Réforme de l’assurance-chômage et politique d’emploi : contrainte, compétition et mobilitéTexte introductif[Record]

  • Dalia Gesualdi-Fecteau and
  • Rachel Cox

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  • Dalia Gesualdi-Fecteau
    Professeure, département des sciences juridiques, Université du Québec à Montréal

  • Rachel Cox
    Professeure, département des sciences juridiques, Université du Québec à Montréal

La Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable adoptée en mars 2012 par le Parlement canadien a entraîné d’importants changements au régime d’assurance-emploi. Ces changements s’inscrivent dans une logique libérale de responsabilisation individuelle, modulant les bénéfices du régime en fonction de la structure du marché de l’emploi et de la place que chaque personne y occupe, nonobstant les réalités du marché de l’emploi dans lequel les potentialités de chaque personne se déploieront. Outre les critères d’admissibilité au régime, lesquels avaient déjà pour effet d’exclure certaines catégories de chômeurs des bénéfices de celui-ci, la réforme crée trois catégories de chômeurs admissibles aux prestations, soit les « travailleurs de longue date », les « prestataires occasionnels » et les « prestataires fréquents ». Ensuite, par une redéfinition à la baisse de l’emploi dit convenable – emploi dont le refus entraîne la perte du droit aux prestations –, la réforme introduit des mesures susceptibles d’écourter la période pendant laquelle les prestataires « occasionnels » et « fréquents » ont droit à des prestations. Devant la menace de perdre leur droit aux prestations, ces prestataires risquent de se déqualifier en acceptant de façon précipitée un emploi en dehors de leur domaine de spécialisation. De plus, le fait d’accepter un emploi moins bien rémunéré, ou plus précaire, peut faire en sorte qu’en cas de perte subséquente de ce nouvel emploi, ces personnes se retrouvent avec des prestations d’assurance-emploi moins élevées, si tant est qu’elles ne sont pas complètement exclues de la protection du régime. Les liens étroits entre la réforme apportée au régime d’assurance-emploi en 2012 et la politique d’emploi du gouvernement conservateur ressortent nettement. D’une part, l’annonce de la réforme du régime d’assurance-emploi a coïncidé avec celle de changements apportés au Programme des travailleurs étrangers temporaires. Ce programme, qui permet l’embauche de travailleurs « étrangers » pour une période prédéterminée par un employeur prédésigné, a connu depuis 2006 une importante expansion. Or, le discours entourant la réforme s’articulait autour de l’importance de « jumeler les Canadiens et les Canadiennes aux emplois disponibles ». Ce faisant, on laisse entendre que les travailleurs « étrangers » qui ne disposent pas de la citoyenneté politique occupent des emplois qui pourraient être offerts à des travailleuses et travailleurs « nationaux ». Cette façon d’envisager le « nexus » entre les politiques publiques afférentes à la gestion des flux migratoires et celles en matière d’emploi est susceptible de mener à une mise en compétition de différentes catégories de travailleuses et travailleurs et de conduire, à terme, à un effritement des solidarités entre celles-ci. D’autre part, sur le plan du discours, la posture de ce gouvernement se manifeste sans équivoque. Comme l’affirma le ministre fédéral des Finances du moment, Jim Flaherty, « il n’y a pas de mauvais emploi. Le seul mauvais emploi, c’est ne pas avoir d’emploi ». Or, le fait que les règles applicables à l’indemnisation des chômeurs permettent à l’État un certain contrôle du marché de l’emploi fait largement consensus. Pour reprendre l’observation de Pierre Bourdieu, « la dégradation généralisée des conditions de travail est rendue possible ou même favorisée par le chômage ». Par ailleurs, l’accès à une indemnisation pour les chômeurs tempère la menace que le chômage fait peser sur ceux qui disposent encore d’un travail, renforçant leur pouvoir de négociation et favorisant la stabilisation des conditions de travail. Au-delà d’un certain contrôle oblique des conditions de travail et du marché de l’emploi obtenu par l’État grâce au régime d’assurance-emploi, les règles spécifiques permettant l’indemnisation des chômeurs facilitent, quant à elles, « le dénombrement sélectif des chômeurs ». Sabine Erbès-Seguin observe ainsi que …

Appendices