Note de lecture

France Guérin-Pace, Olivia Samuel et Isabelle Ville, éd. En quête d’appartenances. L’enquête Histoire de vie sur la construction des identités, Paris, Éditions de l’INED, 2009, 223 p. Préface de François Héran, postface de Claude Dubar.[Notice]

  • Victor Piché

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  • Victor Piché
    Professeur honoraire, Département de démographie, Université de Montréal

Ce livre constitue un point de référence, un livre marqueur, car il ouvre la porte, enfin, à l’analyse quantitative à la fois des subjectivités et des histoires de vie, deux domaines réservés jusqu’à maintenant aux analyses qualitatives. L’enquête « Histoire de vie » se démarque de façon pionnière du paradigme dominant qui lie intégration et immigration en proposant, comme le souligne François Héran dans la préface, une approche qui considère l’intégration comme « coextensive à la société entière ». L’enquête Histoire de vie a rejoint 10 000 personnes, ce qui constitue un échantillon imposant que seules des institutions de l’envergure de l’INSEE peuvent se permettre de constituer. L’introduction, rédigée par les trois responsables du collectif, fournit les éléments nécessaires pour comprendre à la fois la source des données et le fil conducteur de l’ensemble des contributions du livre. L’originalité de l’enquête repose sur un questionnaire biographique (parcours familiaux, professionnels et migratoires), dont la partie subjective s’intéresse aux différentes appartenances et identités des personnes interrogées, et sur les appréciations subjectives que ces personnes font de leurs parcours. Comme le souligne encore une fois François Héran dans la préface, l’identité est ici conçue de façon multiple et évolutive. Trois chapitres traitent des identités ou appartenances reliées au monde du travail, en particulier, la question de la pertinence de l’appartenance de classe, préoccupation fondamentale quasiment évacuée ailleurs, mais encore présente chez les chercheurs français. Le vocable de classe sociale « fait-il encore sens » aujourd’hui se demandent Agnès Pélage et Tristan Poullaouec, face à la thèse courante de l’effritement de la conscience d’appartenance de classe ? La réponse est positive, du moins pour la moitié de la population interrogée et ce sentiment d’appartenance s’avère plus fort dans les couches supérieures du salariat. Que dire de l’autre moitié  ? Pour les auteurs, il aurait été intéressant de savoir s’il s’agit réellement d’une absence de sentiment de classe ou bien d’un refus de la vision « classiste de l’espace social ». Le deuxième chapitre s’attaque à un autre « mythe » relié au gonflement de la classe moyenne. Jérôme Deauvieau et Céline Dumoulin démontrent qu’il est difficile de parler d’« une » classe moyenne étant donné son hétérogénéité. De plus, si le sentiment d’appartenance à une classe sociale est plus présent chez les salariés, ceux issus d’un milieu ouvrier populaire s’identifient plutôt vers le bas de l’échelle sociale, alors que c’est le contraire chez les salariés issus d’un milieu aisé. Deux variables indépendantes de trajectoire (premier emploi et changement de qualification) montrent l’importance de la trajectoire ascendante sur le sentiment d’appartenance à une classe sociale. Ce résultat constitue un premier exemple de la contribution essentielle des « histoires de vie » dans l’analyse des subjectivités, un des objectifs fondamentaux de l’enquête. Enfin, le troisième chapitre, rédigé par Hélène Garner, Guillemette de Larquier, Dominique Méda et Delphine Remillon et relié au monde du travail, aborde la question du genre. Les auteurs montrent que les femmes sont moins centrées sur le travail, ce qui était déjà largement documenté, et suggèrent — de façon plus nouvelle — que l’activité professionnelle peut être un marqueur fort de l’identité féminine dans le cas des femmes qui occupent des positions avantageuses. Sandrine Nicourd, dans le chapitre 4, s’intéresse aux identités politiques et religieuses. Si la religion a perdu sa force d’identification, les croyances religieuses sont encore très présentes et sont loin d’être un phénomène secondaire. Un autre mythe est ici également attaqué : les mouvements spirituels ou les croyances parallèles, dont on entend tellement parler, sont quantitativement extrêmement minoritaires par rapport aux religions instituées. Par ailleurs, si l’engagement politique reste également …