Mondialisation et transnationalisme : Moving Money. Banking and Finance in the Industrialized World.Verdier, Daniel. Cambridge, Cambridge University Press, 2002, 311 p. [Notice]

  • Guillermo R. Aureano

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  • Guillermo R. Aureano
    gersi, Université de Montréal

Voilà un livre inquiétant, et qui pourrait l’être davantage si l’auteur avait osé aller jusqu’au bout de son raisonnement. Daniel Verdier compare deux périodes d’expansion accélérée de la finance mondiale. La première va de 1850 jusqu’à la Première Guerre mondiale. La seconde, commencée en 1960, n’aurait pas encore pris fin, même si l’auteur arrête son analyse en 2000. Si le passé est garant de l’avenir, comme Verdier semble lui-même le suggérer, pourquoi la seconde période, à l’instar de la première, ne se solderait-elle pas, à la longue, par un krach gigantesque ? Les prévisions sont certes difficiles à établir mais, pour écarter tout mauvais présage, Verdier néglige d’explorer les crises financières de la fin du xxe siècle ainsi que les fraudes comptables et boursières plus récentes. Il ne s’intéresse pas non plus au lien entre l’augmentation des activités spéculatives et la libre circulation des capitaux, que les gouvernements osent à peine contrôler pour ne pas effaroucher les investisseurs potentiels. Cette lacune est d’autant plus étonnante que l’objectif du livre est de démontrer que l’organisation des systèmes financiers est conditionnée par des décisions politiques. Verdier rappelle, à juste titre, que la plupart des études sur la mobilité des capitaux se limitent à analyser les circuits financiers, le marché des changes et l’investissement étranger direct. Son travail, en revanche, souligne le fait que « la politique est omniprésente » : pour assurer le bon fonctionnement de l’économie, les gouvernements doivent gérer les conflits engendrés par la distribution inégale de la richesse. Autrement dit, une économie de marché ne saurait pas fonctionner en l’absence d’une autorité politique qui réussit à neutraliser, d’une manière ou d’une autre, les mécontents et autres « perdants ». Assez curieusement, Verdier néglige plus tard cette approche – à la fois complexe et prometteuse – et réduit le politique à la régulation des institutions financières, bancaires et non bancaires. L’hypothèse de départ est en apparence simple : la mise sur pied de contrôles centralisés favorise l’apparition de banques de grande taille, qui assèchent les marchés financiers régionaux, et, inversement, la décentralisation favorise l’épanouissement d’une myriade de banques locales, plus petites. Pour tester son hypothèse, Verdier met en évidence quatre variables : la concentration géographique des institutions financières, la dépendance du marché national des capitaux envers les flux financiers transfrontaliers, l’importance relative du système bancaire et du marché boursier en matière de financement des entreprises et, enfin, la spécialisation fonctionnelle des banques. Suivant au pied de la lettre la démarche proposée, la première section du livre analyse l’évolution de ces quatre variables au cours de la période 1850-1913. Verdier constate que l’accumulation des richesses en pleine révolution industrielle bouleverse aussi bien l’épargne que le crédit. Les banquiers disposent d’une masse auparavant impensable d’argent, dont ils se servent pour accorder des prêts aux entrepreneurs. Dans les pays où le gouvernement central contrôle de plus près l’activité financière, à l’instar du Royaume-Uni et de la France, les grandes banques sont d’ailleurs autorisées à ouvrir des succursales en région ou à acheter des banques locales. Avec ce réseau de filiales, elles peuvent désormais collecter l’épargne et se donner des crédits sans effectuer des transferts d’argent. Les banques locales, beaucoup plus petites, sont impuissantes devant l’ampleur et l’efficacité de ce système de paiements internes. Leur déclin est accéléré par l’incapacité de profiter d’une nouvelle manne, que les grandes institutions financières exploitent sans entraves : l’internationalisation des marchés monétaire et obligataire, provoquée par l’acceptation généralisée de l’étalon or et la diminution conséquente du risque de change. Cette concentration du système bancaire s’approfondit davantage au moment où les entreprises se constituent en sociétés de capitaux …