Article body

Introduction et contexte

Des recherches en sciences sociales sur les épidémies (peste, choléra et sida) ont évoqué les questions socioculturelles auxquelles se heurtent les politiques de prévention comme un enjeu majeur de santé publique (Sekhar et Kang, 2020; Gupta et Gupta, 2020; Sodikoff, 2019; Cohn Jr., 2018; Mathur, 2005; Long, 2004; Benoist et Desclaux, 1996; Esoavelomandroso, 1981). Pareillement, l’épidémie de maladie à virus Ebola (MVE) en Afrique de l’Ouest (2014-2016) et la crise actuelle de la pandémie de COVID-19 rappellent avec force l’impérieuse nécessité de prendre en compte ces questions socioculturelles dans les politiques de préparation et de réponses aux épidémies (Ali et Davis-Floyd, 2022; Bardosh et al., 2020; Dayrit et Mendoza, 2020; OMS, 2020, 2014a; Anoko et Doug, 2019; Faye et al., 2017; Desclaux et Sow, 2015; Faye, 2015). Les politiques de santé passent ainsi de la prévention ou de la précaution à la préparation aux épidémies, de plus en plus promue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2015, 1997). En effet, les conditions d’émergence ou de réémergence d’une épidémie étant d’une manière ou d’une autre connues, la question est de savoir si les sociétés sont prêtes à affronter une crise épidémique (Keck, 2021; Baron et Martin, 2015). De plus, ces épidémies sont porteuses de crises sociales, politiques, économiques et institutionnelles (Coq, 2022; Milet, 2022; Bergeron et al., 2020; Horton, 2020; Gasquet-Blanchard, 2017; Fribault, 2015; Zylberman, 2012). Ces corollaires tendent à s’exacerber lorsque les États ne sont pas suffisamment préparés à affronter les enjeux sociaux des crises épidémiques (Gupta et al., 2021; Borraz et Bergeron, 2020). Tout ceci explique l’incitation des États et des organismes internationaux à mettre en place des dispositifs afin d’anticiper les crises épidémiques, mais surtout d’atténuer les effets des mesures de biosécurité sur les individus et la société.

Fondée sur des principes de biosécurité, la préparation aux épidémies se révèle à travers une gamme de dispositifs institutionnels, de surveillance des potentiels réservoirs d’agents infectieux et des clusters par des techniques d’isolement, de quarantaine, de vaccination et par des politiques de recherche scientifique (Deziel, 2008; Cooper et al., 2006; National Academy of Sciences, 2006). Quoique ces principes biosécuritaires semblent contenir des implications sociales, les dimensions sociales sont néanmoins très peu intégrées dans l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques de réponses des États (Kra et Schmidt-Sane, 2021; David et Le Dévédec, 2019; Desclaux et Touré, 2018; Abramowitz etal., 2015). Pourtant, plusieurs recherches en sciences sociales ont clairement montré que la prise en compte des dimensions sociales permet – entre autres – d’humaniser les mesures sanitaires et de respecter la dignité des victimes (Kra etal., 2020; Desclaux et Sow, 2015; Epelboin, 2009; Epelboin etal., 2008; Formenty et al., 2005). Ceci aide à « co-produire la résilience communautaire et la réponse aux crises » (Hyvärinen et Vos, 2016, p. 99), mais aussi à favoriser une réponse inclusive (Kra et al. 2021). Cet article s’inscrit dans cette perspective de préparation et de réponses aux épidémies. Son objectif est de montrer les enjeux liés au réaménagement des rites funéraires en contexte d’épidémie et de discuter comment des contre-rites et fenêtres d’opportunité[1] peuvent servir de points d’ancrage pour co-construire avec les parties prenantes des réponses sociales aux épidémies.

En effet, la question de l’articulation entre impératifs funéraires et exigences de santé publique traverse plusieurs crises de mortalité par épidémie, et revient de manière itérative (Hazif-Thomas et Seguin, 2022; Alfieri etal., 2020; Fery, 2020; Kra etal., 2020; OMS, 2020; Anoko et Doug, 2019; Cohn Jr., 2018; Golomski, 2018; Cros, 2016; OMS, 2014a; Fureix, 2011). Toutefois, après le sida (voir notamment Golomski, 2018; Crentsil, 2007; Robins, 2006; Abramovitch, 2001; Broqua etal., 1998; Hébert, 1998; Marty-Lavauzelle et Broqua, 1998; Paillard, 1993), c’est à la faveur des épidémies de MVE en Afrique que des anthropologues ont réévoqué la question de l’interdiction des rites funéraires comme particulièrement délicate dans les réponses (Boumandouki etal., 2005; Formenty etal., 2005; Hewlett et Hewlett, 2005). Récemment, lors de la pandémie de COVID-19, des études en psychologie ont rappelé que ces mesures de biosécurité, provoquant des situations de deuils « compliqués », « non résolus », voire « impossibles », peuvent avoir des séquelles de deuils « complexes persistants », « pathologiques » ou « traumatiques » (Corpuz, 2021; Eisma etal., 2021; Chalom, 2020; Eisma etal., 2020; Goveas et Shear, 2020; Mortazavi etal., 2020). Les anthropologues et sociologues qui ont travaillé sur les rites funéraires ont montré qu’un rite mal ou non exécuté pourrait attirer toutes sortes de malheurs (infertilités, morts en série, baisse de la production agricole, réduction des chances de réussite des enfants, maladies, faillite des affaires, etc.), parfois pour la famille proche de la personne décédée, parfois pour l’ensemble du lignage, voire du village (Haxaire, 1998; Liberski, 1994; Thomas, 1985, 1982, 1975). Par ailleurs, ces pratiques sont, par excellence, ce que Mauss (1924) appelle un « fait social total ». En effet, les rites funéraires condensent, par exemple, le religieux, la parenté, le culturel, l’économie, le politique et le foncier (Jakšić et Fischer, 2021; Chrościcki etal., 2012; Fureix, 2011; Trompette, 2008; Larson, 2001; Verdery, 1999). Les ressorts de ces multiples enjeux liés aux rites funéraires, associant menaces et risques socioculturels, imposent d’examiner les impératifs funéraires pour mieux éclairer les politiques biosécuritaires en temps d’épidémie. Nous proposons le concept d’impératifs funéraires pour désigner les interdits, les obligations, les permissions ou autorisations, selon notamment les types de mort, l’âge, le genre, le statut social et les circonstances de décès.

Les données empiriques proviennent d’une étude de cas : une recherche qualitative, réalisée en période postépidémique en pays senoufo en Côte d’Ivoire[2] dans le cadre du programme « Rituels funéraires et épidémies en Côte d’Ivoire » (RiF&piC[3]). Une immersion de 12 mois (2017-2018) a permis la réalisation de 26 observations relatives aux rites funéraires et aux soins mortuaires. Ces observations ont été couplées à des discussions quotidiennes et à des prises de vue, ainsi qu’à 30 entretiens semi-structurés, notamment avec des chefs de village ou de famille (initiés pour la plupart au poro), des prêtres initiés, des laveurs de cadavres, des thanatopracteurs, des tradi-thérapeutes et des professionnels de santé[4]. Y sont associées, la recension de documents et la recherche bibliographique. Après archivage et transcription, les données ont été encodées et analysées avec le logiciel Nvivo©.

La mort, les morts et les rites funéraires en pays senoufo : comprendre pour mieux se préparer aux épidémies

Construction sociale de l’obligation de solidarité et de redevabilité par le funéraire

Selon les répondants et les documents consultés, le poro[5], principale institution sociale en pays senoufo, serait initialement institué pour des funérailles honorifiques, tant est que l’initiation au poro est centrée dès le début sur l’exécution des rites funéraires et la pratique des soins mortuaires. Les discours des répondants soutiennent que les principes funéraires sont dictés par le poro, et que toute personne initiée a dû laver un cadavre au moins une fois. Un enterrement culturellement digne est caractérisé par le nombre de porteurs de masques sacrés du poro qui participent aux cérémonies funéraires. Par conséquent, c’est une infamie que de mourir sans recevoir les honneurs des masques du poro. En substance, Marie Lorillard, une anthropologue qui a fait sa thèse en pays senoufo, expliquait cela lors de nos échanges de courriels au début de la recherche : « Les camarades initiés ont obligation d’assistance, et ce, jusqu’à la mort! » Ces actes répondent à deux des principales valeurs prônées dans le poro : l’obligation de solidarité et de redevabilité. Ces deux modalités de socialité sont consubstantielles à l’identité senoufo. À ce titre, Marie Lorillard se demandait : « Comment les Senoufo pourraient-ils abandonner leurs pratiques en temps d’épidémie sans y laisser une partie de leur identité? » L’insertion des rites funéraires au coeur des rites d’initiation permet aux premiers d’accroître leur emprise sur les conduites quotidiennes, les perceptions individuelles ou collectives du risque et les logiques de prise de risques face à la mort.

À rebours, les rites funéraires permettent d’entretenir les relations sociales, mais aussi de veiller au respect des normes sociales. Selon les répondants, la qualité de l’accompagnement en fin de vie et des cérémonies funéraires est intrinsèquement liée à la qualité des relations au sein du lignage et dans la société. Pour les Senoufo, respecter les normes sociales, prendre soin d’un mourant ou d’un mort, offrir de l’argent, un linceul ou simplement son temps pour des cérémonies funéraires, c’est préparer ses propres funérailles. Ismaël témoigne : « Chez nous, on dit : “Quand tu laves un mort, c’est ton propre corps que tu laves”… » De fait, les obligations funéraires et l’idée de redevabilité sous-tendent les prises de risques dans la mort, en vue d’un enterrement digne.

Mise en sens des dimensions socioculturelles de la dignité dans les rites funéraires

Ce qui précède montre que la dignité est un construit (Kra et al., 2018). Certes, une analyse rapide des discours des répondants atteste que les actes et les gestes posés à l’endroit de la personne mourante sont une expression sociale de la compassion. Mais ces pratiques, variant notamment selon la position sociale, le statut, les circonstances et les formes de survenue de la mort, sont des occasions pour la famille de garantir l’honneur et la réputation de la personne, et par ricochet de la famille et du lignage. Selon les répondants, la mobilisation au chevet de la personne mourante montre combien cette dernière est digne de respect, même dans la mort. Ici comme ailleurs, une personne respectable et respectée ne meurt jamais seule et a impérativement droit à une dernière toilette, excepté pour les décès considérés comme inattendus. La toilette mortuaire répond certes à des besoins d’hygiène et au principe du respect de la dignité humaine, mais elle remplit surtout une fonction de reconnaissance sociale. Ainsi, selon les initiés, la façon de pratiquer la toilette mortuaire dans le poro et la qualité des pratiquants dépendent des grades, des fonctions, mais également de l’ancrage social du lignage. Ces pratiques mortuaires, culturellement perçues comme indispensables, peuvent toutefois être proscrites dans certaines circonstances, telles que les décès par noyade ou par accident.

Les dimensions culturelles de la dignité se lisent également dans le déroulement des cérémonies funéraires. L’un des répondants souligne le caractère festif des rites funéraires et leur impossible désincarnation de la socialité : « On naît dans la fête et on meurt dans la fête… » Les explications d’un autre vont dans le même sens : « Chez nous, il n’y a pas de moments de fête comme paquinou[6] chez les Baoulés. Chez nous, ce sont les funérailles! » Selon lui, l’honneur d’un Senoufo et la reconnaissance sociale se jouent dans les rites funéraires : « Le Senoufo vit des funérailles et le Senoufo a peur de la honte… » En langue senoufo, le terme ia (ostentation, honneur) désigne ces cérémonies funéraires mettant en scène la dignité. Le nombre de masques sacrés, la qualité des participants et la quantité des dons sont les marqueurs sociaux de l’honorabilité du mort. Ainsi, être dignement enterré dépend du poids du capital social de l’individu, reposant sur ses réseaux de relations, ses alliances matrimoniales et ses adhésions ou l’adhésion des membres de son lignage à d’autres « bois sacrés[7] ». Dès lors, les politiques biosécuritaires, imposant un réaménagement des pratiques funéraires et interdisant les rassemblements lors d’une épidémie, mettent intrinsèquement en cause les formes de socialité.

Enjeux et défis de la biosécurisation des rites funéraires en temps d’épidémie

Diversité des institutions sociales et variabilité des impératifs funéraires

Un Senoufo converti à l’islam ou au christianisme peut aussi se faire initier au poro. Les Senoufo peuvent ainsi faire cohabiter en eux plusieurs appartenances spirituelles en adhérant à des institutions ayant des prescriptions funéraires différentes, voire contradictoires. Ainsi, l’approche institutionnelle des rites funéraires met en évidence une diversité et une variabilité des normes et des acteurs impliqués dans la prise en charge de l’agonisant ou du mort. Le syncrétisme identitaire constitue donc un enjeu majeur dans la mise en oeuvre des politiques de réaménagement des rites funéraires en contexte d’épidémie. Les résultats révèlent que les thanatopracteurs, les chefs de lignage ou chefs de famille, les chefs de village et les responsables religieux constituent les principaux acteurs des prises de décisions funéraires. Une meilleure connaissance des logiques, du niveau d’implication et du pouvoir de décision de ces différentes catégories d’acteurs peut aider à atténuer les incertitudes en temps d’épidémie.

Les risques de remise en cause de l’autorité et l’ordre des interactions

Pour mémoire, le pouvoir politique fondé sur le poro est mis en sens par le culte des ancêtres et l’exécution des rites funéraires. Ainsi, grâce à ces pratiques funéraires culturellement perçues comme symboles de l’honorabilité, les anciens parviennent, plus ou moins, à contrôler les plus jeunes. Les moments funéraires permettent de rappeler et de réaffirmer non seulement le pouvoir des initiés sur l’ensemble du terroir, mais particulièrement l’autorité des anciens. Outils de régulation sociale, les rites funéraires constituent des espaces de mise en scène du pouvoir des différentes catégories d’acteurs et des institutions. Ils permettent la reproduction des jeux sociaux, des rôles, des positions et l’entretien de l’ordre des interactions entre différentes catégories d’acteurs.

En raison de l’indissociabilité entre rites d’initiation et rites funéraires, modifier ces derniers sans un compromis adossé à la culture porte atteinte au fondement même de la société. Les normes biosécuritaires apparaissent alors comme une défiance, voire un processus d’affaiblissement des institutions sociales locales. Ainsi, les normes biosécuritaires prescrites en période épidémique remettent en cause l’autorité coutumière et l’ordre des interactions qui trouvent leur ancrage dans les rites funéraires. La non-exécution de ces rites, sans compensation ou alternative, affaiblit le pouvoir des institutions sociales qui régulent les conduites individuelles et collectives. L’application des normes biosécuritaires aux rites funéraires a pour corollaires la fragilisation ou l’affaiblissement de l’autorité des personnes qui, culturellement, ont le pouvoir de décision. Cet enchaînement de conséquences peut induire des crises de l’autorité avec pour effet l’effritement ou le délitement des liens sociaux. Penser les dimensions sociales de la préparation aux épidémies, c’est aussi réfléchir, de manière systémique, aux éventuelles conséquences du réaménagement des rites funéraires et aux stratégies de leur atténuation.

La peur des conséquences du courroux des ancêtres et de la vengeance de la personne décédée

Les données sur les représentations sociales de la mort montrent que l’être humain est conçu par les participants à nos entrevues comme étant immortel. Plusieurs histoires d’ubiquité recensées dans leurs discours font référence au pouvoir numineux des personnes décédées, un pouvoir qui inspire la peur et impose des devoirs envers la personne qui vient de trépasser. Dans les imaginaires, les personnes décédées se vengent lorsqu’elles ne sont pas traitées et enterrées dans les règles. La personne qui vient de mourir est définie comme l’« intercesseur des vivants auprès des ancêtres », nous dit Ousmane. Tout manquement peut la conduire à ne pas transmettre les voeux des vivants aux ancêtres. Or, comme Arthur le souligne, « le Senoufo ne fait rien sans avoir invoqué ses ancêtres ». Le non-respect des rites funéraires peut courroucer le mort et ses aïeux déjà ancestralisés, et susciter leur vengeance. En conséquence, les aïeux peuvent induire toutes sortes de malheurs ou de malédictions : d’autres maladies, des décès, une chute subite des affaires et des rendements agricoles, etc.

Mais il n’y a pas que l’absence ou la transgression des rites qui font courir des risques. Selon les discours, les populations s’exposent à plusieurs dangers lorsque les rites funéraires ne sont pas correctement exécutés. Ainsi, comme dans bien d’autres sociétés, quelles que soient les circonstances de décès, tout contact avec un cadavre sans prise de précautions peut avoir plusieurs effets néfastes pour la personne qui manipule le corps ou pour le groupe : « Si c’est un bon corps ou un mauvais corps, il faut se protéger », disait un devin-thérapeute. La question de la précaution dans la manipulation du cadavre se pose donc aussi bien pour la santé publique, lorsqu’elle souhaite limiter les risques, que pour les populations. Contrairement à la santé publique, la culture n’attend pas une situation d’épidémie pour rappeler les risques liés à la manipulation des cadavres. Dans la culture senoufo, dès les premiers signes annonciateurs du décès[8], un ensemble de rites est déployé pour assurer au mourant une entrée apaisée dans la mort : donner de l’eau à boire en lui parlant (éventuellement recueillir ses derniers voeux), assurer son confort, maintenir la propreté du lieu d’agonie, assurer l’hygiène des draps et objets souillés par les fluides corporels, etc. Ce faisant, les populations espèrent atténuer le pouvoir vindicatif de la personne et se protéger contre les éventuels déchaînements des ancêtres.

Contre-rites et fenêtres d’opportunité pour la co-construction des réponses

Couwélé kalèlè ou les rites de simulation et de substitution

Plusieurs répondants soulignent que, du fait du syncrétisme identitaire décrit dans les sections précédentes, des conflits peuvent éclater entre les différents acteurs pour des questions de gouvernance dans les prises de décisions lors des cérémonies funéraires. Cependant, il existe dans le poro des rites permettant d’adapter localement les prises de décisions lorsque la personne est convertie à une religion musulmane ou chrétienne. En effet, le poro prévoit des possibilités de remplacement avec des substituts pour reprendre les rites dans les moindres détails, comme si le cadavre était présent. Un exemple suffira à illustrer ce processus de réparation de rites non réalisés. Appelé couwélékalèlè en langue senoufo, ce dispositif culturel permet d’articuler et d’accommoder les divergences confessionnelles. La figure 1 montre le programme des cérémonies funéraires ajournées d’un vieil initié au poro décédé en 2017. L’ajournement des cérémonies funéraires de ce vieil homme, à la fois converti à l’islam et initié au poro, est dû à la survenue de son décès dans la période des travaux champêtres.

Figure 1

Manuscrit d’un programme de couwélé kalèlè

Source : Kra, F., programme RiF&piC-LPED-CUB (Korhogo, 2018)

-> See the list of figures

Ce programme manuscrit reprend les grandes étapes des cérémonies funéraires. Elles sont identiques au processus funéraire lorsque le corps de la personne décédée est présent. De même, lorsque les soins mortuaires et les rites d’inhumation se déroulent suivant les impératifs funéraires, soit de l’islam, soit du christianisme par exemple, les pairs initiés, qui ont l’obligation morale d’exécuter les rites funéraires du poro, ont recours au couwélé kalèlè pour réparer leurs rites. Par exemple, lorsque les circonstances n’ont pas permis une toilette mortuaire respectueuse des recommandations du poro, grâce au couwélé kalèlè, cette obligation peut être réparée, et l’honneur sera restauré. En outre, la culture veut que les chefs de bois sacré ou de canton soient inhumés dans la forêt sacrée. Lorsque les circonstances ne permettent pas le respect de ce principe, le couwélé kalèlè permet de leur donner une sépulture sans inhumation du corps dans le bois sacré, afin de restaurer l’honneur de la personne décédée et de tout son lignage. Ces connaissances localement construites sont exploitables pour adapter des mesures sanitaires visant à réduire un risque épidémique lorsque la maladie est transmissible par des contacts avec le corps de la personne décédée.

En pays senoufo comme ailleurs, il arrive qu’une personne décède loin de sa terre natale et que les circonstances ne permettent pas le transfert du corps au village ou que le corps soit introuvable. Parmi les répondants, plusieurs assurent que, pour offrir des rites funéraires à ces personnes, il existe également des substituts en vue du rattrapage ou de la réparation des rites non exécutés. Le corps est alors remplacé par un tronc d’arbre appelé latchow ou encore latchow gueul. Les rites sont exécutés sur ce substitut, qui, par la suite, est transporté au cimetière pour être inhumé. Ainsi, celui qui n’avait pas de tombe trouve désormais repos au milieu des siens et peut recevoir le statut d’ancêtre. La négociation des normes biosécuritaires en situation d’épidémie peut alors prendre appui sur ce type de substitut permettant d’offrir une sépulture de remplacement.

Comme dans plusieurs sociétés, il existe une diversité et une variabilité de cimetières en pays senoufo. Comme l’ont souligné l’ensemble des répondants, « certaines personnes n’ont pas de tombe ». Suivant les principes funéraires senoufo, le cadavre d’une femme enceinte n’est pas enterré dans un cimetière reconnu du village, et le nouveau-né est inhumé derrière la maison de la mère. Une personne qui meurt par accident[9] ou en brousse est inhumée sur le lieu du décès. Dans les représentations sociales, ces tombes ne doivent pas être visitées au risque d’attirer le malheur sur la société. L’évocation de ces personnes dans la liste des ancêtres nécessite des rites de substitution leur offrant des tombes et des rites expiatoires annulant les risques liés à leur statut de mort par accident.

Les rites propitiatoires lors des prises de risques

Les rites propitiatoires interviennent généralement en amont des actes funéraires. Ce sont des actions préalables à toute prise de risque dans une aire culturelle (Eschlimann et Trichet, 2016). Un exemple issu de nos données porte sur la construction des sépultures. Dans l’ensemble des 30 entretiens réalisés, les interlocuteurs insistent sur l’existence de sacrifices propitiatoires qui précèdent la construction d’une tombe. Lorsqu’un enterrement doit avoir lieu dans un cimetière, il importe de préalablement sacrifier un poulet (niandougou go : la poule des fossoyeurs) et de donner à boire (du tchapalo[10]) aux ancêtres. Selon le répondant Richard, ces éléments, qui sont fournis par le chef du lignage maternel, sont remis aux fossoyeurs. Le niandougoulè[11] (chef des fossoyeurs) va exécuter le rite dans le cimetière où la tombe doit être creusée. Ce rite vise à obtenir l’autorisation des ancêtres avant de procéder au creusement de la tombe. Selon Alaman, « quand on tue le poulet, il montre que les morts ont accepté, vous pouvez creuser la tombe à côté d’eux ».

Selon les participants à nos entrevues, la personne qui s’apprête à effectuer le voyage à koubelekaha (village des morts) doit être chaleureusement accueillie par les ancêtres. Cet accueil lui évitera d’errer dans le monde des vivants. Pour ce faire, il est nécessaire non seulement d’en informer les ancêtres, mais aussi d’avoir préalablement obtenu leur autorisation avant de convoyer le mort. Si les ancêtres ont accepté le sacrifice, personne ne peut s’opposer au choix du lieu d’inhumation. De ce point de vue, les rites propitiatoires peuvent aider à atténuer les polémiques qui émergent souvent en contexte épidémique à propos du choix des lieux d’inhumation, mais aussi dans les prises de décisions, comme le disait Arthur : « Le Senoufo ne fait rien sans l’avis des ancêtres. » Alors si les ancêtres acceptent le réaménagement des rites funéraires, personne ne contestera parce que tous ont l’assurance que ces ancêtres ne se retourneront pas contre eux.

Les rites de pardon et de réparation

Les rites de l’agonie font partie intégrante du processus funéraire et participent à la construction sociale d’un décès culturellement digne. Par exemple, selon les répondants, le don d’eau pendant l’agonie remplit plusieurs fonctions. Il permet à la personne mourante d’entrer dans la mort réconciliée avec les siens, d’accéder à une mort paisible, mais aussi de rafraîchir sa gorge afin qu’elle puisse transmettre les voeux des vivants aux ancêtres. Il répond aussi à un besoin de protection contre les éventuelles agressions du mort en permettant d’atténuer la force vindicative de ce dernier. Lorsqu’une personne décède sans avoir bu de l’eau, il y a une possibilité de réparer pour apaiser son pouvoir destructeur. Ce rite, appelé coufiguiri (éteindre l’esprit ou l’âme du mort), est une association de différentes approches : consultation de devins ou mobilisation de rituels existants. Lorsque les proches estiment que le mort a été offusqué, il convient, par exemple, de verser préalablement de l’eau pour lui présenter les excuses (lô wo ku man). Ce rite permet également de contenir les humeurs du mort afin qu’il ne fasse de mal à personne, en attendant les cérémonies d’ancestralisation visant à l’assigner définitivement au village des morts. En revanche, il n’existe pas toujours de contre-rites permettant de conjurer ou de congédier le malheur. Dans ces situations, des pratiques divinatoires permettent d’en construire un pour réparer les potentiels effets néfastes.

Les changements socioculturels et l’informalisation[12] des rites funéraires

Nos résultats montrent que les rites funéraires ne sont ni statiques ni atemporels. Ces pratiques ont connu et connaissent toujours des changements et des modifications en milieu urbain comme en zone rurale. Les connaissances ethnologiques dans différentes aires culturelles montrent une grande variabilité des rites funéraires en fonction de divers contextes, et surtout l’existence de procédures d’adaptation. Autrefois, en pays senoufo, conformément aux impératifs funéraires du poro, les cadavres étaient transportés sur les têtes vers les espaces funéraires. Aujourd’hui, notamment en milieu urbain, la plupart des corps sont transportés dans des corbillards. Selon les répondants, certains masques sacrés considérés comme hautement dangereux pour les personnes non initiées au poro ne sont plus sortis en ville lors des rites funéraires. Ils sont activés dans la forêt sacrée durant les rites d’hommage.

En outre, les observations montrent que le processus funéraire (normes, pratiques) ne suit plus nécessairement les séquences décrites dans les récits (normes sociales valorisées dans les discours)[13]. Des rites peuvent se dérouler simultanément, certains se superposent, d’autres se juxtaposent. À la faveur de la thanatopraxie et des hôpitaux, des ajustements et des adaptations ont également été apportés aux pratiques mortuaires. Leur institutionnalisation et la professionnalisation brisent plusieurs tabous en lien avec les soins mortuaires. L’implémentation de ces institutions rompt également avec la sacralité du cadavre des initiés. En effet, selon les impératifs du poro, seuls les pairs doivent les accompagner en fin de vie et pratiquer la toilette mortuaire. Il ressort des discours des personnes rencontrées durant l’enquête que le corps d’une femme initiée au poro ou au sandogo est pris en charge par les paires ou que, d’une manière générale, la toilette mortuaire d’une femme doit être faite par des femmes. Néanmoins, nos observations mettent en lumière des écarts à ces affirmations. Sur 26 situations de décès observées au village, parmi lesquelles on comptait 25 femmes et un seul homme, la toilette mortuaire fut pratiquée par des hommes : des thanatopracteurs itinérants. Quant aux hommes initiés qui décèdent à l’hôpital, les soins mortuaires sont généralement pratiqués à la morgue par des thanatopracteurs qui ne sont pas nécessairement initiés. Ces exemples montrent qu’il est possible de s’écarter de la norme, la prise en charge des corps étant confiée à des personnes extérieures. Il importe de considérer ces situations comme des opportunités à saisir en vue d’améliorer la préparation et l’élaboration d’une politique sanitaire permettant une riposte aux épidémies où la santé publique serait capable de s’adapter aux contextes dans lesquels elle intervient.

Les entités nosologiques populaires liées aux cadavres

Les discussions quotidiennes et les 30 entretiens réalisés ont permis de comprendre que, chez les Senoufo – comme dans d’autres sociétés[14] − le cadavre humain est considéré en lui-même comme potentiellement dangereux à divers égards. Tout contact avec un cadavre expose potentiellement au risque de contracter une maladie, identifiée par la nosologie populaire senoufo. Dans d’autres situations (mort d’une femme enceinte ou en couche, présence de fluides corporels), la culture préconise des enterrements rapides, discrets et secrets, du fait des formes de manifestation de la mort. Elle impose des restrictions dans la manipulation des cadavres afin d’éviter des contagions cadavériques. En revanche, lorsqu’un mort reçoit un rituel interdit par la culture, cela peut également attirer différents malheurs sur la société. Ces permissions et interdits culturels peuvent servir à négocier les temps d’inhumation et à réduire la manipulation des cadavres en temps d’épidémie.

Les entretiens montrent que plusieurs entités nosologiques populaires (Jaffré et De Sardan, 1999) sont liées à la manipulation des cadavres. La plus connue d’entre elles est appelée n’teman, provoquée par les senon : les morts par accident, en brousse, par noyade, durant la grossesse, etc. Plusieurs dispositifs existant dans la culture permettent de réduire la transmission de cette maladie. La prise en charge de ces corps est réservée aux Fodonon (forgerons), un autre groupe senoufo. Ceci offre à la santé publique la possibilité de négocier ou de communiquer sur la nécessité de l’intervention d’une équipe d’experts, des personnes formées pour l’inhumation de cadavres épidémiques. Ces différentes pratiques et savoirs constituent des potentialités culturelles exploitables par la santé publique pour communiquer sur le risque épidémique, l’adaptation des mesures sanitaires et la construction des messages de sensibilisation.

Discussion

À la lumière des résultats obtenus lors du travail de terrain, plusieurs points méritent d’être discutés. Contrairement à ce que suggèrent les documents de l’OMS, mettant l’accent sur les religions musulmanes et chrétiennes lors des épidémies en Afrique (OMS, 2014a) et omettant totalement les religions autochtones ou locales, la cartographie des institutions sociales en pays senoufo permet d’attirer l’attention de la santé publique sur le syncrétisme identitaire, notamment religieux, à considérer lors des épidémies. Le travail réalisé sur les rites funéraires des Senoufo implique ainsi quelques caractères du polatch (Mauss, 1924, 1899) car, en général, les échanges et les arrangements funéraires ne se font pas entre individus, mais plutôt entre institutions. La participation funéraire relève d’une « prestation totale » (Tcherkézoff, 2015, p. 44). Par l’intermédiaire de leur propre chef, les participants agissent au nom de leur famille, lignage, génération d’initiés et bois sacré. Cette imbrication entre autorité, ordre social et rites funéraires explique aussi pourquoi l’habitude de la santé publique de passer systématiquement par des agents de santé communautaire se révèle, pour une mesure comme l’interdiction des rites funéraires en période épidémique, illégitime, inefficace, voire dangereuse (Lee-Kwan etal., 2017). Intervenir dans un tel phénomène social en temps d’épidémie revient à articuler différentes identités et logiques, un défi majeur qui nécessite un véritable travail anthropologique de préparation pour renforcer la capacité d’intervention de la santé publique, mais aussi des scientifiques sociaux (Kra et al., 2019).

La prise en charge et le traitement des corps en contexte d’épidémie font également débat. Dans un article de 2015, Frédéric Le Marcis soutient que traiter le corps des personnes décédées de MVE comme « des fagots » à cause de leur contagiosité exprime, d’une part, « un déni d’altérité » et, d’autre part, « un déni d’humanité » (p. 3). Les résultats de l’analyse que nous avons menée selon l’angle des impératifs funéraires permettent de nuancer ces conceptions. De fait, que les Senoufo optent pour un enterrement rapide, discret et parfois hors des cimetières culturellement homologués ne signifie pas nécessairement un déni d’humanité. Délibérément faire l’impasse sur la toilette mortuaire, en certaines circonstances de décès, n’a pas pour but de couvrir d’ignominie la personne décédée et sa famille. De telles décisions répondent en fait à des impératifs funéraires : des interdits suivant les risques associés aux cadavres.

Un autre débat est lié à la perception du risque. Dans leur étude en lien avec le sida, Douglas et Calvez observent que « la personne qui, dans le cours de son histoire personnelle et sous la menace d’une censure de la communauté, ne s’est jamais considérée comme preneuse de risques s’engage dans des conduites à risque élevé » (2011, p. 195). En effet, l’analyse des logiques de prise de risque des Senoufo montre que les châtiments que peuvent infliger les forces liées au poro sont tellement dangereux (Jamin, 1979; Richter, 1981, 1979) que ceux-ci ne réfléchiraient pas deux fois avant de faire un choix entre le risque de transgression des impératifs funéraires et l’hypothétique risque de transmission d’une maladie méconnue. Le choix des populations relève ainsi de ce que nous avons appelé une « hiérarchisation des risques et des priorités » pour expliquer pourquoi les populations ivoiriennes n’ont pas respecté l’injonction d’évitement de la manipulation des cadavres lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest (Kra etal., 2016). En outre, notre analyse montre que la participation aux cérémonies funéraires est un investissement qui vise un retour de redevabilité, évoquant la célèbre triade « donner, recevoir, rendre » de Mauss (1924) à propos de la construction sociale des échanges. De cette générosité se construit en effet la dette funéraire ayant pour finalité la quête d’un enterrement digne, caractéristique majeure de la valeur humaine dans la culture senoufo. Si tant est que, pour les Senoufo, il n’y a rien de plus valorisant que les cérémonies funéraires, il faut alors comprendre qu’ils sont prêts à prendre tous les risques pour espérer recevoir une reconnaissance le jour de leur mort. Ce résultat est similaire à ce que Faye décrit à propos des populations guinéennes qui ne « considèrent et ne vivent pas [“l’exceptionnalité d’Ebola”] comme un événement hors norme » (2015, p. 15). Il explique : « Un mort d’Ebola n’est pas exceptionnel pour les communautés, au sens où, malgré le risque de transmission, il doit être géré et son corps enterré de manière conforme à la norme sociale (ce qui en fait un enterrement digne). » (Faye, 2015, p. 15) L’indissociabilité entre normes sociales et impératifs funéraires observée chez les Senoufo peut faire penser que ces populations ne considèrent pas les décès par épidémie comme « hors normes ». Toutefois, la diversité et la variabilité des rites funéraires permettent de soutenir qu’il existe des décès « hors normes », imposant des traitements et des rites particuliers. Ainsi, l’hétérogénéité et la plasticité des rites funéraires peuvent aider la santé publique à envisager plusieurs alternatives ou possibilités d’adaptation à construire au quotidien avec les familles, les autorités coutumières ou encore les dignitaires religieux, et ainsi à définir en amont une procédure localement adaptée et circonstanciée qui permettra aux États et aux intervenants humanitaires de mieux répondre aux épidémies. Connaître les savoirs locaux sur les entités nosologiques en lien avec la manipulation des cadavres rend également possible une meilleure communication au sujet des risques.

Aussi les contre-rites et les différents procédés d’adaptation existant dans les sociétés humaines peuvent-ils aider à co-construire avec les populations des procédures de prises de décisions et des rites de substitution pour réparer les écarts à la norme imposés par les injonctions biosécuritaires en temps d’épidémie. Il convient de savoir les utiliser intelligemment pour renforcer les capacités de la santé publique à agir sur les pratiques sociales en contexte d’épidémie. Notre expérience de mise en ingénierie des savoirs et savoir-faire anthropologiques acquis grâce, notamment, aux résultats du programme RiF&piC montre l’intérêt d’une telle démarche (Kra etal., 2020). Lors de la première vague de la pandémie de COVID-19 en France, nous sommes, grâce à cette recherche réalisée en Côte d’Ivoire, intervenus à l’Hôpital Européen de Marseille pour soutenir des prises de décisions dans l’urgence. Ce travail d’expertise anthropologique a contribué à humaniser les décès, en faisant respecter des exigences sociales ou religieuses des personnes mourantes ou décédées et, éventuellement, de leur famille, sans transiger sur le respect des mesures sanitaires.

En outre, certains auteurs, notamment Thomas (1985), qualifient le changement des rites funéraires de « déritualisation », de « déni de la mort », de « poussée de l’individualisme », de « marchandisation de la mort » avec pour conséquence une « désocialisation de la mort », une « laïcisation » et un « syncrétisme » de ces pratiques (p. 17-107). En revanche, nos résultats vont dans le même sens que d’autres travaux qui soutiennent que la mort déritualisée n’en est pas moins socialisée (Moisseeff, 2016; Clavandier, 2009; Déchaux, 2002), et que laïcisation ne veut pas dire disparition des rites, mais respect de l’altérité et de la diversité des rites de chacun. Ceci illustre la dynamique des sociétés, la flexibilité et la souplesse des normes funéraires et des coutumes de manière globale, et donc de la tradition en général (Noret et Petit, 2011; Wulf, 2010; Gojard, 2006). Ce processus sociétal relève en effet de l’informalisation des rites funéraires grâce à la capacité de la culture à se réinventer, à muer pour s’adapter aux changements et aux nouvelles exigences sociales (Wouters et Dunning, 2019; Wouters, 2007, 2004). Cette informalisation spontanée, c’est-à-dire l’autoadaptation de la culture, peut servir d’ancrage à la biosécurisation des rites funéraires en temps d’épidémie.

***

Dans cet article, nous avons analysé des enjeux liés au réaménagement des rites funéraires en contexte d’épidémie et discuté comment des contre-rites et fenêtres d’opportunité peuvent servir de points d’ancrage pour élaborer des procédures de co-construction, avec les parties prenantes, des réponses sociales aux épidémies. La diversité des institutions sociales a mis en évidence une variabilité d’acteurs avec des logiques funéraires parfois complexes et enchévêtrées, permettant d’attirer l’attention de la santé publique sur les défis liés au syncrétisme identitaire et religieux à considérer lors des épidémies. Les contre-rites et les fenêtres d’opportunité peuvent ainsi servir de cadres pour construire des réponses inclusives afin d’humaniser les mesures sanitaires en contexte épidémique, de maintenir autant que faire se peut un minimum de dignité pour les personnes décédées et leur famille, de réduire les risques liés au réaménagement des rites funéraires et, en conséquence, d’atténuer d’éventuelles violences sociales réactionnelles lors des épidémies. Par ailleurs, l’informalisation des rites funéraires montre la capacité de la culture à se réinventer pour s’adapter aux changements. Les résultats attestent que la dignité est un construit culturel variant selon les circonstances de décès, les positions sociales, l’âge, etc. L’adaptation des mesures de biosécurité à la culture impose donc d’appréhender la dignité humaine sous l’angle des impératifs funéraires. Pour intégrer ces dimensions sociales dans les politiques de réponse, il importe de procéder à une analyse des impératifs funéraires en recherchant les interdits, les obligations, les permissions ou autorisations, selon notamment les types de mort, l’âge, le genre, le statut social et les circonstances de décès. L’opérationnalisation de ces savoirs nécessite de promouvoir une anthropologie des épidémies axée sur une culture de l’action et accordant la primauté à l’approche systémique de la co-construction.