Quelques mois après les vagues provoquées par les révélations de Wikileaks, nous sommes en droit de nous interroger sur les conséquences des informations délivrées par cette organisation. Au-delà des péripéties du feuilleton Julian Assange et des spéculations dignes des romans d’espionnage les plus élaborés, l’effet Wikileaks est à analyser sur le principe même. Wikileaks s’est constitué comme un véritable réseau d’informations anonyme avec des taupes présentes au sein de différentes administrations d’une pluralité d’États. Ce réseau a collecté ces données (principalement des rapports administratifs destinés à rester secrets) et les a classées pour les rendre disponibles à l’opinion publique. L’objectif était certainement de proposer une certaine glasnost mondiale et de révéler des aspects cachés et non avoués des relations internationales. L’affaire Wikileaks réactive ce mythe de la transparence avec l’idée d’une vérité reconstruite par des informations collectées alors que la méthodologie liée à l’élaboration de ces rapports secrets n’est jamais questionnée. En dernier lieu, les informations Wikileaks nous semblent avoir plus profité aux journalistes en mal d’information qu’à un travail de fond sur les allégations supposées. La transparence est une idée fausse car il est impossible que les États dont les intérêts divergent puissent adopter cette ligne. La transparence suppose qu’il y ait une vérité première s’énonçant clairement et distinctement et que chaque action et chaque décision puissent relier un objectif à une intention. Les processus de décision sont complexes en fonction de la structure même des administrations. Qui nous dit que ces rapports sont le reflet de la situation réelle ? Cornélius Castoriadis évoquait la falsification des rapports des bureaucrates au temps de l’URSS : en effet, chaque commission avait tendance à maquiller les chiffres et les analyses afin qu’elles correspondent à une ligne idéologique donnée. S’il faut instituer une commission de contrôle, rien ne nous dit que cette commission ne falsifie des rapports eux-mêmes falsifiés. On entre dans les échos infinis de la falsification ce qui rend problématique la recherche de la vérité. La manipulation de ces documents demande une précaution, l’information brute devant être travaillée en relation avec d’autres types de sources. Le contexte de rédaction de ces rapports est essentiel car chacun est formaté selon le destinataire. Le rédacteur d’une note administrative a une position au sein du système et le message qu’il transmet se lit par rapport à l’effet recherché sur le destinataire. Nous retrouvons ici le célèbre dilemme de Kant sur le droit de mentir : il vaudrait mieux selon lui dire la vérité en toute situation, quitte à guider le criminel envers la victime pour ne pas contredire l’universalité de la loi morale. Si l’on ment pour maquiller ses intérêts même à des fins nobles (protéger la vie d’une personne), on entre dans les aléas de la défense des intérêts particuliers et on ne peut établir un contrat social sur de tels fondements ; or, toute la raison diplomatique repose sur la protection des intérêts d’une nation. En raison même de la divergence de ces intérêts (chaque État visant la conservation voire l’augmentation de sa puissance), le secret d’État demeure un sanctuaire difficile à profaner. Wikileaks a bénéficié surtout à des quotidiens en crise et a permis aux journalistes de sortir des scoops sur la raison d’État. La publicité de données secrètes n’est pas forcément de nature à pacifier les relations internationales et il est peut-être plus intéressant d’évoquer les formes alternatives de production d’information grâce aux réseaux sociaux et au Web 2.0 plus participatif. Une forme de journalisme citoyen se développe sur le web avec pour fonction d’apporter de l’information analysée à la source. Ces réseaux citoyens et participatifs sont à …
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L'effet Wikileaks[Record]
- Christophe Premat
Online publication: Aug. 23, 2019
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2011
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