Disputatio

Idéal délibératif et idéal démocratique[Record]

  • Mikaël Cozic

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  • Mikaël Cozic
    U. Lyon 3, IRPHIL et IHPST

Dans son ouvrage Délibérer entre égaux. Enquête sur l’idéal démocratique, Charles Girard entend éprouver la force des théories dites délibératives de la démocratie. Ces théories, dont l’influence ne se dément pas, ont en commun de placer la délibération publique au coeur de l’idéal démocratique, au point, parfois, de prétendre justifier à partir d’elle la supériorité du régime démocratique sur d’autres formes d’organisation politique. L’idéal démocratique est associé par l’auteur à la célèbre formule du « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », laquelle est interprétée comme affirmant deux principes constitutifs : un principe d’autonomie politique des citoyens (le gouvernement « par le peuple ») et un principe de visée du bien commun (le gouvernement « pour le peuple »). Chaque principe doit en outre s’entendre de manière égalitaire : chaque citoyen doit être autant que les autres auteur et bénéficiaire des décisions publiques. La conception délibérative s’oppose notamment à celles qui réduisent la démocratie au vote, que Charles Girard appelle « agrégatives » (chap. II). À partir d’une reconstruction, d’une part, du concept de délibération démocratique entendu comme un type particulier de délibération collective et soigneusement distingué de la simple discussion publique (sec. III.7, III.8 et IV.8) et, d’autre part, des deux principes d’autonomie politique et du bien commun (sec. I.3 puis chap. III), l’auteur entend défendre une version spécifique de la démocratie délibérative en montrant qu’elle satisfait les termes d’un cahier des charges qui requiert d’un idéal politique qu’il soit « justifié, cohérent et pertinent ». C’est la poursuite de cette démonstration qui structure, avec une rigueur et une systématicité remarquables, l’ensemble de l’ouvrage. Dans les lignes qui vont suivre, je ferai état d’un certain nombre de remarques et d’interrogations que la lecture de l’ouvrage a suscitées chez un lecteur dont les recherches personnelles relèvent moins de la philosophie politique que des théories abstraites, et souvent formelles, de l’agrégation et de la délibération. Les réflexions à venir reflèteront ces préoccupations, et ne viseront en aucun cas à atteindre une quelconque forme d’exhaustivité. Je me concentrerai principalement, mais pas exclusivement, sur les chapitres II et IV qui cherchent à déterminer les valeurs respectives du vote et de la délibération. (1). Concernant l’allure générale du projet philosophique poursuivi par Charles Girard dans cet ouvrage, l’une des premières questions suscitées par sa lecture est celle de savoir comment il faut concevoir les relations exactes (et en particulier celles qui ont trait à la justification et à l’explication) entre les différents idéaux, principes et valeurs qui sont mis en avant. Je m’explique. Le point de départ de l’enquête est la caractérisation de l’« idéal démocratique contemporain » comme constitué des deux principes d’autonomie et du bien commun. La conception délibérative, par ailleurs, est avancée comme une « interprétation » de l’idéal démocratique (p. 16) parmi d’autres possibles (en particulier l’interprétation « agrégative ») et est aussi considérée comme un « idéal politique ». C’est en tant qu’idéal politique qu’elle doit satisfaire la triple exigence de justification, de cohérence et de pertinence. Concrètement, et j’y reviendrai plus tard, la justification de la conception délibérative est appréhendée du point de vue de la capacité de la délibération à promouvoir ou réaliser les deux principes constitutifs de l’idéal démocratique. L’idéal démocratique et l’idéal délibératif se situent donc sur des plans différents dans l’ordre de la justification : le premier est postulé comme quelque chose d’intrinsèquement désirable, que l’enquête ne cherche pas à justifier, tandis que le second se justifie (ou pas) en fonction de sa capacité à promouvoir ou réaliser le premier. À un second niveau de lecture, néanmoins, …

Appendices