Répliques

La tolérance multiculturelle ou le nouvel art de la censure[Record]

  • Mathieu Bock-Côté

Dans la dernière livraison de Recherches sociographiques, Dimitrios Karmis, Diane Lamoureux et Stéphan Gervais ont pris prétexte d’une de mes récentes contributions à cette revue pour remettre en question mon appartenance à la communauté universitaire. Mon article, qui portait sur la reconfiguration de l’espace public menée par l’intelligentsia pluraliste depuis la crise des accommodements raisonnables (Bock-Côté, 2009), était assimilé à une contribution polémique, intellectuellement confuse et scientifiquement malhonnête et la direction de Recherches sociographiques se serait rendue coupable en le publiant. Je cite : « le texte de Mathieu Bock-Côté […] semble particulièrement déplacé dans une revue universitaire ». Je cite encore une fois pour qu’on ne m’accuse pas de mal rapporter leurs propos : « la présence du texte de Bock-Côté dans une revue universitaire que nous apprécions nous met mal à l’aise » (Gervais, Karmis, Lamoureux, 2009). Et pourquoi le malaise ? Mes trois contradicteurs ont leur réponse toute prête et l’expliquent « non pas tant pour les idées qui y sont défendues, mais pour le ton et le style argumentatif de type essentiellement pamphlétaire, ce qui nous apparaît peu propice à un débat d’idées » (Karmiset al., p. 623). Ils le disent à plusieurs reprises : le problème serait celui d’un « pamphlétaire » (p. 622) et d’un « idéologue » (p. 624), deux titres qui me sont décernés pour me transformer en interlocuteur infréquentable dans la communauté académique. La méthode est connue, on la pratiquait évidemment dans la mouvance marxiste des années 1970 et on la pratique encore aujourd’hui chez ceux qui ne doutent pas de conjuguer le monopole de la vertu et de la science. La polémique est l’autre nom donné aujourd’hui à un désaccord à « droite » ou à une entreprise intellectuelle ne consentant pas à évoluer dans les paramètres du consensus progressiste. Celui qui ne campe pas à gauche a probablement des passions, certainement des intérêts, mais aucunement des idées. Le conservatisme est une pathologie, bénigne ou vilaine, mais une pathologie quand même. Et on ne lésine pas avec une pathologie, on la combat et on la soigne. C’est avec le même schème de pensée que la gauche multiculturaliste se transforme en tribunal sur la scène médiatique et s’autorise de juger du « dérapage » de ceux qui y évoluent, le dérapage se calculant bien évidemment à partir du chemin tracé vers la société multiculturelle et post-traditionnelle qui serait désormais l’horizon naturel de la démocratie. Polémiste et pamphlétaire, donc. Mais inculte aussi. Je cite encore une fois : Mathieu Bock-Côté « nous révèle l’étendue de son inculture en faisant de la politique du multiculturalisme canadien le seul modèle de gestion étatique de la diversité culturelle » (p. 630). Évidemment, je n’ai jamais affirmé une telle chose, d’autant plus que dans mes travaux, j’ai à diverses reprises expliqué que le multiculturalisme n’était en rien une exclusivité du gouvernement canadien et qu’il s’agit d’une idéologie qui se déploie depuis une trentaine d’années dans toutes les sociétés occidentales, en France comme en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas comme en Allemagne. Je le redis en deux mots : le multiculturalisme comme idéologie trouve sa genèse dans la transformation du progressisme, par la conversion contre-culturelle du marxisme, et s’est présenté comme le nouveau projet de transformation sociale radicale porté par la gauche. On ne peut rien comprendre au multiculturalisme si on l’enferme dans un « modèle » particulier de gestion de la diversité. C’est en tant que dynamique idéologique qu’il faut l’appréhender. Je ne reviens pas outre mesure sur ce qui me semble ici relever de l’évidence, d’autant plus que j’ai …

Appendices