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Dès les premières pages, le décor est planté : Montréal, 1919. À son retour de la guerre, Olivar Asselin découvre une ville en effervescence et un pays fracturé par la récente crise de la conscription (1917). Voilà le point de départ de cet ouvrage, le troisième tome d’une biographie écrite par Hélène Pelletier-Baillargeon et consacrée au journaliste Olivar Asselin (1874-1937), et qui rassemble de nombreux personnages (l’abbé Groulx, le ministre puis premier ministre Louis-Alexandre Taschereau, pour ne nommer que ceux-là) qui défileront et croiseront le destin (et le fer) d’Asselin.

Parmi les éléments qui retiennent l’attention, il y a d’abord la complexité et la grandeur du « personnage » qu’incarnent le journaliste et le pamphlétaire. Admiré et craint, on encense la rigueur de sa méthode de travail (« l’école Asselin »), sa défense du français et le soutien inconditionnel qu’il offre à ses « protégés », mais on exècre son acharnement et ses prises de position controversées. Libéral et réformiste, certains thèmes seront récurrents sous sa plume : condamnation de l’antisémitisme, dénonciation des dérives fascistes et nazies (y compris au Québec), critique du rôle de l’État durant la crise économique... Malgré son opposition au suffrage universel, au parlementarisme et à la démocratie, qu’il considère comme le « culte de l’incompétence » (p. 149), il n’en restera pas moins un excellent observateur et juge de la scène politique. Enfin, l’idée de « survivance nationale » sera progressivement remplacée par un nationalisme économique et culturel ouvertement affirmé et revendiqué.

Nous retrouvons également constamment au fil de la lecture la relation ambiguë qu’entretient Asselin, croyant et pratiquant, avec la religion et ses dogmes et, plus spécifiquement, avec la charité. Farouchement hostile envers le clergé, il manifeste une tout aussi grande méfiance envers les communautés à vocation caritative (le « corporatisme religieux »), en particulier face aux organisations sous l’influence des jésuites. Cependant, cette ambivalence ne l’empêchera pas de s’engager corps et âme dans les oeuvres de bienfaisance qu’il jugera estimables, tel le refuge de La Merci, même si ses conditions matérielle et financière demeureront précaires. Ses appréhensions quant à l’intervention du clergé dans la vie publique, en particulier dans les domaines éducatif, politique et culturel, seront malheureusement justifiées par sa démission de son poste au refuge et par la fermeture de son journal L’Ordre, victime de la censure religieuse. L’auteure résume assez bien le caractère bouillant d’Asselin en affirmant que si « sa charité est grande, son intransigeance l’est tout autant » (p. 265).

Au final, que retenir ? Les nombreuses hospitalisations et la dégradation morale et physique d’Asselin à la fin ternissent le coloré personnage et nous laissent sur une note pessimiste, comme lorsqu’il évalue (en 1934) avec tristesse et impuissance l’insignifiance de ses écrits et la stagnation de ses principaux combats, la question nationale en tête (p. 278). La lumière s’éteint. Asselin n’a jamais fait « oeuvre » et cela explique peut-être, en partie, la place réduite qu’on lui attribue dans l’historiographie québécoise. C’est ce à quoi l’auteure essaie de remédier en présentant une riche biographie mais aussi le portrait d’une société en transformation à travers le regard volontairement provocateur de son protagoniste. À la description « objective » des événements se superpose habilement la plume acérée d’Asselin par l’utilisation de nombreux extraits d’articles et de sa correspondance, dont l’insistance sur la dimension « règlement de comptes » des textes éclipse parfois la justesse des analyses du journaliste. De plus, la minutieuse description du climat politique et idéologique de l’époque brise parfois un peu le rythme du récit, en particulier à la fin du livre. Toutefois, cette combinaison permet de maintenir l’intérêt et témoigne de l’impressionnant travail documentaire réalisé par l’auteure.

Le livre n’est donc pas un travail « sociologique » au sens strict, mais les lecteurs trouveront certainement, à travers le témoignage de cet « homme d’ordre », une source d’inspiration pour poursuivre le combat d’idées, qui semble maintenant faire si cruellement défaut au sein de la cité savante.