Le peuple yupik et ses voisins en Tchoukotka: huit décennies de changements accélérésThe Yupik people and its neighbours in Chukotka: Eight decades of rapid changes[Notice]

  • Yvon Csonka

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  • Rédacteur invité
    Yvon Csonka
    Département d’histoire culturelle et sociale,
    Ilisimatusarfik-Université du Groenland,
    Box 1061,
    DK-3900 Nuuk,
    Groenland.
    csonka@greennet.gl

En Russie, le terme Eskimosy (Esquimaux) demeure l’(auto)-désignation acceptée et officielle des peuples apparentés aux populations inuit et yup’ik du Nouveau Monde. Parmi d’autres désignations, on trouve les termes «Esquimau asiatique» — utilisé par Bogoras et par les chercheurs russes qui lui ont succédé dans les dernières décennies du 20e siècle —, et les termes «Esquimau sibérien» ou «Yupik sibérien», des plus usuels aux États-Unis. Yupik (plur. Yupiget, ‘véritable être humain’) est l’auto-désignation vernaculaire des groupes parlant le yupik de la Sibérie Centrale (YSC), de la Tchoukotka et de l’île St-Laurent, en Alaska, qui fait partie des États-Unis (Figures 1 et 2). Les locuteurs du YSC et leurs descendants constituent la majorité des Eskimosy vivant en Russie. On ne doit pas les confondre avec les Yupiit (sing. Yup’ik) de l’ouest de l’Alaska qui leur sont apparentés sur le plan linguistique. La Tchoukotka est, ou était, le foyer d’autres populations d’ascendance esquimaude. Les Nevuqaghmiit, qui furent expulsés de Naukan en 1958, (Figure 3; Chichlo 1981; Krupnik et Chlenov, dans ce volume) parlent un dialecte apparenté à celui des Yup’ik du centre de l’Alaska et, dans leur langue, la désignation des Esquimaux non-Inuit, y compris eux-mêmes, est Yupiit (sing. Yupik). Mikhail Chlenov, l’un des contributeurs de ce volume, surnomma un jour Naukan «la troisième des îles Diomède», en décrivant sa situation géographique et culturelle, isolée du reste de la Péninsule des Tchouktches par la chaîne des monts Dezhnev (Chlenov 1988: 71); et ces derniers siècles, les îles Diomède ont constitué une voie d’accès vers l’Asie pour les peuples de l’Alaska et leur influence, d’abord les Yupiit, puis, plus tard, les Inupiat. En Russie, le terme Eskimosy désigne également un petit groupe de descendants des Inupiat déplacés de l’île Grande Diomède en 1948, tout autant que d’anciens locuteurs de la langue aujourd’hui éteinte des Esquimaux Sirenikski, qui n’était ni yupik ni inupiaq. Ainsi, les termes Yupiget, Yupiit et «Esquimaux» ne désignent pas tout à fait les mêmes populations. Nous avons laissé aux contributeurs de ce volume une certaine flexibilité dans leur usage des désignations, à des fins de précision, et pour ne pas contrevenir aux usages locaux. Sous certains aspects, la Tchoukotka est une région marginale du monde inuit d’aujourd’hui. Les Eskimosy, comptant environ 1600 personnes, ne constituent qu’une petite minorité dans leur propre région, d’autant plus réduite si on la replace à l’échelle de la gigantesque Russie. Lorsque l’Alaska fut vendu aux États-Unis, en 1867, les Yupiget furent scindés entre deux pays aux systèmes politiques, culturels et idéologiques très différents. La séparation fut définitive durant la Guerre froide (1948-1988) qui éleva des barrières entre les peuples de la région, empêchant les interactions, la liberté des déplacements, les liens familiaux et maritaux qui avaient autrefois prospéré pendant des générations. La Tchoukotka, en tant que région, fut coupée du reste du monde pendant une grande partie du 20e siècle, en raison des développements politiques en Russie. La région elle-même (Figure 2) est depuis longtemps désignée d’après le nom des voisins plus nombreux des Yupik, les Tchouktches. L’entité administrative actuelle fut instaurée en 1930 sous le nom de «Région Nationale Tchouktche» (okrug en russe), et elle fut rebaptisée «Région Autonome Tchouktche» en 1980 (Chukotskii avtonomnyi okrug), abandonnant ainsi la référence ethnique. Cela reste son nom officiel, ordinairement abrégé en russe sous la forme «Tchoukotka» et, par extension, en français aussi. Ce nom de Tchoukotka est devenu d’usage si courant qu’il s’est imposé dans l’expression française «Région autonome de Tchoukotka». Cette région, cependant, reste au coeur de l’histoire ancienne des Inuit, puisqu’elle fut le berceau des développements néoesquimaux les plus anciens il …

Parties annexes