Débats

De Ribaupierre, Claire, Le roman généalogique. Claude Simon et Georges Perec, Bruxelles, Éditions La part de l’oeil (Théorie), 2002.[Record]

  • Anne-Lise Blanc

L’ouvrage de Claire de Ribaupierre est un essai qu’inspire une thèse de doctorat (soutenue par l’auteur à l’Université de Lausanne en janvier 1999) et qui, de fait, répond aux exigences de clarté, de rigueur, de précision, de logique, en un mot, de science que requiert l’exercice universitaire, sans jamais présenter, toutefois, de froideur académique, de raideurs de construction, ni de lourdeurs d’érudition. L’exercice, transformé en essai, a pris la forme d’un beau livre illustré qui allie l’agrément des photos à la présentation aérée d’un texte sur papier blanc, lisse et épais. Fidèle au parti pris des Éditions, il fait « La part de l’oeil », et même, celle des sens. À tous points de vue, il s’agit d’un ouvrage sensible. Lyrique, à l’occasion, le ton en est résolument personnel. Le texte s’ouvre sur un conditionnel « j’aimerais » et s’achève sur un néologisme « revenance ». C’est dire si le chercheur s’expose. En outre, Claire de Ribaupierre s’embarrasse peu d’exposés savants, les prolégomènes qu’elle offre au lecteur, à chaque étape de son raisonnement, ancrent simultanément sa réflexion dans les théories des autres qu’elle reformule simplement et dans l’expérience de chacun. Claude Burgelin a bien raison de dire, en préface, que l’ouvrage « se lit comme un roman ». Généalogique, serait-on tenté d’ajouter, tant il est vrai que l’effet de mise en abyme est puissant qui, d’étrange façon, engage le lecteur, lui fait sentir la part de soi que l’on cherche et trouve chez les autres et le plonge d’emblée au coeur de la réflexion sur le roman généalogique. Pour être libre, dans cette perspective nouvelle, le lecteur n’en est pas moins un peu démuni. Les développements successifs, toujours fort intéressants en eux-mêmes, sont rarement reliés par des propos conceptuels. Du coup, la structure de l’ensemble reste un peu floue, masquée par ces absences. L’absence de bibliographie et d’index, tout aussi concertée sans doute, a un effet similaire. La synthèse des sources, la liste des notions auraient avantageusement souligné la richesse de la documentation et les contours d’un discours dont la pertinence générale vaut qu’on débatte sur des points de détail. Claire de Ribaupierre mène de front l’étude de deux oeuvres marquées par l’absence, écrites par deux écrivains que la guerre a rendus orphelins. Elle explique de façon convaincante que le deuil est ce qui motive l’enquête généalogique qui structure fondamentalement les romans de Georges Perec et ceux de Claude Simon. Commune aux deux auteurs et récurrente dans leurs oeuvres, elle rejoue chaque fois l’insupportable disparition et figure ainsi l’inlassable travail de deuil décrit par Lacan. En outre, Claire de Ribaupierre remarque que c’est « [à] la suite du Tombeau d’Anatole, [que] Simon et Perec opteront pour une littérature du fantôme, de l’errance, du tombeau vide. » Ne pourrait-on pas, du coup, d’abord présenter ces deux oeuvres comme des témoins exemplaires et des produits d’une période historique : histoire des événements, histoire de la pensée, histoire de la littérature. Claire de Ribaupierre affirme : « ici, le tombeau concerne une mémoire intime ». Sans doute. Mais ne s’agit-il pas aussi d’un deuil collectif ? Plus ponctuellement, Claire de Ribaupierre parle avec raison d’une « littérature de l’errance » à propos de Claude Simon mais n’est-ce pas alors contradictoire de dire que L’Acacia « achève la quête généalogique et élève en quelque sorte un mémorial aux parents et aux ancêtres ». Le Tramway, récemment paru, n’est-il pas le signe d’une oeuvre toujours mobile, dont les déplacements suivent résolument des lignes horizontales ? Et ne vient-t-il pas invalider la possibilité d’un texte tombeau dans l’oeuvre de Claude Simon ? À …

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