Recherche "POLEART"Essai

L'atelier de l'artiste, laboratoire démocratique d'une nouvelle normativité ? [Record]

  • Alain Kerlan

À la lecture de l’intitulé et de l’argumentaire de ce colloque « Normes et discours », je dois avouer avoir connu quelque hésitation avant de me décider à proposer cette communication. Certes, et j’espère que vous me l’accorderez, il y sera bien question de la norme et de la normativité. Toutefois la problématique y est étudiée à partir d’un lieu qui n’est pas le discours, mais l’atelier de l’artiste, essentiellement de l’artiste plasticien, même si le discours de l’artiste y a sa place ; et il s’agit de surcroît de cet atelier particulier des artistes qui vont exercer une part de leur travail d’artiste sur la scène sociale, et notamment sur la scène éducative : je parlerai donc des artistes en résidence, des artistes intervenants dans la cité, et plus particulièrement en milieu éducatif, à l’école. J’aborderai la question de la norme sur un territoire qu’il faudrait situer à l’intersection de la philosophie éducative, de l’esthétique, et de la philosophie politique. Le détail des communications réunies dans ce colloque m’a aidé à lever cette hésitation. C’est en effet la diversité des approches, comme en témoignent les interventions qui précèdent la mienne et celles qui lui succéderont, qui en est tout d’abord l’aspect le plus remarquable. Aussi, une contribution à la problématique de la norme et de la normativité sous l’angle spécifique qui est le mien ne me semble pas inutile. Elle me paraît en tout cas susceptible d’apporter un éclairage dont je vais essayer de montrer l’intérêt. Avant d’entrer dans le vif du sujet, je dois préciser que les éléments d’analyse que je présenterai ici sont en relation avec une recherche financée par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et intitulée : « Les politiques de l’enfance : le cas de l’éducation artistique » (acronyme Poleart), dans laquelle la problématique de la normativité s’est avérée centrale. Je crois nécessaire d’attirer d’abord l’attention sur le fait lui-même, à mon sens étrangement méconnu, y compris de ceux qui devraient y être les premiers attentifs : les sociologues et les historiens d’art, les spécialistes d’esthétique, les spécialistes d’éducation bien sûr. Le fait est le suivant : le recours aux artistes dans le champ éducatif, et plus largement dans le champ social, ne cesse de se développer, et cela même en dépit de l’incertitude et des aléas des crédits qui le portent. Cela peut-être à l’initiative de l’artiste lui-même : voici une dizaine d’années, le peintre Gérard Garouste ouvrait, dans un petit village de Normandie, La Guéroulde, un centre d’art et d’éducation, La Source, où des artistes, à son invitation, allaient s’installer pour des résidences de durées variables, afin d’y recevoir des élèves en difficultés. La Source a prospéré, et un second centre s’est même récemment ouvert. Ce peut être l’initiative d’une institution : en 2003, la Ville de Lyon ouvrait et finançait le Centre Enfance Art et Langages, chargé de l’accueil en résidence de longue durée d’artistes dans les écoles maternelles. La démarche peut venir d’une association : à Montpellier, à l’initiative de l’Association Départementale Danse et Musique de l’Hérault, une classe de sixième bénéficiait en 2010/2011 de la résidence d’une compagnie de danse, la compagnie Les gens sur le quai. Les mêmes élèves bénéficient cette année en cinquième de la résidence d’une compagnie théâtrale et de celle d’un écrivain tenant atelier. Ce peut être l’initiative d’un établissement, et même souvent d’un individu, un enseignant ou un groupe d’enseignants. Ce peut être une politique d’État ; Christian Ruby croit même devoir parler de « L’État esthétique ». Voilà donc des artistes, en nombre et en qualités, convaincus d’avoir un rôle …

Appendices