PrésentationÎles, continents et hétérotopies : les multiples trajectoires de l’ethnographie hospitalière[Notice]

  • Sylvie Fortin et
  • Michaela Knotova

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  • Sylvie Fortin
    Département d’anthropologie, Département de pédiatrie, Université de Montréal, C.P. 6128, succursale centre-ville, Montréal (Québec) H3C 3J7, Canada
    sylvie.fortin@umontreal.ca

  • Michaela Knotova
    Département d’anthropologie, Université de Montréal, C.P. 6128, succursale centre-ville, Montréal (Québec) H3C 3J7, Canada
    michaela.knotova@umontreal.ca

L’hôpital est à la fois un lieu de soins, d’expertises, de cultures organisationnelles et professionnelles. C’est aussi un lieu aux multiples logiques et temporalités de soins, un espace d’interactions entre soignants, soignants et soignés et de négociation des savoirs. Souvent relié à un pôle religieux (monastère), l’« ospital » du Moyen Âge chrétien accueillait malades, pauvres et marginaux (Moisdon 2002). La charité sanitaire était étroitement imbriquée au domaine religieux et les dimensions sociales du soin primaient sur le médical. Souffrants et indigents, « pauvres malades » et « malades pauvres » y trouvaient refuge (Ticktin 2011). Les importantes transformations organisationnelles amorcées en réponse aux grandes épidémies européennes du XIIe au XIVe siècle ainsi que la nécessité d’isoler les malades allaient néanmoins favoriser un transfert progressif des pouvoirs religieux aux pouvoirs publics, ouvrant la voie à une laïcisation et à une médicalisation de l’hôpital. Toutefois, alors que la première faculté de médecine naissait à Montpellier au début du XIIIe siècle (Granger et Pierru 2012), ce n’est qu’avec la Renaissance et l’émergence d’une vision du corps objectivé en système (Lock et Nguyen 2010) que les médecins en viendront à exercer au sein de l’hôpital, et de manière exclusive à partir de 1707. Ce faisant, l’hôpital « moderne » prend forme au XVIIIe siècle (Foucault 1963) et devient le chef-lieu d’observation des malades et de formation des cliniciens. Cette évolution est aussi étroitement associée à d’importants mouvements sociaux (dont la Révolution française) et l’influence croissante des pouvoirs publics dans la prise en charge du social (notamment des indigents par l’État plutôt que par l’hôpital). Tant en Europe qu’en Amérique du Nord, la mission médicale (et scientifique) de l’hôpital devient centrale, au détriment de sa vocation d’accueil et d’hospitalité. L’avènement de l’anesthésie et des antiseptiques dans la seconde moitié du XIXe siècle participe de manière significative à cette évolution, l’hôpital devenant progressivement un important lieu d’investissement technologique où la chirurgie (notamment avec la Seconde Guerre mondiale) tient un rôle significatif (Starr 1982 ; Katz 1999 ; Pouchelle dans ce numéro). Dans l’hémisphère Sud, l’histoire de l’hôpital est indissociable de celle du projet missionnaire et de la volonté de limiter la portée des maladies infectieuses chez les possibles convertis. Il en est de même avec les colonisateurs qui entendaient limiter les effets dévastateurs des infections sur la main-d’oeuvre locale tout en assurant la santé des colons (Van der Geest et Finkler 2004). L’hôpital postcolonial repose sur cet héritage combiné aux dynamiques géopolitiques actuelles. Fleuron de la modernité et lieu de reproduction d’un ordre social ordonné par l’histoire, il doit conjuguer avec un ensemble de traditions thérapeutiques dont la rencontre et la négociation sont toujours en devenir (Preston-Whyte 2005 ; Comaroff 2007 ; Wamba 2013 ; Bibeau dans ce numéro). L’hôpital est aussi un lieu de paradoxes, à la fois un lieu de proximité – en raison notamment de ses services d’urgence qui reçoivent de manière indifférenciée les personnes en quête de soins – et un lieu de distance – un monde à part avec ses règles et ses codes (Goffman 1961 ; Freidson 1970). C’est un lieu d’action, de décisions et en même temps un lieu d’incertitudes (Fox 2003) inspirant confiance (soins) et craintes (lieu de maladies et de décès). On y prodigue des soins généraux et spécialisés, desservant à la fois des malades en phase aiguë et ceux atteints de maladies chroniques et souvent complexes. L’hôpital demeure (en partie) ce lieu d’accueil pour tous notamment par l’entremise de ses soins d’urgence, tout en étant un lieu où l’accès est contrôlé en fonction du type de maladie et de sa …

Parties annexes