Comptes rendus

BÉLANGER, Damien-Claude, Prejudice and Pride : Canadian Intellectuals Confront the United States, 1891-1945 (Toronto, University of Toronto Press, 2011), 320 p.[Record]

  • Jeffery Vacante

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  • Jeffery Vacante
    University of Western Ontario

Les Canadiens consacrent beaucoup de temps à penser aux États-Unis. Plus précisément, les Canadiens consacrent beaucoup de temps à penser à ce qui différencie le Canada des États-Unis, et ce, de façon à démontrer leur supériorité morale par rapport à leur puissant voisin. Cette préoccupation est telle, en fait, que le nationalisme canadien est souvent décrit comme une simple expression d’antiaméricanisme. À la fin du XIXe siècle, on disait des Canadiens qu’ils n’avaient que deux positions envers leur voisin du sud. D’un côté, il y avait les impérialistes pour qui les États-Unis représentaient un danger, une société révolutionnaire qui s’était détournée de la tradition et de la stabilité associées à l’Ancien Monde. Il s’agissait généralement de conservateurs qui cherchaient à resserrer les liens culturels, voire politiques, avec la capitale impériale à Londres. Comme le suggérait Carl Berger il y a plus de quarante ans, cet impérialisme n’était cependant pas une démonstration de servilité coloniale, mais plutôt une forme de nationalisme canadien. En plus de croire à la supériorité du mode de vie britannique, les impérialistes voyaient dans le maintien des liens avec la Grande-Bretagne le seul espoir de protéger l’indépendance du Canada envers les États-Unis. L’impérialisme représentant donc une expression de nationalisme canadien, il ne faut peut-être pas se surprendre si la loyauté des individus qui ne partageaient pas cette opinion était mise en doute. Ainsi, ceux qui étaient attirés par ces valeurs soi-disant américaines qu’étaient l’individualisme, la laïcité et le libéralisme ou ceux qui prônaient le resserrement des liens avec les États-Unis étaient catégorisés comme des continentalistes et parfois même accusés de promouvoir l’annexion du Canada aux États-Unis. La thèse impérialiste déclinera vers le milieu du XXe siècle et sera remplacée par un conservatisme qui gardera une certaine crainte que le Canada soit attiré dans le giron américain. Toutefois, les conservateurs canadiens donneront graduellement leur appui à l’intégration du Canada au sein de l’Amérique du Nord. Entre-temps, le vieil engouement continentaliste pour les États-Unis s’effacera avec l’avènement de la guerre froide, les continentalistes se rendant compte alors que les États-Unis ne représentent plus la voie vers le libéralisme. Au fur et à mesure que la gauche canadienne se rapprochera de la rhétorique antiaméricaine, les historiens commenceront à interpréter les critiques envers les États-Unis, ou les mises en garde contre la proximité des liens entre le Canada et les États-Unis, comme l’expression immature et irrationnelle de sentiments antiaméricains. Ces historiens expliquent toujours l’antiaméricanisme comme la simple évolution d’un certain nationalisme canadien qualifié de romanesque et émotif. Dans ce livre remarquable, Damien-Claude Bélanger ne considère pas les positions canadiennes envers les États-Unis comme de simples expressions de sentiments nationalistes. La rhétorique impérialiste et continentaliste exprimerait plutôt les positions canadiennes sur la tradition, le libéralisme et la laïcité. En résumé, la position canadienne envers les États-Unis révélerait sa position sur la modernité. À la fin du XIXe siècle, de nombreux Canadiens percevaient les États-Unis comme l’incarnation de la modernité, c’est-à-dire une société laïque, libérale et tournée vers la technologie, une société qui avait adopté une perspective progressiste et qui était déterminée à bâtir une nouvelle société à son image, une société qui avait rompu avec les traditions et les idées associées à la civilisation européenne. Que les États-Unis aient servi de modèle pour la modernité est une des raisons qui expliquent que les positions canadiennes aient été perçues comme simplistes. D’autres historiens ont expliqué l’ignorance canadienne des réalités de la société américaine par un aveuglement causé par l’étroitesse et l’émotivité de leur propre nationalisme. Il s’est plutôt avéré que les positions canadiennes envers les États-Unis avaient peu à voir …