Étude critique

La valeur de la démocratieÉtude critique de La constitution de la démocratie. Égalité et communauté chez Ronald Dworkin de Juliette Roussin[Record]

  • Alain Policar

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  • Alain Policar
    Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)

Bien que de récents travaux aient montré que la philosophie politique de Ronald Dworkin (1932-2013) soutenait la comparaison avec celle de John Rawls, il reste, hors des pays anglo-saxons, largement méconnu. Ces travaux ont, notamment, mis en évidence que Dworkin défend des positions très différentes de celles avancées par le libéralisme politique de Rawls (c’est-à-dire la version du libéralisme soutenue par Rawls à partir de 1985), ainsi que du pluralisme des valeurs d’Isaiah Berlin (lequel met l’accent sur le conflit entre la liberté et l’égalité). Pour Dworkin, en effet, non seulement l’égalité est compatible avec la liberté, mais tout homme attaché à cette dernière ne peut manquer de la chérir. L’enjeu était de formuler une théorie globale afin de montrer qu’égalité et liberté reflètent des « engagements plus fondamentaux encore, portant sur la valeur de la vie humaine et sur la responsabilité qui incombe à chacun de réaliser cette valeur dans sa propre existence ». Sa théorie de l’intégrité se refuse à séparer, comme le fait le contractualisme rawlsien, la morale politique de tous les présupposés éthiques et de tous les débats portant sur la vie bonne. Ce refus sera l’objet d’incompréhensions aussi bien en philosophie politique qu’en philosophie du droit dont Dworkin était un spécialiste reconnu depuis 1977, date de la parution de Prendre les droits au sérieux. Sur ces aspects, le lecteur francophone est désormais relativement bien informé. Mais aucun ouvrage n’avait encore été spécifiquement consacré à la théorie dworkinienne de la démocratie, laquelle illustre parfaitement cette double compétence en philosophie politique (et morale, bien que, chez Dworkin, les frontières soient poreuses) et en philosophie du droit. Le livre de Juliette Roussin vient donc combler un manque de manière magistrale. Il confirme que la thèse, qui sert de soubassement intellectuel à la pensée de Dworkin — celle de l’égalité comme concept décisif du libéralisme politique — ne peut être correctement estimée si l’on néglige qu’elle est tout aussi cruciale pour comprendre les engagements juridiques du philosophe. Si, comme le note J. Roussin, c’est à partir d’une théorie des droits individuels et du constitutionnalisme qu’il construit sa théorie de la démocratie, « on peut mesurer en retour ce que son interprétation des concepts d’égalité et d’autogouvernement implique pour sa compréhension du libéralisme et du droit, en particulier constitutionnel » (p. 15). C’est en effet l’insistance dworkinienne sur l’égalité qui justifie la dénomination d’« égalitarisme libéral » et éclaire l’idée que l’objet du droit constitutionnel est de se conformer au principe selon lequel tous les citoyens doivent être traités avec un égal respect. La nécessité d’un contrôle rigoureux de la constitutionnalité des lois doit être comprise en relation avec celle du principe d’égale dignité des personnes. Ce contrôle, dès lors, apparaît comme le fondement du principe démocratique. Cet engagement est à l’opposé de celui que prônent les tenants d’un minimalisme judiciaire dont on peut raisonnablement penser que, guidés eux aussi par une forte conception de la démocratie, ils redoutent l’emprise des juges sur les mécanismes de délibération démocratique. C’est à montrer le lien puissant entre renforcement de la démocratie et rôle des juges, tel que défendu par Dworkin, que s’emploie Juliette Roussin, servie par une formidable connaissance des textes du philosophe et de celle des débats essentiels qu’ils ont engendrés. La thèse de Dworkin s’enracine dans une discussion fondamentale entre deux conceptions de la démocratie : une conception « majoritaire » selon laquelle la démocratie se caractérise par les décisions qu’aurait prises la majorité si elle avait disposé des conditions optimales pour trancher (temps et information) et une conception « constitutionnelle », pour laquelle « les décisions collectives …

Appendices