Abstracts
Résumé
La présente étude traite de la vulnérabilité des nappes phréatiques et de la proposition d’un périmètre de protection dans le bassin versant de la Mingoa, menacées par les foyers de pollution notamment les latrines traditionnelles représentant 83 % des ouvrages d’assainissement individuel. Ces nappes phréatiques sont fortement sollicitées par près de 63 % des ménages non raccordés au réseau SNEC[1] (LESEAU[2], 2004). Le coefficient d’occupation des sols est de 90 %. La méthode repose sur les enquêtes, les observations directes et les analyses en laboratoire. Les résultats indiquent que l’épuration totale en zone non saturée selon la méthode Rehse est effectuée à plus de 3 mètres, les eaux souterraines sont de mauvaise qualité microbiologique. Deux zones de protection sont définies en tenant compte du contexte sociodémographique, pédologique et environnemental.
Mots-clés :
- Mingoa - Yaoundé,
- Nappe phréatique,
- Périmètres de protection,
- Vulnérabilité,
- ECOSANTÉ
Abstract
The present study examines the vulnerability of groundwater within the Mingoa’s watershed, threatened by the pollution sources namely the traditional pit toilets representing 83 % of the sanitation work (LESEAU, 2004) and the proposal of a protection zone for that area. Groundwaters are highly demanded by about 63 % of homes unconnected to the SNEC network (LESEAU, 2004). The land use rate is 90 %. The methodological approach lies on surveys, direct observation and the laboratory analyses. The results indicate that the total cleansing on the unsaturated zone according to the Rehse method is effective at 3 meters; groundwaters are of bad microbiological quality. Two protection zones are defined taking into account the sociodemographic, pedologic and environmental context.
Keywords:
- Mingoa - Yaoundé,
- Groundwater,
- Protection zone,
- Vulnerability,
- ECOHEALTH
Article body
1. Introduction
Yaoundé, comme la plupart des grandes villes d’Afrique subsaharienne connaît une forte croissance démographique, avec un taux annuel estimé à 5,6 % (Tanawa et al., 2002). Cette croissance s’accompagne d’un développement spatial de la ville sans que les services urbains de base (eau potable, assainissement, électricité, voirie) ne suivent. De plus, le manque de moyens financiers dû à la crise économique des années 90 a fortement réduit les actions d’aménagement de l’espace et compromis la maîtrise de la gestion foncière occasionnant ainsi la prolifération des quartiers à habitat spontané. Ces derniers sont le plus souvent investis par les ménages pauvres et se caractérisent par un faible accès à l’eau potable et à l’assainissement viable. L’impact de la destruction totale et la rénovation urbaine est impressionnant. Toutefois, le coût élevé et la longue durée de mise en oeuvre ajoutés aux changements (modification des habitudes culturelles…) opérés en constituent les facteurs limitants. Ce qui le rend obsolète.
Le bassin versant de la Mingoa qui regroupe 12 quartiers à habitat spontané de type centraux a une population estimée à 21 500 habitants (Laboratoire Environnement et Sciences de l’Eau de l’École Nationale Supérieure Polytechnique de Yaoundé, LESEAU dorénavant, 2004). L’occupation des sols est anarchique et évolue vers une quasi saturation de l’espace. L’assainissement des excréta est réalisé en grande majorité par des latrines traditionnelles à fonds perdu dont la fosse réalisée par des puisatiers de fortune atteint généralement la nappe phréatique et constitue un risque de contamination microbiologique des eaux souterraines. Il est donc à craindre que la qualité des eaux souterraines ne se dégrade de plus en plus et près de 80 % des ménages de la zone exploitent cette ressource pour satisfaire leurs besoins en eau à travers les puits et les sources (LESEAU, 2004). La prévalence des maladies hydriques (parasitoses intestinales et diarrhées) est généralement élevée dans ces quartiers pauvres et défavorisées par rapport à la moyenne (Dieng et al., 1999 ; Nguendo et al., 2008). Cette forte sollicitation de la ressource en eau souterraine couplée aux risques sanitaires montre la nécessité de la protéger, d’autant plus qu’elle constitue un réservoir d’alimentation de la nappe profonde (Djeuda Tchapnga et al., 2001). L’objectif de cette étude est de montrer la vulnérabilité des nappes phréatiques dans ce contexte via le suivi spatio-temporelle de la qualité physico-chimique et bactériologique de l’eau souterraine et l’identification des sources de contamination potentielles et de proposer un périmètre de protection des captages ou prises d’eau à partir de la démarche de Rehse (Lallemand-Barrès et Roux, 1999).
2. Méthodes
2.1 Présentation de la zone d’étude
Le bassin versant de la Mingoa amont se présente en en forme circulaire et est situé au centre - ouest de la ville de Yaoundé (Sud du Cameroun) et s’étend entre 3°51’ et 3°53’ de latitude nord et 11°28’ et 11°31’ de longitude est. Il fait partie des 25 sous bassins versants inclus dans le bassin versant du Mfoundi. Son exutoire naturel est situé à la confluence avec le Mfoundi mais, dans le cadre de cette étude, l’exutoire se situe à l’amont du lac municipal car à ce niveau, la zone d’étude forme un sous bassin versant de la Mingoa dans lequel l’habitat est spontané et accessible à 90 % aussi, les quartiers localisés au niveau du lac et en aval sont des quartiers administratifs et militaires difficiles d’accès pour les études de terrain. On obtient en définitive un bassin versant d’environ 120 hectares regroupant 12 quartiers (voir Figure 1).
Ce bassin versant se trouve dans la Chaîne Panafricaine Nord Équatoriale datée (540 à 600 millions d’années) comportant plusieurs séries métamorphiques dont la série de Yaoundé constituée des granulites et migmatites (Nzenti et al., 1988). Elle présente trois phases de déformation dont la première est responsable d’un rubanement compositionnel, congénère de la foliation d’orientation générale Nord-Sud, la seconde est tangentielle à la première et la troisième cassante (Nzenti et Tchoua 1996). Cette troisième phase de déformation guide la direction des cours d’eau de la région, favorise l’infiltration des eaux en vue de la formation des nappes d’eau souterraine et garantit la perméabilité des matériaux aquifères. Les sols ferralitiques rouges, les sols ferralitiques jaunes et les sols hydromorphes se sont développés au dessus de cette formation géologique (Onguéné, 1993) et forment l’aquifère supérieur (Djeuda Tchapnga et al., 2001). La topographie en forme d’escalier présente trois secteurs :
un fond plat et marécageux où coulent la Mingoa et son affluent le Ntougou. Il est, soit couvert par une végétation herbeuse, soit construit, en dépit de la déclaration de non aedificandi de ce secteur. Cette partie est régulièrement influencée par les inondations récurrentes.
Des versants contrastés à pentes tantôt abruptes, tantôt adoucies, mais toujours densément occupées par des habitations variées. On y observe parfois des affleurements des blocs de cuirasse latéritique et en dalles de roche-mère formée essentiellement de gneiss.
Des sommets typiques généralement arrondis, sont prisés et recherchés pour l’implantation d’équipements et d’habitations modernes et présentent des saignées dues au développement des voies de desserte dites de crêtes.
Tous ces trois secteurs ont subi au fil des années des modifications liées à l’implantation des populations.
Le bassin versant de la Mingoa se caractérise essentiellement par un habitat de type spontané avec une occupation anarchique des sols par la population. Ces quartiers ne bénéficient pas de plan d’aménagement urbain d’où le manque de réseau de drainage. Ces quartiers s’identifient par leur homogénéité relative et les difficultés d’accès liées à l’insuffisance remarquable des voies de desserte (RTU < 30 %) (Wethe, 1999). En effet, les maisons généralement construites en poto-poto revêtu d’un enduit de ciment (maison en semi-dur) ou non, en planches mal équarries, quelquefois en parpaings de ciment et rarement en briques de terre, forment un paquet compact à peine desservi par des sentiers très étroits dont certains ont été aménagés entre 2000 et 2006 par l’ONG ERA-Cameroun[3]. La densité de la population est de l’ordre de 180 habitants à l’hectare, la taille moyenne de la parcelle variant entre 150 et 200 m2. Le taux d’occupation du sol dépasse souvent 90 %. Dans ce bassin, les zones vertes représentent 15,6 ha, soit 13 % de sa superficie totale. En 2001, la population de cette zone est cosmopolite et estimée à plus de 21 500 habitants. Cette situation dénote l’état de saturation des espaces habités et une forte anthropisation du milieu provoquant ainsi la dégradation de l’environnement. En plus, le taux d’imperméabilisation ( 70 %) qui résulte de cette occupation anarchique contribue à limiter la recharge de la nappe (= 74 mm/an).
Le bassin versant de la Mingoa est soumis à un climat équatorial de type Yaoundé en caractérisé par quatre saisons. La moyenne interannuelle des précipitations est de 1 529 mm, tandis que l’évapotranspiration réelle, estimée à partir du bilan de Thornthwaite, et l’infiltration, sont respectivement de 1 005 mm/an et 74 mm/an. D’où un taux d’infiltration de l’ordre de 5 %.
2.2 Matériels et méthodes
Pendant la réalisation de cette étude, les procédés et techniques suivants ont été implémentés en deux phases :
Une phase de terrain qui a consisté premièrement au recensement presqu’exhaustif et couplé avec une description détaillée des ouvrages complémentaires d’approvisionnement en eau potable (puits et sources) et des ouvrages d’assainissement des excréta (latrines) situés à une distance n’excédant pas 15 mètres des différents points d’eau soit un nombre de 277 latrines grâce aux fiches d’enquête structurée présentant la nature de l’ouvrage (puits, sources, latrines), la présence et la position des latrines, ses caractéristiques (profondeur, diamètre, distance puits – latrine, etc.), son état d’aménagement, les usages et les fréquentations. A l’aide du GPS de poche de marque « Magellan » et de type Explorist, tous ces ouvrages ont été géoréférencées au système de projection UTM WGS 84 (Zone 32 Nord). Des campagnes d’information pour recueillir l’adhésion des ménages ont précédé cette phase par l’organisation des réunions de concertation soit au niveau des chefferies, soit au niveau des écoles ou collèges de ces quartiers et la production des tracts puis, leur distribution dans les ménages. Ensuite, des prélèvements d’échantillons de sols (5) ont été réalisés à la tarière manuelle, de la surface en profondeur (au niveau de la nappe phréatique), suivant une approche toposéquencée sur les parois ou autour des puits et les tranchées visibles au dessus des sources. Toutefois, les points d’échantillonnage ont été localisés en des endroits peu fréquentés par la population. Les épaisseurs des horizons non saturés sont obtenues dans trois puits du bassin par observation directe. Ils sont situés au sommet, à mi pente et en bas de pente. De même, sur la base du principe de représentation spatiale de l’échantillonnage et suivant les critères suivants (proximité de deux latrines, accessibilité de l’ouvrage, accord formel du propriétaire), 25 puits et 7 sources ont été sélectionnés (Figure 2). Les prélèvements des eaux de ces puits et sources ont été effectués ponctuellement et en décembre 2003 pour l’analyse des paramètres indicateurs de pollution d’origine fécale et de l’ion ammonium. Soit un total de 35 échantillons d’eau introduits dans des flacons stérilisés à l’autoclave et aseptisés à l’alcool à 90° pour l’analyse bactériologique et dans des bouteilles en polyéthylène pour l’analyse chimique. Les paramètres physiques tels que le pH et la conductivité ont été dosés in situ à l’aide d’un multimètre de marque « Hanna ».
Une phase de laboratoire a permis de réaliser les analyses granulométriques des sols par la méthode de Robinson et d’obtenir le nombre de streptocoques et de coliformes fécaux par comptage des unités après passage de l’échantillon sur membranes filtrantes et cultures dans les milieux de culture en boîte de pétri ; et les teneurs en azote ammoniacal par la méthode de Nessler (Rodier, 1978).
L’approche participative a été développée grâce à des échanges avec les différentes composantes de la population (jeunes, femmes, hommes) représentées par les ménages ayant consentis, lors des entretiens guidés et l’administration des questionnaires d’une part et par les associations de jeunes et de femmes et les membres du comité d’animation au développement (CAD) lors des focus group. Ces diverses séances se caractérisent par des discussions interactives entre les parties prenantes.
Pour analyser la vulnérabilité des nappes phréatiques, la méthode empirique de Rehse décrite par (Lallemand-Barrès et Roux, 1999) est utilisée. Elle permet le calcul du pouvoir épurateur des sols (Md) à partir des données granulométriques et l’épaisseur de la zone non saturée (H) lors du transfert d’un polluant de la surface du sol jusqu’à l’aquifère par circulation verticale dans la couverture (sol + zone non saturée). L’épuration est dite totale pour Md > 1. L’épuration verticale non totale (Md < 1) est complétée par l’épuration horizontale (Mr) due à l’écoulement horizontal dans l’aquifère jusqu’au captage afin que l’équation Md + Mr = 1 soit vérifiée.
3. Résultats
3.1 La ressource en eau souterraine dans le bassin est fortement sollicitée
Dans le bassin versant de la Mingoa, près de 75 % de ménages utilisent les eaux issues d’autres points d’approvisionnement que celles de la SNEC. Les sources et les puits qui captent les eaux de la nappe supérieure représentent environ 84 % de ces points d’approvisionnement en eau. En cas de coupure d’eau du concessionnaire SNEC, 22 % de ménages recueillent les eaux de sources et de puits comme eau de boisson et 44 % parmi eux consomment ces eaux sans traitement préalable. Lors du recensement, 148 points d’eau (128 puits et 20 sources) sont dénombrés soit une densité de 1 point d’eau/2 hectares. Donc, il faudrait estimer une moyenne de 156 hbts/point d’eau. Leur état actuel est à 67 % mauvais à passable avec 30 % de mauvais état. Leur accès est à 70 % passable à bon dont 38 % n’ayant pas de problème d’accès quelle que soit la saison. Ces points d’eau sont en majorité sommairement aménagés. Le tableau 1 présente les différents usages affectés aux eaux recueillies des puits et sources ainsi que leur fréquence.
Les puits de la zone d’étude ont des profondeurs variant entre 0,00 m et 12,00 m et les profondeurs d’eau dans ces puits oscillent entre 0,00 et 10,50 m. Il faut remarquer que près de 53 % de puits foncés dans le bassin versant ont une profondeur totale comprise entre 0,00 et 6,00 m et environ 68 % de ces puits ont une profondeur d’eau inférieure à 6,00 m (voir Figure 3). Cette proximité de l’eau souterraine par rapport à la surface topographique renforce le caractère vulnérable de la plupart des puits du bassin versant de la Mingoa. Par contre, 65 % des sources appartenant à la zone étudiée se situent dans un espace à habitat immédiat dense. La plupart de ces points d’eau sont côtoyés par les ouvrages d’assainissement autonome abandonnés ou en usage.
3.2 L’assainissement des excréta est approximatif et mal maîtrisé
Les enquêtes de recensement effectuées ont permis de dénombrer dans le bassin versant amont de la Mingoa, près de 3 640 latrines soit une densité moyenne de 28 latrines/ha contre 660 fosses septiques (5 fosses septiques/ha) d’une part et d’inventorier une station de traitement et d’épuration de Messa hors service depuis plus de 10 ans (LESEAU, 2002) et en cours de réhabilitation pour assurer l’assainissement des logements collectifs de la Société Immobilière du Cameroun. Ainsi, 90 % des ménages utilisent les ouvrages d’assainissement autonome regroupés en latrines et fosses septiques. Dans la zone d’étude, trois types de latrines sont observés et en proportions variables avec 3 % de latrines améliorées ventilées, 33 % de latrines à canon et 65 % de latrines traditionnelles à fonds perdu. Ce dernier type de latrines se caractérise par l’ouverture de la fosse jusqu’à la nappe phréatique ou tout autre obstacle (blocs rocheux) recouverte par une dalle en béton armé sur laquelle est érigée la superstructure généralement en matériaux provisoires. Les latrines sont généralement en contact direct avec la nappe d’eau souterraine car les populations résidentes du bassin versant ont coutume de déclarer que « l’arrêt du fonçage de la fosse de la latrine est dû à l’atteinte de l’eau » ou du moins que la profondeur de la fosse est liée à la profondeur de la nappe. C’est pourquoi, les populations situées en bas de pente ou dans les bas fonds renforcent la capacité de la fosse en surélevant cette dernière avec des rangées de parpaings à travers lesquelles, elles posent un tuyau PVC 100. Ce tuyau permet d’évacuer les déchets de la fosse généralement en saison des pluies dans un milieu récepteur (cours d’eau ou rigole) suivant le principe du trop plein. D’où le vocable de latrines à canon. 86 % de ces latrines sont aussi utilisées comme salle de toilette et le rejet de l’eau se fait dans la fosse.
Dans la zone d’étude, la distance moyenne entre les latrines et le point d’eau le plus proche est de 11 m avec un coefficient de variation (CV) de l’ordre de 0,5 confirmant que la majorité des latrines sont proches des puits et sources (85 %). La profondeur moyenne des latrines est de 1,80 m mais le coefficient de variation est très élevé (1,4) et aussi le nombre de personnes moyen sollicitant les latrines est de 14 avec un CV de l’ordre de 0,60. La valeur élevée du CV de la profondeur des latrines indique que l’étendue est très importante donc qu’il existe des facteurs qui imposent la profondeur des latrines à savoir la topographie du site, la profondeur de l’eau dans le sol, la capacité du ménage à payer pour réaliser la fosse, etc.
Le CAD qui est la structure représentative du quartier et les diverses associations existantes constituent des viviers d’information de communication et d’éducation non formelle ajoutés à leur fonction régalienne (entraide, culture de la démocratie et réflexion) pour ces populations davantage peu ou pas ignorantes des risques sanitaires encourus par la consommation de la mauvaise qualité de l’eau d’une part et de la nécessité de collaborer et de contribuer pour l’amélioration des conditions de vie dans leur espace.
3.3 Qualité bactériologique des eaux : une urgence toujours ignorée dans le bassin
Les résultats actuels des paramètres physiques des eaux des ouvrages d’approvisionnement du bassin versant de la Mingoa montrent que ces eaux sont en général acides avec des valeurs de pH comprises entre 5,13 et 7,14 et confirment son contact permanent avec le milieu silicaté constitué par l’aquifère. Les valeurs de conductivité oscillent entre 71,5 et 2 520 µS/cm, ce qui, selon (Rodier 1978), indique que les eaux du secteur d’étude évoluent de très faiblement minéralisées à très fortement minéralisées. La conductivité moyenne est de 440 µS/cm. 67 % des eaux ont des conductivités inférieures à la moyenne et sont en majorité moyennement minéralisées (Figure 4). Cette tendance indique que les eaux de ce bassin versant sont fortement influencées par les actions anthropiques.
Sur le plan bactériologique, l’analyse des valeurs obtenues des trois paramètres indicateurs de pollution d’origine fécale (coliformes et streptocoques fécaux et azote ammoniacal) est effectuée à travers la grille d’appréciation de la qualité des eaux proposée par (Duchemin, 1998). Cette grille précise les différents usages pour lesquels les eaux analysées sont adaptées en fonction de leur qualité (Figure 5). Les moyennes des charges bactériennes des eaux des puits et sources de ce bassin versant sont très élevées. Elles sont respectivement de 8 686 UCF/100 ml pour les coliformes fécaux et de 1 968 USF/100 ml pour les streptocoques fécaux et dépassent les normes admises par l’OMS (1994) (0 N/100 ml). Aussi, la teneur en azote ammoniacal oscille entre 0,9 et 56,3 mg/l et qui est supérieure aux valeurs seuil de l’OMS (1994) (0,05 mg/l). Ces résultats confirment la pollution bactériologique et azotée ponctuelle de la nappe d’eau souterraine de l’aquifère supérieur ainsi que sa vulnérabilité à la pratique de l’assainissement individuel des excrétas.
3.4 Propriétés physiques et hydrodynamiques du sol qui garantissent l’autoépuration et la fonction de capacité
Dans le bassin versant de la Mingoa, les sols se subdivisent en cinq horizons (Tableau 2) tels qu’observés dans la région de Yaoundé (Ekodeck et Kamgang, 2002). Les sols de Yaoundé sont acides avec un pH compris entre 4,5 et 5,5 (Temgoua, 2001). Les analyses granulométriques montrent que les teneurs en argiles diminuent avec la profondeur. Selon la classification de (Taylor, 1956), ces sols évoluent des argiles sableuses aux limons sableux en passant par les sables limono-argileux (Figure 6). Le milieu aquifère se caractérise par les limons sableux et les sables limono-argileux et les battements s’effectuent dans l’horizon tacheté. Les conductivités hydrauliques équivalentes des sols déterminées à partir des mesures granulométriques varient entre 2,80 × 10–6 et 1,98 × 10–5 m/s caractéristiques des sols sur socle cristallin. Selon (Collin, 2004), les ordres de grandeur de perméabilité obtenus indiquent que l’aquifère superficiel obtenu évolue de la classe du médiocre à assez bon dénotant de son aspect capacitif.
3.5 Vulnérabilité des nappes d’eaux souterraine : une réalité dans le bassin versant de la Mingoa
Les résultats (Tableau 3) montrent que l’épuration verticale est totale pour des épaisseurs de la zone non saturée supérieures à 3,00 mètres. La porosité efficace (ne) déduite de l’abaque (Banton et Bangoy, 1997) pour les sols aquifères du bassin versant est de 25 %. Le gradient hydraulique (i) est de 4,76 × 10–2 m/m (Ntep , 2005). La vitesse effective déterminée par l’équation de Darcy (Ve = K*i/ne) est de 3,76 × 10–6 m/s. La distance de transfert dans la zone saturée est déterminée par la méthode de Hoffmann et Lillich (Lallemand-Barrès et Roux, 1999) et les résultats sont donnés dans le tableau 4.
3.6 Périmètres de Protection : une nécessité impérative dans les Plans d’Occupation des Sols
Au regard des distances obtenues et de la configuration urbaine dans le secteur d’étude, nous proposons deux zones de protection.
périmètre de protection immédiat (zone I) : le rayon est inférieur ou égal à 10 mètres. Dans cette zone, seules les latrines améliorées à fosse sèche ventilée sont recommandées avec une épaisseur entre le fond de la fosse et le niveau piézométrique requise de 4 mètres au moins. L’élevage ainsi que toutes autres activités génératrices de polluants y sont fortement déconseillés.
périmètre de protection rapproché (Zone II) : le rayon préconisé correspond aux valeurs de temps de transfert supérieures ou égales à 50 jours, soit au moins 15 m de l’ouvrage.
4. Discussion
Dans le bassin versant de la Mingoa, la qualité de l’eau des puits et sources est très mauvaise (voir Figure 7) en tout point de prélèvement et est liée non seulement au contact direct entre les nappes phréatiques et les fèces des latrines induisant la migration bactérienne mais aussi à la densité des latrines autour des points d’eau. D’autres travaux ont préalablement souligné la contamination des eaux souterraines par les matières fécales (Chippaux et al., 2002 ; Dieng et al., 1999 ; Moukolo et Gaye, 2001). Ces auteurs ont constaté que la présence constante des coliformes fécaux et streptocoques fécaux est due à l’insuffisance de système d’assainissement viable. Par ailleurs, Moukolo et Gaye (2001) ont démontré que l’éloignement d’un point d’eau par rapport à la source de pollution ainsi que la profondeur du toit de la nappe constituent les deux critères significatifs de protection de la ressource. La distance séparant la latrine du point d’eau est insuffisante pour observer une épuration complète et une élimination des bactéries. L’évaluation de la distance optimale d’épuration horizontale totale est de 14,28 m, soit largement supérieure à la moyenne de 11 m qui sépare la latrine des points d’eau. Ainsi, la contamination des eaux dans ce contexte se fait de façon horizontale grâce à la migration des bactéries favorisée principalement par la vitesse d’écoulement de la nappe. Il serait important pour assurer la protection de la ressource en eau de prévoir une épaisseur considérable (4 mètres au moins) de zone non saturée riche en argile et éviter tout contact direct entre la latrine et la nappe d’eau souterraine. Matthess et al. (1988) montrent que les bactéries et les virus décroissent ensuite de façon exponentielle en fonction du temps et estiment la demi vie des bactéries de 1 à 20 jours et des virus de 10 à 100 jours. Dans le bassin versant de la Mingoa, il faut près de 30 jours pour qu’un polluant parcoure moins de 10 m. En comparaison avec la demi vie des bactéries, il ressort que la survie des bactéries ainsi que leur déplacement sont influencés par les caractéristiques hydrodynamiques de l’aquifère, les caractéristiques physico-chimiques de la nappe phréatique, l’état anatomique et physiologique des germes (Matthess, 1982 ; Matthess et al., 1988 ; Teusch et al., 1991). Les études sur la propagation des bactéries en zone saturée (Lewis, 1980) montrent que le mouvement des bactéries s’effectue généralement dans le même sens que l’écoulement naturel de la nappe. De plus, dès que les micro-organismes pénètrent la zone saturée, ils sont retenus en grande partie à l’interface supérieure de cette zone et subissent très peu de dispersion latérale. La distance maximum parcourue par les micro-organismes est essentiellement déterminée par la vitesse d’écoulement de la nappe et l’extension de la pollution bactérienne dépend de la durée de vie des micro-organismes dans l’aquifère. Le nombre moyen de jours nécessaires pour une réduction de 95 % de la population des streptocoques fécaux pour des sols à saturation soumis à des températures oscillant autour de 25 °C est de 53 jours (Lewis et al., 1980). Bemmo et al. (1998) montrent que les rendements de filtration varient en fonction de la charge d’eaux usées : plus celle-ci est élevée, moins la qualité du percolat est bonne et que la vitesse de filtration semble jouer un rôle important dans l’élimination des germes témoins de contamination fécale. Les plus fortes réductions d’effectifs de germes sont obtenues pour des faibles valeurs de débits. La texture de l’aquifère de la Mingoa est de type sable limono-argileux à limons sableux et peut contribuer à la filtration et l’adsorption des micro-organismes mais l’effet répétitif de contamination due à l’utilisation quotidienne des latrines favorise la formation du biofilm qui joue un rôle important dans la survie et la capacité de résistance des bactéries.
La fermeture d’une latrine n’entraîne pas l’arrêt du fonctionnement de la fosse. Sous l’effet de l’infiltration des eaux de pluies, les anciennes fosses constituent une source de pollution importante à travers la réactivation des bactéries lessivées lors de la recharge de la nappe phréatique. Donc, l’existence des latrines traditionnelles hors normes constitue la principale source de vulnérabilité de la nappe d’eau sous altérite dans la Mingoa. Lewis et al. (1980) ont montré que les bactéries survivaient pendant 70 jours dans les sols humides avec un abattement de 90 % en 30 jours.
Dans le bassin versant de la Mingoa, l’humidité du sol, la température, la matière organique et le climat jouent un rôle prépondérant dans la survie des bactéries sur plus de 30 jours. Ainsi, la protection de la ressource en eau souterraine dans le contexte d’un bassin versant fortement urbanisé passe d’une part par la généralisation des latrines améliorées à double fosse sèche et ventilée dans les parcelles (voir Figure 8) et d’autre part par la mise en place et le respect des deux zones de protection à travers des mesures d’accompagnement spécifiques.
La formulation et l’application d’un arrêté municipal stipulant l’implication obligatoire ou du moins la validation des plans de localisation et de détail de construction des latrines à fosses ventilées sèches par les techniciens de l’administration municipale.
Le contrôle et le suivi de la mise en oeuvre des latrines à fosses ventilées sèches (respect des dimensions et profondeurs de la fosse par rapport au niveau piézométrique de la nappe d’eau souterraine et de l’évacuation des eaux de toilette et des urines dans un puisard de dimensions connues).
5. Conclusion
Les nappes phréatiques du bassin versant de la Mingoa sont fortement sollicitées par les ménages. Les latrines, principal mode d’assainissement des excréta sont en contact direct avec la nappe phréatique. Les analyses microbiologiques indiquent que les eaux de cette zone sont fortement dégradées et sont à proscrire pour les besoins en eau de boisson. La vulnérabilité de cette nappe est fortement entamée par la multiplication des activités anthropiques. Les teneurs en argile des sols diminuent avec la profondeur et selon la méthode Rehse, l’épuration totale en zone non saturée s’effectue à au moins 4 mètres. L’épuration totale en zone saturée s’effectue à 15 mètres (50 jours) supérieure à la distance moyenne entre puits et latrine de la zone d’étude. Ainsi, pour assurer la protection de la ressource en eau souterraine, il est recommandé de prescrire et de généraliser la construction des latrines à fosse ventilée sèche dans la zone d’étude d’une part et de matérialiser deux zones de protection (le périmètre de protection immédiat (zone I) où le rayon est inférieur ou égal à 10 mètres et le périmètre de protection rapproché (Zone II) où le rayon préconisé correspond aux valeurs de temps de transfert supérieures ou égales à 50 jours, soit au moins 15 m de l’ouvrage) d’autre part.
Appendices
Notes
-
[1]
SNEC : Société Nationale des Eaux du Cameroun chargée de la production et la distribution des eaux par réseau d’adduction récemment transformée en CAMWATER (Cameroon Water Utilities Corporation) par décret présidentiel N° 2005/494 du 31 décembre 2005.
-
[2]
LESEAU : Laboratoire Environnement et Sciences de l’Eau de l’École Nationale Supérieure Polytechnique de Yaoundé transformé depuis Janvier 2009 en équipe de recherche au sein du Laboratoire Environnement Eau Energie (L3E) de la même institution.
-
[3]
ONG ERA Cameroun : Organisation Non Gouvernementale de droit camerounais dite Environnement Recherche Action au Cameroun.
Bibliographie
- Banton, O., et Bangoy Mulongo, L. (1997). Hydrogéologie, multiscience environnementale des eaux souterraines. AUPELF.UREF. Québec : Presses universitaires du Québec.
- Bemmo, N., Njiné, T., Nola M., et Ngamga G. (1998). Impacts des différents dispositifs d’évacuation des eaux de vidange, des eaux usées, des excrétas humains et des déchets solides sur les ressources en eau, la santé de l’environnement : cas des quartiers denses à habitats spontané et des zones périurbaine de Yaoundé Cameroun. Proposition de systèmes appropriés tenant compte des contraintes locales. Rapport de recherche. Yaoundé, Université de Yaoundé 1, École Nationale Supérieure Polytechnique.
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