Présentation[Notice]

  • Lucie Bourassa

Le présent numéro déroge à la formule habituelle d’Études françaises, soit la réunion d’un dossier thématique et de deux ou trois articles libres, pour faire toute la place à ces derniers. En fait, il serait plus juste de dire qu’il renoue avec un usage qui avait déjà eu cours et qui fut ensuite délaissé. À la fin de la décennie 1980 et au début de la suivante, la revue a publié trois numéros de « mélanges » — « Lectures », « Variété » et « Lectures singulières » — qui participaient alors d’une nouvelle politique d’ouverture : on souhaitait accueillir des articles dont l’objet, les questions et les perspectives théoriques soient les plus divers possibles. En fait, Études françaises s’était définie dès sa fondation par l’ouverture ; seulement, la généralisation de la formule du numéro thématique, qu’elle et bien d’autres revues avaient adoptée, rendait difficile, voire impossible, la publication de certains travaux. Sans renoncer aux dossiers, on décida alors de ménager une section de la revue pour des textes libres, et de faire paraître occasionnellement une livraison de mélanges. De tels numéros sont l’occasion de mettre en valeur la diversité et la singularité des objets et des recherches : en littérature, même la théorie, comme l’écrivait Ginette Michaud, « joue toujours en définitive du particulier au particulier, de cas en cas ». Les travaux réunis ici ne font pas exception à cela, tous abordant des corpus différents, selon des questions et des approches elles-mêmes variées. En même temps, le rapprochement de ces textes fait voir, de l’un à l’autre, un certain nombre de points communs, de préoccupations voisines. C’est ainsi que cinq articles abordent la poétique du roman chez un auteur particulier. Guillaume Pinson analyse la présence et le rôle du journal dans À la recherche du temps perdu : il en examine d’abord les représentations, montrant comment le périodique donne matière à une réflexion sur l’écriture, le temps et l’histoire, tout en médiatisant les rapports entre les personnages ; il se penche ensuite sur ce que la poétique proustienne emprunte à l’écriture médiatique. C’est aussi à partir d’une forme de médiation que Mathieu Bélisle examine quant à lui la différence entre deux genres d’écriture dans l’oeuvre de Julien Gracq, soit le carnet et le roman. Chez cet écrivain, géographe et historien, c’est la vision du paysage, lui-même « lu » à travers des connaissances théoriques, qui informe l’écriture. Gracq avait une prédilection pour ce qu’il appelait les « régions indécises », celles qui, au contraire des pays montagneux ou maritimes, « ne présentent aucun trait saillant mais apparaissent […] comme des lieux indistincts », lesquels obligent le regard à s’aiguiser et la plume à multiplier les nuances. Bélisle croit que le sens que donne Gracq à cette image est emblématique de l’écriture des carnets, lieu de l’indécision et de la liberté de ne pas choisir. Les « régions indécises » tracent une « ligne de partage » entre les deux genres étudiés, aident aussi à comprendre la poétique du roman, qui lui, ne peut rester indécis, doit choisir. L’article de Yan Hamel, consacré à Sartre, n’étudie pas directement les oeuvres narratives, mais les textes de critique littéraire de l’écrivain. Hamel constate d’abord que le roman occupe une grande place dans les critiques et les manifestes, et que ces travaux construisent une poétique qui s’accorde avec les réflexions de l’auteur sur l’engagement. En examinant de plus près ce que Sartre dit des romans abordés — essentiellement français et américains —, il montre ensuite la présence d’une bipartition, géographique et culturelle, dans les jugements de l’auteur, laquelle « …

Parties annexes