte d’Ivoire privés de l’aide européenne. L’African Growth and Opportunity Act (agoa), cadre juridique de mise en oeuvre du partenariat entre les États-Unis et les pays africains, est un filtre idéologico-politique permettant de distinguer les bons États africains des mauvais, « voyous » ou « scélérats ». L’agoa est une loi sélective dans laquelle les critères politiques l’emportent sur les considérations économiques. Pour l’instant quatorze pays africains considérés comme ne remplissant pas les conditions politiques liées à la démocratisation, à la libéralisation, à la bonne gouvernance et au respect des droits de l’homme ont été exclus de cette nouvelle loi qui autorise l’entrée aux États-Unis en franchise de douane et sans quota jusqu’en 2008 des produits provenant du continent africain. Il s’agit de l’Angola, du Burkina, du Burundi, des Comores, de la Côte d’Ivoire, de la Gambie, de la Guinée Équatoriale, du Liberia, de la Namibie, de la République Démocratique du Congo, de la Somalie, du Soudan, du Togo, du Zimbabwe[47].

Le partenariat est au demeurant une mise en oeuvre du sens libéral, un sens politico-idéologique porté par la puissance industrielle, financière, communicationnelle et militaire de l’Occident.

Toutefois, au regard de l’identification des États africains à ce nouveau cadre de coopération qui leur est proposé et dans lequel ils semblent trouver réalisation et satisfaction, le partenariat apparaît comme un sens hégémonique. Il y a comme une réappropriation relativement peu critique de l’idéologie du partenariat de la part des Africains qui s’engagent à construire le monde dont il est enceint ; c’est-à-dire le monde démocratique et libéral. La mise en oeuvre du partenariat se fait ici dans une certaine mesure, par ce que Luc Sindjoun désigne « La loyauté démocratique dans les relations internationales, c’est-à-dire la conformité à la démocratie comme norme d’organisation et de fonctionnement de la vie politique des États[48] ». Mais « la loyauté démocratique » ou « partenariale » est aussi justiciable d’une lecture en termes d’« aliénation objective » en tant qu’absorption des États africains dans un cadre d’action aliéné qu’est celui du partenariat qui est, en vérité, une notion idéologiquement et politiquement chargée. En effet, le partenariat est progressivement devenu la référence obligée des discours africains sur la coopération internationale. Ainsi par exemple, le projet de déclaration élaboré par les experts, personnes ressources et participants au colloque international préparatoire de la xxie conférence des chefs d’État et de gouvernement d’Afrique et de France sur le thème : « L’Afrique face aux défis de la mondialisation » recommande en ses points 7 et 8 que « La coopération doit être un partenariat dont le but principal est l’élimination de la pauvreté (…) . La coopération doit favoriser et consolider le respect universel des droits de l’homme et des valeurs humaines dans le cadre de la démocratie pluraliste, de l’État de droit, de la coexistence des identités culturelles à l’intérieur des États et sur la scène internationale[49]. » Ce partenariat construit à Yaoundé diffère-t-il vraiment de celui de Cotonou impulsé par la communauté européenne qui indique que « le partenariat est centré sur l’objectif de réduction et, à terme, d’éradication de la pauvreté, en cohérence avec les objectifs du développement durable et d’une intégration progressive des pays acp dans l’économie mondiale[50] » ? À vue d’oeil, le conflit de sens ne semble nullement possible à ce niveau, puisque les Experts de Yaoundé semblent avoir repris le discours international autorisé sur le partenariat. Dans la même logique de la « loyauté au partenariat » s’inscrit la « Déclaration de Libreville à l’issue du sommet des chefs d’État et de Gouvernement africains sur l’agenda économique et social pour l’Afrique à l’orée du troisième millénaire » du 19 janvier 2000 qui appelle à « un nouveau partenariat avec les bailleurs de fonds ». Il y a néanmoins ici comme une démarcation de sens même si la Déclaration ne remet pas en cause le cadre politique du partenariat articulé sur l’État de droit, le respect des droits de l’homme, la bonne gouvernance, etc. La « loyauté » des pays africains au partenariat s’exprime aussi clairement dans le Plan d’action du Caire sur la relance du développement économique et social de l’Afrique adopté en juin 1995 lors du sommet de l’oua du Caire. L’Agenda du Caire affirme de façon militante l’engagement des États africains à respecter leurs engagements internationaux pris dans le cadre du « partenariat pour le progrès ». Ce qui en fait, selon les termes des Nations Unies, un plan d’action unique en son genre.

Somme toute, le partenariat est un concept idéologico-politique ferme qui véhicule tout un ordre politique et modèle un « espace de sens[51] », c’est-à-dire « un ensemble de valeurs et d’intérêts communs, produits et partagés par des sociétés politiques qui ne sont ni égales ni homogènes mais qui aspirent à se projeter collectivement dans le champ international à des fins d’affirmation identitaire ou stratégique[52] ». Toutefois, le consensus idéologique n’emporte pas les divergences et les compétitions économiques ainsi que l’affirmait en 1996 Richard Holbrooke alors secrétaire d’État adjoint de la Maison-Blanche : « …Entre alliés stratégiques et politiques, la concurrence est sans pitié sur le plan économique[53]. » Il faut donc comprendre pourquoi l’« espace de sens » qu’est le partenariat va aussi devenir un des champs post-bipolaires du jeu de l’influence mondiale.

B — Partenariat, nouveau champ du jeu de l’influence et/ou de la puissance mondiale

Le partenariat est un champ politico-stratégique au sens bourdieusien du terme, c’est-à-dire un espace sociopolitique où des acteurs aux positions et ressources inégales se battent pour l’amélioration de leur position respective, pour la modification ou la conservation des rapports de force au sein du champ[54]. Les enjeux, c’est-à-dire les produits qui font l’objet de la compétition entre acteurs dans le jeu du partenariat sont pour partie symboliques. En effet le champ du partenariat renvoie de plus en plus à un espace sociopolitique reposant sur des relations de concurrence et de complémentarité entre acteurs-donateurs symboliquement mus par l’idéologie philanthropique de l’aide et de l’assistance au développement, mais visiblement préoccupés ou déterminés par la construction d’un nouvel ordre politico-économique dans les pays assistés. Si le prestige et l’honneur sont fortement recherchés dans le partenariat à travers la forte implication des « donateurs » dans la fourniture de l’aide publique au développement, celui-ci sert aussi de paravent au processus de patronage des ordres politiques des aidés par les aidants. D’où le positionnement du partenariat comme un nouveau champ du jeu de l’influence et/ou de la puissance mondiale.

De toute évidence, à l’ère du décentrement des enjeux dans le système international post-bipolaire qui part du stratégique et de l’idéologique vers le marchand et le culturel[55], à l’ère des transformations de la puissance qui quitte le registre du hard au profit de celui du soft[56], la domination du partenariat est devenue un terrain d’affirmation de la puissance. Qui se « distingue[57] » par la fourniture de l’assistance et de l’aide au développement ? ; par la création des conditions et des opportunités d’intégration de l’Afrique à l’économie mondiale ? Les réponses concrètes des États à ces questions sont devenues des critères d’expression de la puissance dans la situation stratégique de la mondialisation économique.

Dans une telle conjoncture géostratégique, le partenariat devient tout simplement un « investissement » au sens où « investir renvoie à la fois à engager un capital, occuper une place, charger un objet d’une signification affective prévalente ». Si l’engagement dans la politique du partenariat équivaut à investir dans l’occupation de certaines places fortes dans le Sud, celle-ci ne peut donc logiquement que devenir un champ de luttes et d’influence. D’où la fin du partenariat conçu comme un « ensemble de valeurs et d’intérêts communs, produits et partagés par des sociétés politiques» et l’émergence de partenariats en tant que béquilles politiques et éthiques de pesée idéologique, d’hégémonie économique et de majorité politico-institutionnelle des pays « donateurs» sur les choix politiques des pays assistés. La concurrence entre partenariats bilatéraux met au-devant de la scène en Afrique la France et les États-Unis d’Amérique ; deux États qui du reste se discutent de façon très peu feutrée le leadership mondial. Le jeu des partenariats multinationaux s’organise aussi entre les organismes internationaux affiliés aux Nations Unies et ceux européens, en l’occurrence la Communauté européenne ou l’Organisation pour la coopération et le développement économique (ocde).

La pénétration du continent africain par les États-Unis d’Amérique repose aujourd’hui sur « L’Afrique partenaire ». L’institution d’« un nouveau Partenariat en faveur de la promotion de la croissance économique et des débouchés en Afrique[58] » est devenue la dorsale de la politique africaine des États-Unis après la guerre froide. Dans le communiqué commun du sommet d’Entebbe signé entre le président Clinton et les chefs d’État et de gouvernement d’Afrique Centrale et Orientale le 25 mars 1998[59], il est solennellement annoncé « la mise en place du partenariat – un partenariat fondé sur des principes et sur une conception commune ». Selon Laurent Zechini, « L’Afrique partenaire » de la diplomatie du négoce de Washington est « un véritable plan de conquête des marchés africains [parce qu’il] se construit dans le cadre d’un ‘partenariat’ avec la conclusion d’accords de libre-échange et de la création d’un ‘forum de coopération économique et commerciale’ entre les États-Unis et l’Afrique subsaharienne[60] ». Ainsi le système des préférences douanières de Washington a connu, en mai 2000, un assouplissement avec la promulgation de l’agoa (loi sur les opportunités économiques et la croissance en Afrique) destinée à ouvrir le marché américain aux pays africains. Selon les stratèges du département d’État, l’agoa est une stratégie féconde en vue de la promotion des libertés politiques, de la démocratie, de la bonne gouvernance et de la paix en Afrique ; promotion qui s’inscrit dans le cadre de la « destinée manifeste» ou providentielle des États-Unis. Ainsi l’agoa est un instrument de diffusion mondiale de la culture politique américaine; il est un instrument d’affirmation du leadership hégémonique des États-Unis. D’où son caractère sélectif. L’Amérique s’appuie également sur le partenariat multilatéral : des organismes internationaux sous son influence (Organisation mondiale du commerce, Banque mondiale, Fonds monétaire international, etc.) et une multitude d’organisations non gouvernementales mènent une véritable paradiplomatie fondée sur la mobilisation de l’aide publique américaine pour le bénéfice du continent noir. En guise d’exemple, les sommets Africains-Africains-Américains sont les chevaux de Troie de la pénétration américaine du continent noir. Comme le note Laurent Zechini au demeurant, « Aux grand’messes annuelles franco-africaines toujours empreintes d’un parfum d’allégeance néocoloniale, Washington ambitionne d’opposer des ‘sommets commerciaux américano-africains’ purement pratiques[61]. »

Suivant une logique similaire, les sommets franco-africains restent un cadre important du « marketing partenarial » de la France. Mais le partenariat proposé à l’Afrique par la France s’inscrit toujours dans une logique paternaliste dans laquelle la France prend en charge l’Afrique. Suivant le discours de l’actuel président français : « La France (…) s’est faite partout votre avocat. Deuxième donneur d’aide publique dans le monde, après le Japon, elle s’est fermement engagée en faveur des pays les plus pauvres, notamment des pays africains, et souhaite construire un véritable partenariat avec l’ensemble du continent[62]. » Si le président Jacques Chirac insiste sur la France deuxième donneur d’aide publique au développement après le Japon, c’est aussi, dans une certaine mesure, une façon d’infliger un « coup[63] » à l’Amérique qui prétend à une place prépondérante dans les économies africaines sans un effort soutenu d’appui aux pays africains. À travers la politique du partenariat « La France (…) entend rester fidèle à ses partenaires traditionnels , notamment francophones, [et] s’ouvre plus que jamais sur l’ensemble de l’Afrique. » C’est la politique de l’ouverture de la fidélité[64]. Toutefois la logique du partenariat reste ici celle de la France « porte-parole » de l’Afrique.

Le champ des partenariats bilatéraux n’est pas seulement occupé par les acteurs français et américain. Bien d’autres acteurs participent au jeu. On a ainsi la Suède dont la politique africaine repose sur la stratégie du Partnership Africa (l’Afrique partenaire). En effet la Suède et d’autres pays nordiques sont parmi les grands fournisseurs de l’aide publique au développement aux pays du sud. En 1994-1995 l’aide de la Suède aux pays africains s’élevait à environ 460 millions de dollars américains. Toutefois, le « partenariat » proposé à l’Afrique par la Suède s’inscrit naturellement dans la logique de la diffusion du nouvel ordre démocratique international : « l’accent est mis sur le commerce, l’annulation de la dette et la mobilisation des ressources ainsi que la démocratie et les droits de l’homme. Le domaine de priorité pour la Suède est de renforcer la démocratie et les droits de l’homme en Afrique dans le but de promouvoir un développement pacifique. Pour ce qui est du commerce, l’objectif est de renforcer la capacité d’exportation de l’Afrique et de renforcer le commerce avec la Suède sur le long terme[65] ». La Suède pourrait ainsi être classée dans la vague de ces nouveaux acteurs émergents du système international qui tentent d’exercer une influence sans puissance.

Par contre, l’influence mondiale comme corollaire de son statut de grande puissance semble le ressort de l’élan commercial de la Chine vers le continent noir. La projection tropicale de la Chine repose sur la stratégie théorisée à Beijing de « l’amitié de l’Afrique » qui renvoie à un type de partenariat modulé sur « le développement de relations commerciales et amicales avec les pays africains ». À l’actif de la mise en oeuvre de ce partenariat, il convient d’inscrire la tournée de Jian Zemin en Afrique en 1996 (Kenya, Éthiopie, Mali, Namibie, Zimbabwe) suivie de celle de Li Peng en 1997 (Seychelles, Zambie, Mozambique, Cameroun, Gabon, Nigeria, Tanzanie). En tout cas l’Afrique est au coeur de la stratégie internationale de la puissance chinoise, laquelle, pour y avoir une part d’influence, mobilise la ressource d’influence la plus prisée de la stratégie internationale post-bipolaire : le partenariat économique.

Somme toute, le partenariat pour le progrès entre la communauté internationale et l’Afrique est un champ éclaté et partagé entre une multitude d’acteurs aussi bien étatiques que non étatiques qui visent la promotion des intérêts d’influence des grandes puissances. Toutefois l’uniformisation des domaines prioritaires de l’aide au développement par les donateurs n’exclut pas la spécification et la mise en exergue des particularités propres à chaque entreprise partenariale. L’uniformisation des domaines d’intervention du partenariat mondial avec l’Afrique – comme l’indique le tableau suivant –, n’élimine pas l’affirmation des particularités ou des priorités nationales dans la mise en oeuvre de celui-ci. Il s’agit là assurément d’une attestation de ce que le partenariat est un terrain sur lequel se déroulent des luttes liées au monopole du profit politique, éthique, symbolique et géostratégique de la fourniture de l’aide publique au développement.

Tableau 1

Synopsis des partenariats entre la communauté internationale et l’Afrique

Synopsis des partenariats entre la communauté internationale et l’Afrique
Source : Réalisé par l’auteur.

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Il est à noter que les domaines d’intervention des divers partenariats sont identiques et relèvent tous de l’agenda du « consensus de Washington ». L’uniformité des agendas des divers partenariats ne s’accompagnent néanmoins pas de celle des cadres de leur mise en oeuvre. Ici les objectifs politiques et stratégiques des différents États influencent la détermination des priorités et les stratégies de la coopération.

II – La vie internationale africaine à l’épreuve du partenariat

En tant qu’un des échiquiers du jeu de l’influence mondiale, le partenariat s’accompagne d’une transformation considérable des relations internationales africaines entendues comme « les flux régionaux d’origines diverses, concurrentielles et complémentaires qui transcendent les frontières des États situés [dans] l’espace géopolitique institutionnalisé par (…) l’Union africaine[66]» . La transformation des relations internationales africaines par le paradigme géopolitique du partenariat touche aussi bien leurs principes d’ordonnancement que leurs dynamiques concrètes[67]. Pour ce qui est des principes organisationnels de la vie internationale africaine, la dynamique de la « renaissance » et du partenariat met à l’épreuve de l’effectivité politique la souveraineté, l’égalité et la non-ingérence qui ont servi de socle à l’ordre international africain hérité d’Addis-Abeba en 1963[68]. Le moment du partenariat dans les relations internationales africaines semble celui de la redéfinition de ses bases autour des impératifs de la démocratie et de la responsabilité. Le fonctionnement routinier des relations internationales africaines est quant à lui marqué par l’effectivité du jeu de l’influence et du leadership. De plus en plus, certains États, au nom de leur force économique et de leur charisme politique, « portent » la parole africaine au niveau mondial et s’octroient la compétence de la détermination unilatérale du souhaitable politique et économique pour les autres États[69]. Au total, le partenariat replacé dans la dynamique de la puissance mondiale, apparaît comme étant à la fois un champ de repositionnement international et de recomposition interne de l’Afrique.

A — La réappropriation africaine du partenariat, stratégie d’affirmation internationale

Au lieu de gloser sur « les impératifs d’un nouveau partenariat Nord-Sud[70] » qui serait plus « authentique[71] » et moins inégalitaire, il convient plutôt de voir comment l’Afrique, malgré sa position vulnérable dans la nouvelle économie mondiale[72], s’engage dans une dynamique pragmatique de mobilisation des ressources internationales liée à la globalisation à des fins de son repositionnement mondial. La « nouvelle » politique internationale du partenariat avec le monde en développement correspond avec la formulation, en Afrique, du discours sur la « renaissance » du continent dans la conscience universelle comme un espace moderne et civilisé[73] étant entendu qu’un tel espace ne peut constituer qu’un marché attractif[74].

Le discours idéologico-politique de la « renaissance » nourrit en toile de fond le principe tout aussi éminemment politique de la responsabilité de l’Afrique face à elle-même et face au monde : « (…) le développement est un processus de responsabilisation et d’autosuffisance […]. Nous déterminerons notre propre destinée et nous ferons appel au reste du monde pour compléter nos efforts[75] ». Le nouveau paradigme de la responsabilité sur lequel l’Afrique tente de reconstruire son insertion dans la libéralisation économique a, en soi, une forte charge critique, notamment la critique de la minoration historique de l’Afrique dans le concert des nations. Il est aussi une critique de son accommodation de sa marginalisation internationale par l’Afrique. La réappropriation africaine du partenariat par le biais de sa reformulation induit une affirmation internationale du continent. À travers l’investissement du champ du partenariat mondial, l’Afrique fait un usage réaliste et pragmatique des opportunités et ressources internationales pour tenter une modification à son avantage du nouvel ordre mondial. Il s’agit d’un comportement international tactique et pragmatique par lequel l’Afrique, en tant qu’acteur à part entière du champ mondial, joue sur un échiquier à l’intérieur duquel se déroule la redistribution de l’influence mondiale. L’Afrique en quête d’autonomie et de pouvoir peut-elle, à l’ère de la non-fongibilité des ressources de la puissance[76], s’écarter des échiquiers majeurs d’expression et de redéfinition de celle-ci ?

C’est à ce niveau qu’il convient de tempérer l’ardeur des critiques de l’orientation néolibérale du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (nepad[77]). Le nepad comme réappropriation africaine du « consensus de Washington » est un choix politique et idéologique des dirigeants africains mus par « une nouvelle volonté politique[78] » . Le fond philosophique du choix néolibéral des dirigeants africains semble résider dans la vision (ou la conviction) suivant laquelle si l’Afrique ne peut inverser la marche du monde, elle peut tout au moins tempérer ses effets à son égard. Et dans la mesure où toute réappropriation contient une part de réinvention, le nepad ne saurait par conséquent être considéré comme la récitation africaine de la leçon libérale. L’idéologie de l’opposition qui constitue dans une large mesure le cadre d’intellection du nepad comme expression de la dépendance de l’Afrique au paradigme néolibéral n’est ni fructueuse ni opérationnelle en termes d’élargissement de la compréhension du nouveau rapport de l’Afrique au monde qui y a cours. Une sociologie de la « dépendance » du nepad aux normes de la civilité économique internationale permet de relativiser la critique et d’indiquer que l’Afrique, dans une certaine mesure, s’inscrit à fond dans la nouvelle politique internationale du partenariat pour élargir confortablement sa position et sa marge de manoeuvre dans la nouvelle économie politique internationale. Aussi, c’est à dessein que Abdoulaye Wade a envisagé son Plan Oméga comme la « stratégie africaine pour la globalisation[79] » . Les critiques de la reduplication néolibérale du nepad font table rase du fait que c’est à l’intérieur du « paradigme de Washington » que l’Afrique, à travers le nepad, « exige le revirement de sa situation « anormale » dans le monde en changeant les relations qui la soutiennent[80] ». La réappropriation africaine du partenariat est un processus de subversion de l’ordre international dans son organisation « anormale » et « illégitime » de « l’incapacité des pays en développement à contrôler leur propre développement[81] ». En somme, ce qui se joue dans la réduplication africaine de l’« économie normale »/libérale, c’est l’institution d’un nouveau cadre d’interaction avec le monde, notamment avec les pays industrialisés et les organisations multilatérales ; « nouveau cadre fondé sur un ordre du jour dont ont décidé les Africains de leur propre initiative et de leur propre gré, afin d’en déterminer eux-mêmes leur destin[82] » . On remarque donc que dans la dépendance néolibérale du nepad, il y a aussi critique, luttes et surtout construction de l’alternative et de l’autonomie.

La sociologie de la « dépendance » ou plutôt de la mobilisation africaine des valeurs et des principes de l’économie libérale montre ainsi que, contrairement à l’analyse dominante, le nepad est une critique et une rectification du partenariat international basé sur le consensus de Washington. Pour mieux l’apprécier, il convient d’aller au-delà de la simple recherche des correspondances entre les conditionnalités, les domaines d’action et les secteurs prioritaires du nepad et de ceux du « consensus de Washington » comme le font Jimi O. Adesina[83] et J. Ohiorhenaun[84]. C’est plutôt la mise en exergue de la hiérarchisation de ces domaines et secteurs dans les deux agendas qui permet de faire ressortir le retournement africain du « consensus de Washington ».

Tableau 2

Préalables indispensables au développement de l’Afrique

Préalables indispensables au développement de l’Afrique
Source : Réalisé par l’auteur

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Somme toute l’Afrique, à travers le nepad participe, de concert avec les autres continents, à la restructuration des relations internationales en général et des principes de la coopération internationale en particulier.

C’est en se projetant collectivement sur la scène de « la coopération internationale à la veille du xxie siècle[85] » que l’Afrique tente d’augmenter sa valeur économique et son poids politico-stratégique. Il apparaît clairement qu’en formulant l’alternative du nepad en tant que matérialisation effective de la volonté des États africains de « continuer à parler d’une seule voix dans toutes les négociations internationales[86] », le continent noir se construit en « espace de sens » ; c’est-à-dire au sens de Zaki Laïdi, en un ensemble de valeurs et d’intérêts communs, produits et partagés par des sociétés qui ne sont ni égales ni homogènes, mais qui aspirent à se projeter collectivement sur le champ international à des fins d’affirmation politique et de pesée économique[87]. Affirmation géopolitique et augmentation de la valeur économique constituent ainsi en quelque sorte les deux versants de la raison stratégique qui supporte et légitime le nepad qui rejette « la perpétuation de la dépendance » et insiste sur le fait que « la place de l’Afrique dans la communauté internationale [se] définit par le fait que le continent est une base de ressources indispensables qui sert l’humanité tout entière depuis bien des siècles[88] ». La réponse collective africaine au partenariat mondial par le biais du nepad s’inscrit du point de vue théorique dans la dialectique de la mondialisation et de la régionalisation qui accompagne le nouvel ordre mondial. Face aux nombreuses faiblesses et vulnérabilités que présentent leurs économies et qui les dispensent de toute stratégie individuelle dans l’arène marchande mondiale, les pays africains tentent de formuler une réponse commune à la donne libérale.

La réception internationale du nepad atteste de la montée de l’influence du continent africain dans les affaires mondiales. Resitué dans l’historicité des pensées et programmes africains de développement[89], le nepad s’affirme comme l’un des premiers programmes de développement endogène qui bénéficie d’une légitimation internationale d’envergure incomparable[90]. Le groupe des pays les plus industrialisée de la planète (G8) et l’Union Européenne – premier ensemble économique mondial – ont adopté le nepad comme cadre d’appui au développement économique du continent[91]. Le Canada, qui assure la présidence du G8 a exprimé son total soutien au programme du nepad. Il en est également du Japon qui a ouvert des consultations en vue d’une harmonisation du ticad (Tokyo International Conference on African Development) et du nepad[92] , de même que la France dont le président Jacques Chirac a tenu avec des chefs d’État africains un sommet sur le nepad en février 2002 à Paris. Les grands organismes multilatéraux, à l’instar du pnud, annoncent un « soutien indéfectible » et une « assistance technique » au nepad. Le secteur privé international s’est mobilisé pour permettre une réussite du programme[93]. Au total, le nepad fait sens au sein de la communauté internationale.

Deux facteurs peuvent expliquer ce succès international du nepad : son élaboration dans le cadre global de la diffusion mondiale de l’économie néolibérale et la stratégie de la réappropriation des réformes économiques (ownership) qu’il promeut. Le nepad est compatible avec la stratégie de l’ownership qui constitue une dimension essentielle du « consensus de Washington ». Le nouveau partenariat africain affirme l’entière responsabilité des Africains dans les processus de réformes de leurs économies et permet de ce fait à la communauté des donneurs – l’Occident – de se décharger de toute responsabilité en cas d’échec. Le nepad pourrait ainsi s’appréhender dans la perspective de la « décharge » en ce qui concerne la reproduction, à l’échelle africaine, de la civilité économique libérale. Il est la production locale/régionale de la globalisation[94]. D’autre part le nepad, en tant que programme de viabilisation des économies africaines, s’inscrit dans le processus de création/développement de nouveaux marchés qui est la condition de la survie et de la prospérité de la mondialisation libérale. Selon une conviction des stratèges de Washington en effet, l’Amérique en particulier et le monde libéral en général ne peuvent maintenir leur leadership sur le commerce mondial que s’ils développent de nouveaux marchés à travers le monde[95].

B — Partenariat, cadre d’expression de la puissance africaine

En plus de l’accroissement de la capacité et de la visibilité de l’Afrique sur la scène internationale, la dynamique autour de la redéfinition du partenariat favorise en toile de fond l’expression de la puissance au sein du continent[96].

Le champ de la réinvention africaine du partenariat peut être envisagé comme l’expression de la puissance africaine en temps de paix[97]. La puissance en temps de paix revêt une forme éminemment idéologico-symbolique ; c’est-à-dire qu’elle s’articule autour de considérations politiques et idéologiques servant de références pour la pratique politique, économique et militaire des États. À travers la dynamique de la mise en oeuvre du nepad s’institue à la fois une hiérarchisation des États avec la constitution des États locomotives tirant les autres. Le nepad est aussi le lieu de la distinction, c’est-à-dire de la démarcation et de la transcendance de certains dirigeants du continent à travers la consécration internationale d’« une nouvelle génération de dirigeants africains (…) déterminés à réaliser l’autonomie, l’éradication de la pauvreté (…), une bonne gestion gouvernementale, l’établissement de structures durables et l’élaboration des solutions africaines à des problèmes africains[98] ». Le nepad distingue et consacre les États leaders et/ou « producteurs qui ont le monopole [de l’élaboration des programmes efficients de sortie de la stagnation économique] et les États consommateurs [qui] n’ont d’autre alternative que de (…) s’en remettre au choix [des États dirigeants et leaders[99]] ».

Le comité de pilotage du nepad s’apparente ainsi à un « conseil de sécurité économique » de l’Afrique dont l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Égypte, l’Algérie et le Sénégal contrôlent en quelque sorte les droits d’entrée. Les quatre premiers États sont des puissances militaires et diplomatiques tandis que le dernier (Sénégal) fonde son leadership sur son charisme politico-idéologique distinctif notamment la longue tradition démocratique et le leadership intellectuel des années 60 quand la négritude senghorienne constituait l’expression de la liberté des peuples noirs[100]. Le comité de pilotage du nepad ne matérialise pas seulement la distinction et la démarcation d’un groupe restreint d’États par rapport à la majorité ; il s’institue aussi en instance légitime d’exercice du leadership et de l’influence à travers le contrôle et la manipulation des avantages liés au porte-parolat continental. Par le biais du steering comittee du nepad, l’Afrique est désormais « portée » à travers le monde par un groupe restreint d’États qui parlent au nom du continent tout entier. Il s’agit de la mise en oeuvre d’une ligne de hiérarchisation dans la mesure où le porte-parolat est sinon une institution du moins un capital d’expression et de légitimation de la puissance. La parole autorisée continentale est désormais portée dans les instances internationales (g8, onu, ue, ticad, etc.) par des États qui, du fait de leur monopole du porte-parolat continental, jouissent d’un charisme continental distinctif et transcendant. La parole africaine portée par le comité de pilotage du nepad réduit considérablement l’écho des autres paroles continentales toutes aussi légitimes. En effet, avec l’avènement du nepad, il existe désormais sur le continent africain comme un dédoublement de la parole autorisée et représentative. À côté de la parole commune prononcée par tous les États du continent en situation d’égalité par le biais des « déclarations », « décisions » et autres « résolutions » des conférences des chefs d’État et de gouvernement de l’oua/ua, il existe désormais, à travers le nepad, une parole commune portée et prononcée par quelques-uns (le steering comittee). Parler au nom de tous constitue pour un acteur ou quelques acteurs, un capital efficient dans l’affirmation de la transcendance. Ainsi par exemple, le discours international de Thabo Mbeki « porte » non simplement en raison de ses seules pertinence et cohérence – ceux de Sekou Toure, Amilcar Cabral, Nkwame Nkrumah l’étaient aussi – mais surtout « parce que sa parole concentre le capital symbolique accumulé par le groupe qui l’a mandaté et dont il est le fondé de pouvoir[101] ».

Par ailleurs, le leadership idéologico-symbolique qui s’institue à travers le nepad se dresse sur un arrière-fond géostratégique ; c’est-à-dire qu’il est informé et modelé dans une large mesure sur des considérations d’ordre militaire. Ce n’est donc pas un concours hasardeux de circonstances qui fait en sorte que les « porteurs » du nepad soient des États militairement importants sur le continent. La puissance militaire sud-africaine est presque deux fois supérieure à celle de l’ensemble cumulé des armées de l’Afrique australe aussi bien en armement qu’en dépenses militaires[102]. Le Nigeria jouit d’un leadership militaire presque hégémonique au sein de la communauté ouest africaine et s’est affirmé à l’échelle internationale comme un acteur important des opérations de maintien de la paix[103]. L’Égypte est une puissance militaire, stratégique et diplomatique aussi bien en Afrique du Nord qu’au Moyen-Orient. L’Algérie est un pouvoir militaire influent dans le Maghreb. En tout cas, les États leaders du nepad sont de véritables capacités militaires et démographiques jouissant chacune d’une profondeur stratégique et pourvus d’importants potentiels économiques. Ce sont les pôles régionaux de puissance. Certains de ces États, en l’occurrence l’Égypte, l’Afrique du Sud, l’Algérie sont considérés comme les « États-pivots » du continent noir dans les théorisations géostratégiques post-bipolaires de la superpuissance américaine[104]. D’où la relation faite par certains analystes entre le comité de pilotage du nepad et la configuration du prochain « conseil de paix et de sécurité » de l’Union africaine[105].

Ainsi, dans un contexte où, en Afrique , les puissances régionales semblaient manquer de « sens », c’est-à-dire de principe idéologico-symbolique de base sur lequel fonder la projection collective du continent sur la scène internationale, l’élaboration du nepad apparaît comme la construction du « sens » des puissances africaines. La collectivité du « sens » pourrait s’expliquer d’une part par la « monopolisation libérale du marché axiologique mondial » avec son effet de rétrécissement de l’éventail des choix politico-économiques et d’autre part par la prégnance de l’idéologie du panafricanisme qui exporte l’Afrique sur la scène internationale sous la figure d’une entité uniforme. Au total le nepad constitue un champ de restructuration de la puissance africaine autour d’un leadership idéologico-économique qui repose sur d’importantes considérations militaro-stratégiques.

Le jeu de la puissance qui s’organise autour de la dynamique du nepad ne procède pas seulement à la division du continent africain entre États « producteurs » et « consommateurs » de stratégies et programmes de sortie du continent de la marginalité et de l’inutilité économique mondiales. À l’intérieur du groupe des cinq membres du comité de mise en oeuvre, se déroulent des dynamiques individuelles et concurrentielles d’acquisition du monopole de la jouissance légitime des avantages liés à la domination du collège des porte-parole du nepad. Le comité de pilotage du nepad constitue ainsi un champ à part entière et entièrement à part des luttes de puissance. Il s’apparente à un champ de forces et de luttes visant la transformation de la structure des positions continentales des États. Suivant un mode de raisonnement bourdieusien, on peut dire que le comité de pilotage du nepad constitue « le lieu où s’engendre dans la concurrence entre agents [chefs d’État] qui s’y trouvent engagés[106] » , l’enjeu de la compétence légitime de l’élaboration des programmes de développement pour l’Afrique. En présidant le comité de pilotage du nepad et en tentant de se poser en principal interlocuteur de la nouvelle Afrique sur la scène internationale, le président sud-africain s’inscrit dans une stratégie d’affirmation de la destinée continentale sud-africaine[107]. Le président Thabo Mbeki est ainsi devenu le leader africain le plus influent sur la scène internationale et capitalise une diversité d’atouts d’influence et du leadership : président du Mouvement des non-alignés, président du comité de pilotage du nepad, président en exercice de l’Union africaine. Sans nul doute son pays sera l’un des États qui domineront le conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine. Le président nigérian Olusegun Obasanjo tente pour sa part de jouer sur la Conférence sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique (cssdca) dont il a proposé la création et dont le pays assure (avec l’Afrique su Sud) le financement pour contrebalancer la très grande mainmise de l’Afrique du Sud sur le nepad. Quant au président Abdoulaye Wade, il tente de capitaliser sa position de vice-président du comité de pilotage du nepad pour imposer sa respectabilité personnelle et le charisme distinctif de son pays dans le champ de la réforme de la coopération internationale avec l’Afrique. Il s’appuie pour cela sur sa relation privilégiée avec la France dont le secteur privé s’est largement mobilisé pour faire réussir la conférence sur le financement du nepad par le secteur privé. Cette conférence n’avait pas rencontré l’assentiment des autres membres du comité de pilotage qui s’abstiendront d’y participer, reprochant à Abdoulaye Wade de vouloir « tirer la couverture de son côté[108] ». Au total le comité de pilotage du nepad constitue un microcosme du jeu de l’influence et de l’affirmation de la puissance.

Conclusion

Au demeurant, cette étude a voulu rendre compte du « partenariat en acte », de ce qui s’y joue en ce qui concerne les dynamiques d’expression de la puissance et les processus de diffusion à l’échelle mondiale, en général, et africaine en particulier de l’homo oeconomicus libéral : c’est-à-dire l’économie de marché. Le partenariat, en tant que nouvelle politique de coopération du monde développé à l’égard de l’Afrique, est apparu non seulement comme une des multiples manifestations de la monopolisation libérale du marché axiologique et économique mondial, mais aussi comme une politique internationale d’intégration de l’Afrique dans la mondialisation. C’est à ce niveau que pourraient se situer les principaux apports de cette étude : 1) Les phénomènes de la civilisation et de la puissance sont parmi les principaux enjeux qui marquent la dynamique de la nouvelle coopération internationale avec l’Afrique ; 2) Dans le processus de son inclusion dans le monde libéral à travers le partenariat, l’Afrique tente de modifier sa position internationale en se projetant collectivement sur la scène du partenariat par le biais de sa réappropriation et de sa réinvention qui est elle-même porteuse d’une réorganisation de la structure des positions continentales et internationales des États africains ; 3) Si le partenariat répond aux préoccupations de la responsabilité et de la solidarité entre les nations, celui-ci intègre aussi les motivations purement géostratégiques et géocivilisationnels. D’où une solidarité et une éthique réalistes qui, progressivement structurent la dynamique des relations internationales.