Corps de l’article

Introduction

Les changements climatiques présentent un enjeu de taille pour les populations du monde entier. En effet, alors que nous constatons l’appauvrissement de la biodiversité ainsi que l’accélération des événements climatiques majeurs, les conséquences néfastes des changements climatiques causés par l’humain affectent de plus en plus d’endroits et de populations dans le monde (Masson-Delmotte et al., 2021). À titre d’exemple, à l’été 2021, des inondations importantes en Europe et en Chine ainsi que des vagues de chaleur extrême et des incendies dans l’Ouest américain et canadien ont mis en lumière les impacts des changements climatiques sur le quotidien de populations, dont plusieurs avaient été épargnées jusqu’alors. À l’automne 2022, l’ouragan Fiona a aussi causé des dommages importants en Nouvelle-Écosse, à Terre-Neuve-et-Labrador et aux Îles-de-la-Madeleine. À l’été 2023 se sont ajoutés les feux de forêt qui ont appauvri la qualité de l’air au Québec et au Canada. L’augmentation de la fréquence de ces différentes manifestations a été identifiée comme étant l’une des conséquences de l’accélération des changements climatiques causés par les humains (Buchanan et al., 2017; Ebi et al., 2021; Funk, 2021; Masson-Delmotte et al., 2021). Le fait de subir les conséquences directes des changements climatiques a des impacts significatifs sur la santé mentale et peut engendrer notamment du stress post-traumatique, des symptômes de dépression et des problèmes de consommation de substances (Grant et Runkle, 2022; Lawrance et al., 2022; Ma et al., 2022). Or, de plus en plus de recherches documentent également les effets néfastes sur la santé mentale des personnes du simple fait d’être témoin des changements climatiques (Berry et al., 2010; Généreux et al., 2021; Hwong et al., 2022). C’est dans ce contexte que le terme « écoanxiété » est apparu pour référer aux impacts psychologiques directs, indirects et vicariants (par observation) des changements climatiques.

Bien que le terme écoanxiété soit largement utilisé dans les médias et en recherche, sa définition demeure floue et ne fait pas consensus (Coffey et al., 2021). La définition la plus courante de l’écoanxiété a été mise de l’avant dans un rapport de l’Association américaine de psychologie (APA) comme étant une « peur chronique des catastrophes écologiques » (Clayton et al., 2017, p. 68, [notre traduction]). Cependant, une définition de Gousse-Lessard et Lebrun-Paré (2022), utilisée pour guider le présent article, met plutôt en lumière le fait que l’écoanxiété peut être vécue à différents degrés et englober un vaste éventail d’émotions qui dépassent la peur :

L’écoanxiété est un état de malaise psychologique et parfois physique de degré variable, caractérisé par l’appréhension d’une menace plus ou moins éloignée dans le futur et significativement associée à la catastrophe écologique, elle-même perçue comme incertaine, difficilement prévisible et peu contrôlable

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Ainsi, quelques auteurs décrivent l’écoanxiété comme un spectre d’émotions plus ou moins débilitantes (Pihkala, 2020; St-Jean, 2020). Plusieurs autres termes émergent pour désigner la détresse engendrée par la prise de conscience des changements climatiques, comme la solastalgie (détresse existentielle engendrée par la perte des espaces naturels; (Albrecht et al., 2007), le deuil écologique (Cunsolo et al., 2018) et l’écoculpabilité (Ágoston et al., 2022). Il est important de mentionner que l’écoanxiété, tout comme le fait de ressentir un certain niveau d’émotion face à une situation réellement alarmante, est une réaction émotionnelle dite normale (Cunsolo et al., 2020; Verplanken et al., 2020). En ce sens, le terme écoanxiété ne désigne pas un diagnostic de trouble de santé mentale ni une réaction pathologique. C’est plutôt un terme parapluie qui inclut une gamme d’émotions et d’expériences plus ou moins adaptatives selon les personnes (Pihkala, 2022; St-Jean, 2020).

Bien qu’il n’existe aucune étude de prévalence portant spécifiquement sur l’écoanxiété chez les adultes, un sondage mené auprès de 1 004 Québécois et Québécoises a montré que 74 % des personnes répondantes étaient en accord ou tout à fait en accord avec la phrase « Je suis inquiet(e) de l’impact des changements climatiques sur ma santé et celle de la santé publique (problèmes respiratoires, nouvelles maladies) » (Équiterre, 2022). Dans une autre étude menée auprès d’adolescents, d’adolescentes et de jeunes adultes provenant de divers pays (n = 10 000), 45 % des personnes participantes ont répondu que leurs émotions par rapport aux changements climatiques affectaient leur vie quotidienne (Hickman et al., 2021). Ainsi, ces indicateurs peuvent suggérer qu’une grande proportion de personnes pourrait vivre dès l’adolescence de l’inquiétude par rapport aux changements climatiques, constituant, en partie, de l’écoanxiété. Des études auprès d’enfants de 8 à 12 ans suggèrent aussi que ces derniers ressentent de la tristesse, de la colère et de la peur par rapport aux changements climatiques (Léger-Goodes et al., 2023; Strife, 2012). Néanmoins, il convient de noter que le concept d’écoanxiété a aussi été associé à ceux de bien-être, d’action environnementale et de résilience des personnes et des communautés chez les adultes comme chez les enfants, mais ces aspects sont souvent peu pris en compte dans la recherche (Ogunbode et al., 2022; Stanley et al., 2021). Il demeure qu’à l’adolescence ces mêmes émotions ont le potentiel de devenir débilitantes (Hickman et al., 2021).

Étant donné que l’école et les médias exposent les enfants aux questions des changements climatiques (Léger-Goodes et al., 2022), il semblerait que des espaces d’introspection et de discussion pour prendre en compte la charge émotionnelle de ces connaissances soient nécessaires pour faciliter l’adaptation émotionnelle dès l’école primaire (Ojala, 2021). Il est donc de la responsabilité partagée des adultes (personnes enseignantes, parents, etc.) de se préoccuper des enfants en reconnaissant leur autodétermination dans l’enjeu climatique et en écoutant leur point de vue (Rousell et Cutter-Mackenzie-Knowles, 2020). L’autodétermination peut être définie comme étant la capacité d’une personne à faire des choix, à se fixer des objectifs et à prendre des décisions en fonction de ses préférences, de ses valeurs et de ses désirs (Hui et Tsang, 2012; Ryan et Deci, 2000). Il semble exister une corrélation positive entre le sentiment d’autodétermination et l’action environnementale, deux concepts liés à une saine adaptation émotionnelle aux changements climatiques (Wullenkord, 2020, 2021). Les travaux antérieurs des membres de notre équipe de recherche ont trouvé que les interventions de philosophie pour enfants (PPE), notamment dans le contexte de la pandémie de COVID-19, pouvaient favoriser des espaces de dialogue à propos d’une préoccupation commune, pouvant réduire les symptômes d’anxiété chez les enfants du primaire (Malboeuf-Hurtubise et al., 2021a; Malboeuf-Hurtubise et al., 2021b). De plus, afin de solliciter davantage l’apprentissage socioémotionnel, une composante créative (p. ex., amenée par l’art-thérapie) permettrait de bonifier les apports de la PPE, que les critiques accusent parfois d’être une approche abstraite et uniquement cognitive (Farahani, 2014; Hoffmann et al., 2021; Johansson, 2018). La création artistique permettrait ainsi l’identification et le partage des émotions dans un contexte autre que celui de l’utilisation du langage verbal (Malboeuf-Hurtubise et al., 2021c). Ce faisant, nous reconnaissons une responsabilité éthique des parents, des personnes enseignantes, des chercheurs et des chercheuses dans la création de l’espace pour engager les enfants dans la discussion de cette question qui les concerne, tout en leur offrant des moyens de cocréation de sens dans ce contexte.

Ainsi, le présent article théorique a pour but d’explorer les assises théoriques de la PPE et de la création artistique comme intervention combinée pour soutenir les enfants dans leurs apprentissages à propos des changements climatiques. Dans cet article, nous présentons donc à la fois une analyse conceptuelle de l’écoanxiété et une synthèse des connaissances sur l’écoanxiété chez les enfants, pour ensuite proposer un modèle d’intervention. Cet article est donc de nature exploratoire : il vise à présenter les assises théoriques et le développement d’une intervention axée sur la PPE et la création artistique pour les élèves du primaire. Nous discuterons d’abord des stratégies d’adaptation émotionnelle utilisées par les enfants et de la notion d’espoir, puis, brièvement, de l’éducation relative à l’environnement, de la théorie de l’autodétermination et de la proposition d’une intervention basée sur la PPE et la création artistique.

1. Les stratégies d’adaptation face à l’écoanxiété

Il est d’abord pertinent de faire un survol des différentes stratégies d’adaptation émotionnelle (de l’anglais coping) qu’utilisent les enfants et les jeunes, afin de déterminer de quelles façons ils pourraient être soutenus émotionnellement dans le contexte des changements climatiques. En effet, la façon dont les enfants envisagent les changements climatiques (notamment en ce qui concerne leurs capacités de régulation émotionnelle) pourrait être associée à leur engagement citoyen et, éventuellement, à leur niveau d’espoir. Nous utilisons le modèle fondateur de Lazarus et Folkman (1984) pour décrire les différentes stratégies d’adaptation émotionnelle appliquées au contexte des changements climatiques (voir la figure 1). Ainsi, les jeunes sont d’abord confrontés à l’évaluation de la situation générale de la crise climatique en tenant compte de leur environnement (perception des parents, informations reçues à l’école, etc.), ce qui représente la transaction initiale, selon ces auteurs. Autrement dit, lorsqu’un enfant voit ou entend des informations à propos des changements climatiques (p. ex., images d’une catastrophe naturelle), il évalue si ces informations communiquent un danger. Dans l’évaluation secondaire, il évalue ses propres capacités à se protéger de ce danger. Si les ressources (psychologiques, émotionnelles, sociales) disponibles ne sont pas suffisantes, la situation devient stressante. Ainsi, l’enfant doit déployer des stratégies d’adaptation (de coping) pour faire face à cette situation occasionnant chez lui des émotions négatives. Le modèle est applicable autant à des menaces ressenties pour soi-même que lorsqu’une personne reconnaît des menaces pour le bien-être des autres (Lazarus et Folkman, 1984).

Figure 1

Le modèle transactionnel du stress et de l’adaptation émotionnelle inspiré de Lazarus et Folkman (1984) dans Poirel et Yvon (2014), modifié et appliqué à l’écoanxiété

Le modèle transactionnel du stress et de l’adaptation émotionnelle inspiré de Lazarus et Folkman (1984) dans Poirel et Yvon (2014), modifié et appliqué à l’écoanxiété

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Les travaux de la chercheuse suédoise Maria Ojala abordent les façons dont les enfants et les jeunes s’adaptent aux changements climatiques. En bâtissant sur le modèle de Lazarus et Folkman (1984), Ojala (2012b) présente trois types de stratégies d’adaptation émotionnelle des enfants face à la crise climatique :

  • Les stratégies d’adaptation axées sur le problème, qui incluent la recherche d’information à propos des actions possibles dans le contexte des changements climatiques, des plans d’action et des actions concrètes pour résoudre le problème.

  • Les stratégies d’adaptation axées sur les émotions, qui incluent l’idée de se débarrasser des émotions difficiles en les ignorant (déni), en se distanciant de la source de stress (évitement) et en cherchant du soutien émotionnel.

  • Les stratégies d’adaptation axées sur le sens, qui incluent une recherche de sens dans une situation difficile (voire insurmontable) en s’appuyant sur ses croyances et sur ses valeurs et en utilisant des stratégies pour reconnaître la menace et pour la recadrer afin d’augmenter son accessibilité. Cette catégorie ne cherche pas à diminuer les émotions difficiles, mais plutôt à reconnaître les émotions qui pourraient soutenir une saine adaptation psychologique (p. ex., l’espoir). Cela inclut aussi le fait d’avoir confiance en différentes sources de changements comme la science et l’humanité.

Les études auprès de jeunes Suédois et Suédoises réalisées par Ojala (2012a, 2012b) ont montré que les deux groupes d’âge utilisaient majoritairement les stratégies d’adaptation comme l’évitement (axé sur les émotions) et l’action individuelle (axée sur le problème). Cependant, Ojala (2012b) note que les enfants qui utilisaient en majorité l’action individuelle avaient aussi tendance à ressentir plus de symptômes dépressifs et anxieux que les enfants qui utilisaient les deux autres stratégies d’adaptation. De récentes études ont aussi montré que l’action individuelle et un sentiment de surresponsabilisation pouvaient mener au désespoir et, éventuellement, au désengagement chez les jeunes (Nairn, 2019). Les stratégies d’adaptation axées sur le sens sont les seules qui sont associées à des émotions positives, à l’optimisme et à un niveau de satisfaction élevé dans la vie, dans le contexte des changements climatiques (Ojala, 2012b). C’est dans cette optique que la PPE, qui permet aux jeunes de cocréer le sens d’un enjeu existentiel (p. ex., relié à la crise climatique) (Birch, 2020), pourrait s’avérer une avenue intéressante en rapport avec l’écoanxiété chez les jeunes. La pratique de la PPE ne viserait ainsi pas à guérir l’écoanxiété, qui pourrait être porteuse d’action et de motivation, mais plutôt à donner des outils aux enfants pour qu’ils apprivoisent les émotions générées par les changements climatiques (St-Jean, 2020). Ainsi, la PPE ne cherche pas à supprimer les émotions dites négatives, mais à les faire cohabiter avec des émotions positives pour éviter un désespoir débilitant (Ojala, 2016). De plus, la PPE vise le développement d’une éthique personnelle de l’enfant, lui donnant l’espace pour identifier ses valeurs, ses responsabilités et son identité environnementale (Rahdar et al., 2018). Ce faisant, il est aussi possible d’émettre l’hypothèse selon laquelle la PPE pourrait permettre aux jeunes de cultiver de l’espoir face à la crise climatique en approfondissant leur réflexion sur cette préoccupation (tant sur les impacts que sur les solutions), en accordant de l’importance à leur voix et en donnant du pouvoir à leurs actions (Birch, 2020). À titre d’exemple, dans l’étude d’Ojala (2012b), les enfants et les adolescents qui prenaient en compte les aspects négatifs de la crise climatique tout en gardant un espoir actif étaient plus enclins à ressentir de l’autoefficacité et à agir collectivement par rapport aux enfants qui prenaient en compte uniquement les aspects positifs ou négatifs. Dans ce contexte, Schrank et al. (2008) définissent l’espoir comme étant :

Une disposition vers l’avenir qui vise l’atteinte d’objectifs où leur réalisation : i) donnera un sens [à une situation ou à un enjeu], ii) est subjectivement considérée comme réaliste ou possible et iii) dépend des caractéristiques personnelles (p. ex., la résilience et le courage) ou de facteurs externes (p. ex., la disponibilité des ressources).

p. 426 [notre traduction]

L’espoir lui-même peut être subdivisé en plusieurs catégories, dont certaines ont été associées aux changements climatiques (Park et al., 2020). Par exemple, l’espoir dérisoire est accompagné d’optimisme illusoire et de déni, associé à un faible niveau d’engagement et d’action environnementale (Ojala, 2012a). En contrepartie, l’espoir actif ou constructif désigne, dans la littérature en psychologie environnementale, un espoir qui pousse à orienter sa vie vers le but désiré plutôt que de le contempler passivement (Kretz, 2013). Par exemple, cela pourrait se traduire par une identification de ses valeurs environnementales qui poussent à l’action comme la participation à la création d’un jardin communautaire. Finalement, l’espoir réaliste se base sur des attentes atteignables et sur une ouverture aux différentes possibilités de l’avenir (Hannush, 2021). Entre autres, ce dernier type d’espoir permet un deuil anticipatoire et une tolérance à l’incertitude et au changement (Kelsey, 2020). Bien que nous observions que les enfants ont parfois tendance à adopter des positions extrêmes (optimisme illusoire ou surpessimisme), il est important de promouvoir un espoir nuancé et réaliste qui permettra de développer des stratégies d’adaptation axées sur la création de sens pour promouvoir le bien-être et l’action ancrée dans leurs valeurs (Fritze et al., 2008; Pihkala, 2022). La PPE, qui permet aux jeunes de développer leurs capacités à penser pour et par eux-mêmes (Lefrançois et Éthier, 2008), pourrait offrir un tel espace au sein duquel ils peuvent développer une pensée nuancée et critique face à la crise climatique et cultiver un espoir réaliste quant à l’avenir de la planète.

2. Les assises théoriques de la philosophie pour enfants (PPE) dans le contexte de l’écoanxiété

2.1. La théorie de l’autodétermination et la PPE

Afin de mieux comprendre la pertinence de la PPE dans le contexte de l’écoanxiété chez les enfants et chez les jeunes, il importe d’abord d’articuler la PPE avec la théorie de l’autodétermination, puis de faire des liens avec le contexte de l’éducation relative à l’environnement.

Considérée comme une macro-théorie en psychologie de la motivation, la théorie de l’autodétermination stipule que trois besoins fondamentaux sont essentiels au bien-être de tous les humains : 1) le besoin d’autonomie ou d’autodétermination, soit d’avoir le sentiment d’être à l’origine de ses propres actions et d’agir selon ses intérêts et ses valeurs; 2) le besoin de se sentir compétent, ou le sentiment d’avoir un impact sur son environnement; et 3) le besoin d’affiliation et d’appartenance, c’est-à-dire le besoin de se sentir connecté aux autres (Ryan et Deci, 2000). La satisfaction de ces besoins à travers de multiples contextes est associée à un bien-être accru, à la motivation intrinsèque, à une meilleure santé mentale, à la persévérance et à la réussite scolaire chez les enfants (Ryan et Deci, 2000; Vasquez et al., 2015). Dans le contexte des changements climatiques, chez les adultes, la satisfaction des besoins psychologiques de base est corrélée à une consommation écologique et à de meilleures habiletés à faire face aux informations menaçantes dans ce contexte (Hodgins et al., 2010; Sheldon et al., 2016; Tröger et al., 2021). Ainsi, il a été suggéré que la satisfaction des besoins fondamentaux est importante dans l’action environnementale à long terme et dans l’adaptation émotionnelle à cette menace (Wullenkord, 2021). Des recherches en cours portant sur la théorie de l’autodétermination et sur la crise climatique évaluent d’ailleurs à quel point la façon de discuter des changements climatiques (c.-à-d. en soutenant ou en brimant l’autodétermination des jeunes) influence leur intégration de nouvelles pratiques écoresponsables et leur bien-être affectif (Ryan et Joussemet, projet en cours, 2023).

La réflexion approfondie à propos d’enjeux moraux et de valeurs personnelles est une façon de favoriser le processus d’autodétermination chez les jeunes, rejoignant par le fait même les principes inhérents à la PPE (Lefrançois et al., 2009; Lefrançois et Éthier, 2008; Vansieleghem et Kennedy, 2011). Autrement dit, l’approche de la PPE vise à encourager les enfants à être engagés dans le développement de leurs idées et de leurs valeurs. Ceci s’arrime avec la satisfaction des besoins psychologiques de base, puisque le fait de penser par et pour soi-même réfère aux besoins d’autonomie et de compétence, alors que le contexte d’échange de groupe favorise la satisfaction du besoin d’affiliation. Selon la théorie de l’autodétermination, les activités permettant le contact avec ses champs d’intérêt et ses valeurs mènent à une autodétermination accrue. Or, ces activités sont intrinsèques à la pratique de la PPE (Vansteenkiste et Ryan, 2013; Weinstein et al., 2011). Les enfants peuvent ainsi être appelés à reconnaître leur responsabilité et à développer une citoyenneté participative (Leleux, 2018). La pratique de la PPE pourrait donc constituer un facteur de résilience aidant les jeunes à satisfaire leur besoin d’autodétermination, lequel a été associé à maintes reprises à une adaptation scolaire et psychosociale supérieure chez les enfants (Niemiec et Ryan, 2009). En effet, dans la littérature, la PPE s’est avérée efficace pour augmenter le sentiment d’autodétermination et d’autoefficacité chez les élèves (Abdolahzadeghan et Sardary, 2023; Malboeuf-Hurtubise et al., 2021a; Malboeuf-Hurtubise et al., 2021b).

Tout comme les adultes, les enfants cherchent à donner un sens à leur vie et au monde qui les entoure (Demers et al., 2015). Ainsi, il est raisonnable de croire que des ateliers de PPE axés sur la crise climatique auraient des bienfaits similaires à ceux que notre équipe de recherche observe depuis plusieurs années sur le bien-être, en amenant les jeunes à se questionner sur les enjeux liés à la crise climatique. En effet, la PPE permettrait une prise de conscience de sa propre autodétermination, ce qui, en retour, augmenterait le bien-être (Classen et al., 2008; Kissane et al., 2007; Vos et al., 2015). La PPE amènerait également les enfants à faire face, sans détour, à leurs questionnements existentiels (Birch, 2020), tels que ceux que génère la crise climatique. Nos précédents travaux de recherche nous permettent d’ailleurs de conclure que les activités de PPE amènent les enfants à avoir des questionnements existentiels, à réfléchir et à formuler leurs propres pensées par rapport à ceux-ci, améliorant leur bien-être et favorisant leur autodétermination (Malboeuf-Hurtubise et al., 2021a; Malboeuf-Hurtubise et al., 2021b). La PPE pourrait ainsi favoriser un engagement accru à l’égard de la crise climatique et réduire l’écoanxiété des jeunes, bien que nous n’ayons pas de données sur l’efficacité d’interventions destinées spécifiquement aux changements climatiques auprès de cette population.

2.2 L’éducation relative à l’environnement et la PPE

Le mandat de l’école québécoise est, entre autres, de « préparer l’élève à contribuer à l’essor d’une société voulue démocratique et équitable » (gouvernement du Québec et ministère de l’Éducation du Québec, 2006). En ce sens, la pratique du dialogue philosophique propose un processus réflexif qui permet aux enfants de prendre conscience de leurs pensées, de leurs émotions et de leurs valeurs (Malboeuf-Hurtubise et al., 2018). Ceci rejoint le concept d’écocitoyenneté, qui s’observe chez des personnes inspirées par le respect de l’environnement dans leurs actes citoyens, qui prennent part aux débats publics et qui « exigent le respect des droits d’accès à l’information, de justice environnementale et de participation publique au processus décisionnel » (Vandelac et Sauvé, 2022, paragr. 5). Dans le contexte des changements climatiques, l’école pourrait ainsi être un espace de développement d’écocitoyennes et d’écocitoyens autodéterminés.

Au Canada, les consignes ministérielles en matière d’éducation mettent l’accent sur l’importance d’encourager une citoyenneté environnementale responsable et de développer des connaissances par rapport aux changements climatiques (Wynes et Nicholas, 2019). Par exemple, au Québec, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (2019) intègre les notions de développement durable dans le curriculum de l’école primaire et de l’école secondaire pour « permettre à l’élève d’interpréter, au cours de son cheminement scolaire, un enjeu du développement durable sous divers angles, notamment scientifique, technologique, historique, géographique, politique et économique » (p. 5). Plusieurs auteurs ont recommandé que l’éducation relative à l’environnement ne soit pas limitée à une éducation factuelle des connaissances à propos des changements climatiques et qu’elle puisse aussi inclure le développement de projets communautaires, des réflexions critiques et une diversité d’approches pédagogiques, holistiques et créatives (Agundez-Rodriguez et Sauvé, 2022; González-Gaudiano et Meira-Cartea, 2019). De plus, il a été suggéré que l’éducation relative à l’environnement intègre les aspects émotionnels relatifs aux changements climatiques et qu’elle promeuve les stratégies d’adaptation axées sur le sens afin de favoriser l’action à long terme des enfants et des jeunes (Ojala, 2016; Pinto et Grove-White, 2020). La PPE permettrait en partie d’atteindre cet objectif en favorisant une éthique de l’autonomie de pensée, de la responsabilisation et de l’engagement citoyen des enfants (Di Masi et Santi, 2016).

De plus, selon Jones et Davison (2021), présenter les fondements scientifiques des changements climatiques de façon pédagogique sans miser sur les émotions pourrait mener à des sentiments de perte de pouvoir (disempowerment), laissant les enfants et les jeunes accablés par la situation. Ainsi, il s’avère non seulement essentiel de varier les approches pédagogiques, mais aussi de créer un espace pour discuter de ces émotions, ce que valorisent les ateliers de PPE dont les thèmes sont axés sur l’environnement et la crise climatique (Birch, 2020; Budex, 2023; Chirouter, 2019; Sharp, 2007). Par ailleurs, les personnes enseignantes devraient favoriser l’expression des émotions, tant positives que négatives, qui émanent du discours des enfants à propos de la crise climatique, afin de promouvoir une adaptation émotionnelle axée sur le sens (Ojala, 2021).

Il faut toutefois noter que beaucoup de personnes enseignantes perçoivent l’inquiétude des enfants au sujet des changements climatiques comme étant intrinsèquement négative, alors qu’il est important de reconnaître son potentiel d’engagement actif et de sortir de la perception dichotomique des émotions comme étant bonnes/positives ou mauvaises/négatives (Ojala, 2021; Pihkala, 2020). En effet, des décennies de recherche en psychologie montrent que le fait de vivre des émotions négatives est essentiel pour reconnaître la valeur des émotions positives au quotidien. Ainsi, les émotions dites négatives contribuent à l’épanouissement des jeunes, même si le réflexe humain quasi universel consiste à essayer d’éviter de les vivre (Parrott, 2014). Il faut donc songer à prendre le temps de bien outiller les personnes enseignantes qui voudront mettre en oeuvre des ateliers de PPE afin qu’elles se sentent prêtes à accueillir toutes les émotions de leurs élèves. De plus, nos recherches ont montré que les personnes enseignantes elles-mêmes vivent de l’écoanxiété et expriment un besoin criant de ressources compréhensives pouvant être adaptées aux besoins des classes (Wiseman et al., projet en cours, 2023). Ainsi, nous constatons que les personnes enseignantes ont elles-mêmes besoin d’espaces sécuritaires et facilitants pour apprendre et enseigner à propos des changements climatiques, tout en tenant compte du vaste éventail d’expériences cognitives et affectives des enfants (Jones et Davison, 2021). La PPE pourrait permettre l’instauration de tels espaces.

3. La création artistique pour favoriser l’expression émotionnelle des enfants

Il est important de reconnaître que l’expression émotionnelle des enfants ne passe pas toujours par l’expression verbale, qui est largement favorisée dans les ateliers de PPE. À cet effet, l’art pourrait constituer une avenue complémentaire pour explorer les émotions relatives aux changements climatiques. En effet, la création artistique facilite l’expression, la discussion et la prise de conscience de ses émotions, grâce à un mode de communication alternatif (Cohen-Yatziv et Regev, 2019; McDonald et Drey, 2018). En retour, elle pourrait permettre une meilleure communication verbale des émotions difficiles abordées dans le contexte des changements climatiques. À titre d’exemple, un projet pilote mené auprès de jeunes a montré que la création par l’art et la créativité d’un narratif dynamique et commun autour des changements climatiques permettait de soutenir leur bien-être et leurs sentiments d’espoir (Marks et al., 2023). Bien qu’il existe peu de recherches empiriques sur l’impact de la création artistique chez les enfants, des recherches préliminaires suggèrent qu’il s’agit d’une approche prometteuse pour améliorer le bien-être d’enfants souffrant de leucémie (Favara-Scacco et al., 2001) et d’asthme (Beebe et al., 2010). Ces améliorations s’expliquent en partie par le fait que l’art aide les enfants à reprendre un certain contrôle décisionnel dans un contexte où, typiquement, ils n’en ont que très peu. Par exemple, la création artistique, dans le contexte de la pandémie de la COVID-19, semble avoir favorisé un tel sentiment de reprise de contrôle auprès d’enfants du primaire (Malboeuf-Hurtubise et al., 2021c). La recherche portant sur l’efficacité de la création artistique chez les enfants ayant un trouble d’apprentissage indique, quant à elle, que la pratique de l’art permet une meilleure introspection et facilite l’autodétermination chez les enfants, ce qui, en retour, améliore leur ajustement affectif et social, rejoignant par ailleurs les visées de la PPE (Freilich et Shechtman, 2010). Combiner la création artistique à la pratique de la PPE pourrait ainsi décupler l’effet sur le bien-être psychologique des jeunes en regard de l’écoanxiété et de la crise climatique. Toutefois, ces connaissances préliminaires portent sur les bienfaits de la création artistique auprès de populations cliniques (enfants vivant avec de l’asthme, la leucémie ou un trouble d’apprentissage). Par conséquent, des études empiriques auprès d’enfants n’ayant pas un trouble identifié sont requises afin de voir si des effets similaires peuvent être observés auprès des jeunes de la population générale et si la création artistique est une intervention de prévention intéressante à implanter afin de réduire l’écoanxiété.

3.1 La méthode photovoix

Afin de faire le lien entre l’art et la PPE, l’utilisation de la méthode photovoix pourrait permettre la réflexion et l’expression émotionnelle des enfants par la prise de photos sur le thème des changements climatiques. En psychologie clinique, la méthode photovoix est une approche thérapeutique dont la finalité vise à encourager la responsabilisation, l’action citoyenne et, plus globalement, les changements sociaux (Budig et al., 2018). Elle est également considérée comme une technique d’expression individuelle en art-thérapie (Greene et al., 2016). Au moyen de photographies, les enfants et les jeunes sont ainsi appelés à discuter, en groupe, des photos que chaque personne a prises, favorisant à la fois l’expression, la prise de parole individuelle, le dialogue collectif et la discussion à propos d’enjeux communautaires, dans un but de coconstruire un sens et une réflexion commune, rejoignant du fait même la visée de la PPE (van Hees et al., 2017). En psychologie clinique, cette méthode a été utilisée, entre autres, comme intervention auprès d’adultes et s’est montrée efficace, lorsque comparée à une thérapie de groupe, pour réduire l’anxiété (Werremeyer et al., 2020). Auprès des jeunes, la méthode photovoix a été maintes fois utilisée afin de favoriser l’engagement et la participation citoyenne, le développement du jugement moral et la construction de l’identité sociale (Strack et al., 2004). Elle s’est avérée une intervention de choix en transfert des connaissances, permettant de rejoindre facilement les décideurs publics lorsque les photographies sont présentées au grand public dans le cadre d’une exposition (Wang, 2006). Elle permet ainsi de tisser des liens entre la recherche empirique et les retombées dans la communauté (Catalani et Minkler, 2010).

Récemment, la méthode photovoix a été utilisée dans le cadre d’études sur les changements climatiques et l’écoanxiété chez les adultes et chez les jeunes (Adams et Nyantakyi-Frimpong, 2021; Bulla et Steelman, 2016; Derr et Simons, 2020). Ces études ont montré l’effet délétère de la crise climatique sur le bien-être d’adultes ayant été touchés directement par des catastrophes environnementales et permis de documenter la résilience et la force de l’action communautaire chez des agriculteurs touchés par la crise. La méthode photovoix a aussi été utilisée afin d’engager les jeunes dans une réflexion sur les questions environnementales de durabilité et de conservation de la nature dans leur communauté (Catalani et Minkler, 2010). La méthode photovoix utilisée comme outil pédagogique en éducation à l’environnement permet aux enfants de prendre la parole face à la crise climatique, dans un contexte où, typiquement, ils ne se font pas entendre (Derr et Simons, 2020). Cette prise de parole serait liée à une émancipation citoyenne accrue lors d’échanges avec les décideurs politiques, favorisant l’échange intergénérationnel (Coemans et al., 2019). Il apparaît ainsi possible de tisser des liens entre les visées de la méthode photovoix et de la PPE, notamment dans un contexte où la photographie sert d’amorce pour discuter de préoccupations existentielles liées à la crise climatique.

4. Combiner la création artistique et la PPE pour favoriser la création de sens dans le contexte des changements climatiques

Notre équipe travaille depuis deux ans à développer une intervention alliant la pratique de la PPE et de la création artistique pour discuter de la crise climatique avec les élèves du primaire. La visée de cette intervention est d’accompagner les personnes enseignantes qui abordent les changements climatiques dans leur classe et se questionnent sur les émotions que ces apprentissages peuvent générer. En effet, alors qu’il est souhaitable de stimuler la réflexion des élèves en présentant des informations appropriées pour leur âge en quantité modérée (Sauvé et al., 2018), les personnes enseignantes sont conscientes des émotions générées par ces informations et désirent soutenir l’espoir des élèves, sans toujours savoir comment s’y prendre (Ojala, 2021). La tendance des adultes à minimiser le problème des changements climatiques afin de protéger les enfants pourrait créer chez ces derniers une impression d’être peu soutenus par les adultes qui les entourent (Baker et al., 2021; Hickman et al., 2021). En effet, en dépit des efforts de certains adultes visant à protéger les enfants contre les informations liées à la crise climatique, ceux-ci y sont exposés par les médias sociaux, par les nouvelles et à l’école (Pearce et al., 2020; Strife, 2012). De plus, malgré un discours populaire qui stipule que l’éducation relative aux changements climatiques promeut les sentiments de désespoir, le contraire a aussi été observé (Jones et Davison, 2021; Perakslis, 2020). Les enfants ont donc un réel besoin d’être soutenus psychologiquement et d’être encouragés à maintenir un espoir actif par la création de sens (Hickman, 2020). Pour favoriser cette création de sens, nous privilégions l’utilisation combinée de la PPE et de la création artistique, qui offre un espace où ces idées et ces émotions peuvent être exprimées et validées. En effet, une première étude qualitative misant sur la PPE pour favoriser l’espoir auprès de cette population met en lumière le potentiel de la création de narratifs dynamiques, générant de la création de sens et de l’ouverture aux changements de pensée et de comportement chez les jeunes (Birch, 2020). La PPE permettrait ainsi de développer la pensée autonome et l’engagement des élèves dans leurs questionnements à propos des changements climatiques.

La présente proposition d’intervention combinée, développée par notre équipe, est en cours d’évaluation; des résultats préliminaires indiquent toutefois qu’elle favorise la discussion sur les changements climatiques et l’expression émotionnelle des enfants. En se basant sur les principes de la PPE et de la création artistique, notre équipe de recherche a élaboré une intervention abordant les émotions liées aux changements climatiques. Plus spécifiquement, durant les ateliers de photovoix, les élèves de la 3e à la 6e année (≈ 8-11 ans) sont invités à prendre des photos représentant la crise climatique et/ou l’écoanxiété, puis à échanger au sujet de ces photos en classe. Nous utilisons la technique SHOWeD (Wang, 2006) pour guider la discussion, en posant les questions suivantes aux enfants : 1) Qu’est-ce que tu vois dans cette photo? 2) Qu’est-ce qui se passe dans cette photo? 3) Quel est le lien entre cette photo et ton quotidien? 4) Pourquoi ce problème existe-t-il? 5) Que peux-tu faire pour régler ce problème? Suivent trois ateliers d’arts plastiques au cours desquels les jeunes font 1) un dessin de la planète dans 50 ans, 2) une activité sur les changements climatiques basés sur les travaux d’Élise Gravel (2021), autrice jeunesse québécoise, et 3) la réalisation d’une murale de classe représentant la nature. Finalement, nous intégrons aussi des séances de PPE portant sur ces questions de réflexion : C’est quoi, la nature? Quelle est notre responsabilité à l’égard de la planète? Et à l’endroit des générations futures? Une discussion de groupe suit chaque atelier. Les élèves partagent alors leurs pensées, leurs émotions et leurs réactions. Ainsi, l’art et la photovoix donnent aux enfants un moyen d’introspection et d’expression créative, tandis que la PPE leur offre un espace de réflexion sur les changements climatiques. Notons par ailleurs que ce type d’intervention combinée a déjà été utilisé dans le cadre d’entretiens individuels semi-dirigés avec des enfants de 8 à 12 ans visant à mieux comprendre leur vécu dans le contexte des changements climatiques, en utilisant le dessin et le questionnement à visée philosophique (Léger-Goodes et al., 2023).

4.1. Les résultats préliminaires

Une première étude pilote a été menée auprès d’une classe d’élèves de la 4e année du primaire. Ces résultats préliminaires indiquent que l’intervention combinée de PPE et de création artistique a été appréciée par les élèves et leur enseignante et que le sujet des changements climatiques était pertinent pour ce groupe d’âge, démontrant une bonne acceptabilité de l’intervention sur les plans sociaux et éthiques. En effet, les élèves ont mentionné lors d’entretiens semi-dirigés après l’intervention que le sujet était important pour eux et qu’ils étaient contents d’avoir l’espace pour en discuter à l’école. L’enseignante, pour sa part, a surtout noté que les activités de PPE avaient suscité des discussions approfondies sur le sujet. Les activités de photovoix ont été les activités les plus appréciées par les enfants, qui ont activement participé à la prise de photographies. Ils étaient enthousiastes à l’idée de les présenter devant la classe et réagissaient vivement aux photos de leurs pairs. La figure 2 présente quelques exemples d’oeuvres artistiques et d’une photographie.

Les différents thèmes abordés durant l’intervention ont permis d’explorer plusieurs émotions des élèves face à la crise climatique, notamment la tristesse, la colère, la peur et le stress. Un élève a indiqué parfois se sentir indifférent face à la menace climatique, mais a tout de même participé aux discussions. L’entretien semi-dirigé avec l’enseignante a par ailleurs révélé que l’autonomie des élèves avait été soutenue par l’intervention, alors que les enfants avaient une liberté d’expression quasi totale lors des discussions de groupe. De plus, l’enseignante a rapporté que les thèmes abordés par l’intervention étaient en cohérence avec ses propres valeurs et celles de ses élèves. Enfin, les élèves ont mentionné se sentir capables de surmonter les défis inhérents à l’intervention, comme de présenter leurs photographies devant leurs pairs et d’utiliser des supports artistiques plus ou moins connus (comme la peinture et les Lego™). Notons à cet effet que les élèves ont rapporté sentir une amélioration dans leurs habiletés artistiques au fil des ateliers, ce qui témoigne d’un changement sur le plan de la satisfaction du besoin de compétence.

Puisqu’il s’agissait d’une première implantation de notre intervention auprès des élèves, nous avons recueilli les pistes d’amélioration proposées par l’enseignante. Elle a ainsi suggéré d’intégrer une diversité de supports artistiques (dessin, photo, peinture) et de combiner dans une même séance des composantes de création artistique et des discussions philosophiques lors de futures itérations du projet. Il ressort aussi de l’entretien avec l’enseignante que les activités de PPE et d’art portant sur les changements climatiques ont mené à des discussions de groupe à l’extérieur des rencontres (durant les cours), ce qui a permis à l’enseignante d’enseigner le curriculum sur le sujet avec une facilité accrue. Ces résultats préliminaires suggèrent ainsi que les élèves du primaire semblent ressentir le besoin de discuter des changements climatiques et de l’écoanxiété qu’ils ressentent et que, conséquemment, notre intervention a été utile à cet effet. De plus, la création artistique semble avoir favorisé l’expression émotionnelle des enfants, alors que les ateliers de PPE ont plutôt favorisé le processus réflexif et la flexibilité de pensée. Ce dernier aspect pourrait être favorisé par le fait que les dialogues philosophiques amèneraient les enfants à être plus ouverts et à s’engager dans des discussions complexes, reconfigurant certaines ressources mentales et perspectives (Kashdan et Rottenberg, 2010). Néanmoins, une évaluation empirique de cette approche est nécessaire pour bien en comprendre les effets sur les élèves.

Figure 2

Exemples d’oeuvres réalisées par les élèves

« Les abeilles qui aident la nature »

« Ce que j’aimerais que les gens changent »

Photographie sur le thème de la beauté de la nature

-> Voir la liste des figures

Conclusion

L’éducation relative à l’environnement doit non seulement aborder les aspects scientifiques des changements climatiques, mais aussi promouvoir l’action collective et une perception nuancée chez les enfants et les jeunes. En l’absence d’autodétermination et sans création de sens, les enfants et les jeunes risquent de se sentir désespérés et impuissants (Jones et Davison, 2021; Ojala, 2012a). Devant le manque de ressources des éducateurs et des éducatrices en matière de changements climatiques, il faut développer des interventions accessibles et faciles à implanter afin de soutenir et d’outiller les personnes enseignantes lorsqu’elles abordent les émotions éprouvées face aux changements climatiques. En effet, alors que les enfants et les jeunes vivent de plus en plus d’émotions liées à l’écoanxiété (Hickman et al., 2021; Léger-Goodes et al., 2023), il est essentiel de promouvoir leur adaptation émotionnelle. Pour ce faire, les interventions favorisant la création de sens sont prometteuses pour maintenir un espoir réaliste et l’action environnementale ancrée dans leurs valeurs (Ojala, 2015). Des interventions incluant la PPE et la création artistique seraient intéressantes à implanter en milieu scolaire pour offrir aux jeunes un espace d’expression et de création de sens en lien avec la crise climatique. Ces approches se veulent des initiatives de responsabilisation et d’engagement pour que les jeunes optent pour une citoyenneté participative et autodéterminée.