Comptes rendus : Études stratégiques et sécurité

David, Charles-Philippe, Karine Prémont et Julien Tourreille, L’erreur. L’échec américain en Irak cinq ans plus tard, Québec, Septentrion, 2008, 232 p.[Notice]

  • Coralie Hindawi

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  • Coralie Hindawi
    Albert-Ludwigs-Universität, Freiburg, Allemagne et Université Pierre-Mendès-France, Grenoble, France

Tout en reconnaissant qu’il est encore trop tôt pour dresser un véritable bilan de la guerre d’Irak, Charles-Philippe David, Karine Prémont et Julien Tourreille entreprennent, cinq ans après l’invasion initiale, de passer en revue les dimensions politique, militaire et institutionnelle de ce qu’ils qualifient d’erreur américaine en Irak. Refusant de croire à la thèse du complot diabolique, les auteurs considèrent l’explication de l’erreur plus vraisemblable, l’invasion et le choix de la guerre étant, selon eux, tout simplement « à la mesure des incohérences, de l’incapacité des acteurs du drame irakien » et reflétant « les contradictions et la cacophonie du système décisionnel américain ». Dans la première partie de l’ouvrage, Charles-Philippe David traite des aspects politiques de cette erreur, se demandant tout d’abord si elle était évitable, évaluant ensuite son ampleur, avant de s’interroger sur les facteurs qui l’ont produite. Pour l’auteur, les nombreux plans et expertises disponibles à la veille de l’invasion indiquent que les choses auraient pu se dérouler différemment. D’autres scénarios auraient été possibles, notamment si Colin Powell ou George Tenet avaient agi différemment, si le nombre de soldats américains avait été plus élevé et la politique à la suite de l’invasion plus prudente. À cet égard, David insiste sur l’ampleur de l’erreur politique et s’efforce d’analyser quels facteurs dans le processus décisionnel ont produit de l’intérieur une décision qui, de l’extérieur, a été jugée insensée (et évitable) par la plupart des spécialistes. Neuf raisons sont identifiées comme permettant d’expliquer l’échec américain en Irak, dont la méconnaissance du pays, les mauvaises analogies avec l’Allemagne et le Japon, la pensée groupale et l’emprise des néoconservateurs sur l’administration Bush, les antagonismes entre les différents départements et acteurs de l’exécutif américain, l’usurpation par le Pentagone du contrôle du processus décisionnel ou le dysfonctionnement du Conseil de sécurité nationale (nsc). L’analyse de David aborde de nombreux aspects importants et met le doigt sur certains des rouages qui ont conduit à la guerre ; elle s’efforce d’évaluer le rôle joué par chacun des acteurs les plus importants dans la construction et la poursuite de l’erreur, critiquant tour à tour le secrétaire d’État, les manigances du Pentagone, l’obéissance excessive des hauts gradés militaires, l’absence de contrôle du National Security Adviser et, ultimement, la personnalité et le style présidentiel de George W. Bush. Cependant, si l’on ne peut que saluer cette analyse qui s’efforce de démonter le mythe de l’empire américain aux stratégies finement calculées et les théories du complot, le lecteur peut s’interroger sur la compatibilité de la thèse de l’énorme sottise avec les preuves du rôle essentiel joué par un petit groupe de civils du Pentagone (Rumsfeld, Wolfowitz, Feith…). On aurait souhaité que David aille jusqu’au bout de son argumentation différenciée sans éluder la question du caractère délibéré ou non de l’erreur. Julien Tourreille s’attaque à la dimension militaire du sujet dans la deuxième partie. Considérant que la guerre d’Irak n’est pas une aventure isolée, mais le révélateur de la puissance et des vulnérabilités profondes des forces armées américaines, l’auteur s’interroge sur la manière dont les militaires américains ont pu, d’une part, gagner Bagdad en 2003 et, d’autre part, perdre l’Irak après 2003. Tourreille commence par rappeler les controverses que le plan d’invasion et le déroulement de la campagne ont suscitées aux États-Unis, notamment entre civils et militaires au sein du département de la Défense, mais également au sein des militaires. Il note, comme David dans la première partie, les fortes contraintes exercées par les civils du Pentagone pour essayer d’imposer leur vision d’une guerre d’un genre nouveau, composée en majorité de forces spéciales et d’un contingent léger. Cependant, il insiste sur …