Introduction : Littérature et connaissance[Record]

  • Pascal Engel

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  • Pascal Engel
    UNIGE
    EHESS

On entend dire plus souvent que par le passé que la littérature a quelque chose à voir avec la vérité et avec la connaissance, et qu’elle n’est pas ce monde clos sur lui-même, purement langagier, sans lien avec la moindre réalité, que dénonça jadis Julien Benda sous le nom de littérature « pure » et « byzantine ». Ceux-là mêmes qui l’avaient adorée nous disent que cette conception met la littérature en péril. Ils redécouvrent le sens commun, l’esthétique du vraisemblable, et retrouvent dans le roman des ressources de pensée que son statut prétendu de pure fiction avait éclipsées. Mais de quelle réalité la littérature ainsi redécouverte est-elle la connaissance et de quelle vérité s’agit-il ? De la réalité sociale, comme à la grande époque du naturalisme ? De la réalité historique ? De la réalité morale ? De la vie humaine en général ? Certes, mais comment ? En quel sens des mots « connaissance » et du mot « vérité » ? Va-t-on revenir à Taine, à Zola, à Paul Bourget ? Ou bien aux conceptions épiphaniques de la vérité des romantiques de l’Athenaeum ? Le problème ne se pose plus dans les mêmes termes que quand on avait seulement le choix entre une conception purement formaliste et autoréférentielle de la littérature et une conception « humaniste ». Nombre de travaux sur le roman, la fiction, et la connaissance littéraire ont modifié le paysage. Les essais réunis dans ce volume de Philosophiques en prennent acte. Une bonne voie d’entrée dans ces questions est ce que l’on appelle « le paradoxe de la fiction », qui n’est en fait qu’une généralisation d’une remarque d’Aristote dans la Poétique : nous prenons plaisir, et éprouvons de la terreur et de la pitié face aux tragédies qui contiennent une représentation (mimésis) de la réalité, quand bien même nous voyons que ce qui se passe sur scène n’est pas la réalité. Le paradoxe consiste dans le fait que les trois énoncés suivants semblent tous vrais, alors qu’ils se contredisent : Il y a, de prime abord, trois types de solutions possibles à ce paradoxe, qui fait l’objet d’au moins deux des contributions de ce volume, celles de Maurizio Ferraris et celle de Carola Barbero. On peut en premier lieu rejeter l’idée que nous éprouvions des émotions authentiques en assistant à des représentations théâtrales ou en lisant des oeuvres de fiction : peut-être n’éprouvons-nous que des quasi-émotions, ou des émotions feintes, et peut-être faisons-nous seulement semblant de croire que ce qui nous est représenté est réel. On peut en second lieu rejeter l’idée qu’éprouver des émotions face à des oeuvres de fiction entraîne que l’on croie à la réalité des entités décrites dans celles-ci. Les conceptions dites « cognitives » des émotions supposent que celles-ci sont associées à un contenu de croyance à propos d’un certain objet ou état de chose (par exemple pour avoir peur du chien on doit croire qu’il est dangereux), mais d’autres conceptions soutiennent que les émotions reposent sur des affects ou des comportements qui ne sont pas associés essentiellement à des représentations. Si l’émotion ne suppose aucune croyance en la réalité de ce qui est représenté, le paradoxe disparaît. Enfin, la troisième proposition est plus difficile à rejeter que les autres, car comment évaluer une oeuvre de fiction sans d’une manière ou d’une autre ne pas croire que la référence et la vérité y sont suspendues ou absentes ? Le paradoxe de la fiction sert de révélateur pour la question de l’existence et de la nature de la connaissance littéraire. Si l’on remplace, dans la formulation …

Appendices