Il y a cinquante ans Études françaises et L’homme rapaillé de Gaston Miron[Notice]

  • La rédaction

Fondée en 1965 au département d’Études françaises (devenu le département des Littératures de langue française en 2003) de l’Université de Montréal, la revue Études françaises a souhaité prolonger son action en créant en 1966 un prix littéraire « à l’intention des écrivains francophones ». Directeur de la revue de 1966 à 1978, Georges-André Vachon l’avait nommé « prix de la francité » : « “francité”, au sens où nous l’employons, désigne la francophonie moins la France », écrivait-il en 1968, « toutes les régions périphériques du domaine français ». Le premier lauréat de ce « premier prix international décerné par un jury canadien-français » fut le romancier ivoirien Ahmadou Kourouma, appelé à devenir l’un des écrivains majeurs de l’Afrique francophone. Couronné dans les locaux de la délégation du Québec à Paris le 23 février 1968, Les soleils des indépendances, qui lançait son oeuvre, demeure une date dans l’histoire de la littérature africaine. En 1970, le jury du prix de la revue Études françaises était, comme en 1968, constitué de Georges-André Vachon, directeur de la revue, Jacques Brault, membre du comité de rédaction, Danièle Ros, directrice des Presses de l’Université de Montréal, Naïm Kattan et Paul-Marie Lapointe. Ce jury couronna, le 14 avril, L’homme rapaillé. Auteur, en 1966, d’une étude fondatrice, « Miron le magnifique », Jacques Brault est revenu, en 2014, sur la composition de ce livre et sur l’histoire de sa publication, au fil d’une entrevue accordée à Élisabeth Nardout-Lafarge dans les pages de notre revue. Dans son discours de présentation, Georges-André Vachon saluait en Gaston Miron un poète « [f]oncièrement réfractaire à l’idée d’achèvement, [… qui] écrit moins pour édifier une oeuvre que pour poser une affirmation », et insistait, dans L’homme rapaillé, sur la « beauté du poème qui demeure toujours au bord du non poème, qui refuse de prendre le visage d’une oeuvre, et d’entrer dans la littérature ». Entendons qui refuse de retrancher la poésie. Représentative d’une limite ou d’un maximum d’intensité tant l’homme et ses poèmes semblent faire bloc, oeuvre qui doit, certes, quelque chose à la vie réelle et à ses échecs amoureux, si forte que chaque relecture nous laisse une impression telle que l’on se demande si l’auteur saura recommencer – ou poursuivre. Oeuvre-vie réécrite page à page, de marge à marge, image par image, de vers en vers, mot à mot, dans un incessant corps à corps avec la langue, L’homme rapaillé associe également un destin individuel au destin collectif. Enraciné dans une histoire qu’il prend en charge, il assume la condition du « Damned Canuck » (« Mon nom est “Pea Soup” »), parle pour tous, de tous, à tous. Combat contre une domination politique et contre une aliénation linguistique, contre l’empêchement du poème, appropriation d’un territoire et d’un pays natal, de sa géographie, de sa flore et de sa faune, autoportrait de la collectivité, des ancêtres, des parents, des camarades, des militants, des compatriotes, élargie à l’échelle du monde, témoignage, imprécation, résistance, réquisitoire, L’homme rapaillé proclame la reconquête des forces vitales malgré la tristesse, l’amnésie, l’amertume et la déréliction. Traduite en une douzaine de langues, cette oeuvre dit l’universalité d’une parole, d’une langue, d’une culture et d’une nation en scellant l’aventure d’un homme dans sa relation au monde. L’« identification [du] drame personnel [de Gaston Miron] et du drame collectif  » qu’avait saluée Georges-André Vachon en avril 1970 allait toutefois se renouer, et se rejouer, d’une manière poignante, presque jour pour jour, six mois plus tard. En signe de protestation, le 23 octobre 1970, le département d’Études françaises de l’Université de Montréal organisa une journée d’études …

Parties annexes