Comptes rendus

Lajeunesse, Marcel, Lecture publique et culture au Québec xixe et xxe siècles (Montréal, Presses de l’Université du Québec, coll. « Gestion de l’information », 2004), 228 p.[Notice]

  • Lucie Robert

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  • Lucie Robert
    Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises
    Université du Québec à Montréal

Vingt-cinq ans après avoir soutenu une thèse de doctorat sur les associations littéraires et les bibliothèques sulpiciennes au xixe siècle (voir Les Sulpiciens et la vie culturelle à Montréal au xixe siècle, 1982), Marcel Lajeunesse réunit dix études portant sur l’émergence et l’évolution de la bibliothèque publique au Québec. Appartenant au genre des « Papiers collés », qui entraîne forcément certaines redites, l’ouvrage trouve néanmoins son unité dans le projet central de l’auteur, qui est de contribuer à la compréhension de l’histoire de la lecture publique et d’en saisir les « traits si particuliers dans le contexte nord-américain. » (p. 4) Le livre ouvre sur un survol historique portant sur la forme et sur le rôle social des bibliothèques québécoises, puis il s’organise selon un plan chronologique où les articles représentent autant d’études de cas, depuis le Cabinet de lecture paroissial jusqu’à la bibliothèque du XXIe siècle. Dès les premières pages se trouve définie la conception singulière de la bibliothèque qui dominera longtemps au Québec, conception tout entière inscrite dans le refus réitéré des grandes institutions de s’y engager autrement que pour contrer le développement de la lecture publique. Depuis la formation des premières bibliothèques, associations volontaires dont le financement est laissé aux usagers, souscripteurs et abonnés, jusqu’à la création des bibliothèques paroissiales par l’Église catholique, soucieuse de préserver la morale de ses ouailles, la lecture est ainsi conçue comme une activité privée dont l’accès est réservé. Une telle conception, selon l’auteur, trouverait encore aujourd’hui des échos dans le désengagement progressif des municipalités et dans la concentration tout entière des maigres budgets alloués par les gouvernements à de vastes projets immobiliers, souvent au détriment des objectifs démocratiques inhérents au développement de la pratique elle-même et à son accessibilité au plus grand nombre. À cette conception restrictive, ils ont été nombreux dans l’histoire à s’opposer : les francs-maçons, les libéraux, quelques conservateurs modérés et, en général, tous ceux et celles qui croient dans les bienfaits de l’instruction publique. De cette manière, l’histoire que trace Marcel Lajeunesse est, en même temps que celle des formes, une histoire des luttes menées par certains en faveur d’un accès public à la lecture, lutte qui n’a, somme toute, été gagnée qu’en 1980, à l’initiative du ministre Denis Vaugeois. L’auteur revient ainsi sur le cas des deux surintendants de l’instruction publique que furent, au milieu du xixe siècle, Jean-Baptiste Meilleur et Pierre-Joseph-Olivier Chauveau et qui, l’un et l’autre, auraient souhaité contribuer au développement des bibliothèques, fussent-elles paroissiales, mais dont les appels sont restés vains. De même, il s’arrête longuement aux circonstances tumultueuses de la fondation de la Bibliothèque municipale de Montréal (1917), peu après celle de Saint-Sulpice (1915), emblème d’une nouvelle forme de socialité urbaine caractérisée notamment par l’intervention municipale dans le champ culturel. Pourtant, observe-t-il, cette bibliothèque, qui n’aura jamais l’occasion de célébrer son centenaire, ne représente pas l’événement espéré, « [c]omme si tout l’effort montréalais en lecture publique s’était concentré dans la réalisation de deux projets et en était resté là pour plus d’un demi-siècle. » (p. 121) Toutefois, démontre-t-il, l’histoire des bibliothèques ne saurait être vue comme un développement continu, dont la bibliothèque paroissiale aurait été le premier modèle et la Bibliothèque municipale de Montréal le second, plus moderne. Il s’agit plutôt d’un déploiement parallèle, la bibliothèque paroissiale, comme mode dominant de lecture publique chez les francophones, ayant survécu jusqu’au milieu du xxe siècle. De sorte que, et là est la thèse centrale de l’auteur, « [l]a bibliothèque paroissiale ne constitua pas une étape menant à l’émergence de la bibliothèque publique. » (p. 86) Elle en fut plutôt …