Introduction[Notice]

  • Gilles Dostaler et
  • Robert Nadeau

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  • Gilles Dostaler
    Université du Québec à Montréal

  • Robert Nadeau
    Université du Québec à Montréal

John Maynard Keynes est sans contredit l’économiste le plus célèbre et le plus influent du vingtième siècle. Il est, avec Marx, l’un des seuls à avoir donné son nom à un courant de pensée. « Keynésianisme » et « keynésien » sont des termes désormais consacrés dans l’univers politique et économique. On a forgé, peu après le décès de Keynes, l’expression « révolution keynésienne » pour désigner un ensemble de transformations intervenues, autant dans la théorie que dans les politiques économiques, et plus généralement dans les rapports entre l’État et l’économie, entre le début des années trente et les années cinquante. On a même appelé « États keynésiens » la nouvelle forme d’États interventionnistes qui se sont mis en place pendant cette période. Il ne faut toutefois pas confondre l’oeuvre de Keynes, la révolution keynésienne et le keynésianisme. Appelé à trancher entre les positions des populistes russes et de ses disciples dans ce pays, Marx aurait dit : « quant à moi, je ne suis pas marxiste ». De la même manière, en voyage aux États-Unis, Keynes aurait déclaré à un ami, relatant une rencontre avec des économistes américains : « j’étais le seul non-keynésien ». Ces propos sont apocryphes, mais ils sont vraisemblables. Le keynésianisme est une vaste mouvance, qui se déploie sur tout l’éventail de l’échiquier politique et idéologique. Entre le keynésianisme radical de Joan Robinson, le keynésianisme modéré de Paul Samuelson ou celui, plus conservateur, des « nouveaux keynésiens », les fossés sont larges. Joan Robinson a d’ailleurs qualifié d’« émasculé » le keynésianisme de Samuelson, aussi baptisé « synthèse néoclassique ». Et à l’intérieur de chaque camp, post-keynésien comme néoclassique, les tendances sont diverses et l’harmonie est loin de régner. Tous, pourtant, se réclament de la pensée du maître de Cambridge. Alors que le keynésianisme se déploie en amont, la révolution keynésienne naît en aval de l’oeuvre de Keynes. À partir de la fin du XIXe siècle, le capitalisme libéral qui a triomphé dans l’Angleterre victorienne se heurte à une série de problèmes de plus en plus difficilement surmontables, qui déboucheront sur la Première Guerre mondiale, la révolution russe, la montée du fascisme et la dépression des années trente. Aux crises économiques récurrentes, à la montée du chômage, à l’élargissement des inégalités, répondent une montée en force du mouvement ouvrier, syndical et politique, et une accentuation des luttes sociales. À la suite de John Stuart Mill, les théoriciens du nouveau libéralisme – qu’il ne faut pas confondre avec le néolibéralisme – proposent des amendements majeurs au laisser-faire classique, sous la forme d’interventions des pouvoirs publics, et en particulier de programmes de sécurité sociale. C’est donc avant Keynes que se met en marche cette transformation politique et économique qui aboutira, après la Deuxième Guerre, à la mise en place de l’État-providence. Sur le plan théorique, de la même manière, la remise en question des thèses libérales classiques commence avant La Fin du laissez-faire (1926) de Keynes. De même, la construction théorique par laquelle ce dernier, dans la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), justifie ses propositions politiques, est déjà présente dans des travaux publiés au début des années trente par Gunnar Myrdal et Michal Kalecki. Keynes n’est donc ni l’unique auteur, ni l’unique acteur de la révolution qui porte son nom. Il n’en reste pas moins le personnage central de cette histoire et il est tout à fait correct que son nom soit associé à ce paradigme. C’est la conjonction de qualités personnelles exceptionnelles et du contexte dans lequel il a vécu qui explique cette situation. Né à Cambridge le 5 …

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