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L’historien René Durocher est décédé le 21 novembre 2021. Il aura marqué de façon significative le développement de notre Institut et de sa Revue et contribué à l’essor de notre discipline.

Issu d’un milieu ouvrier modeste, René Durocher passe son enfance montréalaise dans le « faubourg à m’lasse » et ses environs. Doté d’une vive curiosité intellectuelle, il choisit à l’adolescence la voie de l’enseignement. Après ses études à l’école normale, il oeuvre pendant quelques années dans des écoles secondaires. Il s’inscrit simultanément en histoire à l’Université de Montréal où il obtient de brillants résultats, ce qui conduit à son embauche dans cet établissement en 1967.

Il y amorce sa carrière cette année-là en proposant un cours intitulé « Histoire du Québec ». C’est une innovation à double titre : pour la première fois, un cours d’histoire nationale ne porte pas l’appellation « Histoire du Canada », et la période couverte est beaucoup plus immédiate puisqu’elle commence avec la Confédération. Pour la cohorte initiale d’étudiants (dont je suis), c’est un véritable électrochoc. Ce passionné d’histoire politique nous fait aussi découvrir les travaux des sociologues et des économistes et nous initie aux perspectives interdisciplinaires. Il nous aide à comprendre les racines de ce Québec moderne qui s’affirme de façon plus éclatante depuis la Révolution tranquille. Parmi nous, plusieurs vocations nouvelles se révèlent à cette occasion. René Durocher peut, à juste titre, être considéré comme un des pères fondateurs de l’histoire du Québec à l’époque contemporaine. Tout comme Jean Hamelin à l’Université Laval, il est, à l’Université de Montréal, le principal responsable de l’essor de l’enseignement et de la recherche dans ce champ d’étude.

Deux ans plus tard, René et moi nous associons pour élaborer un programme de production d’outils pédagogiques afin de soutenir le développement du secteur. Nous lançons un guide bibliographique, puis une collection de recueils d’articles. La pièce de résistance est cependant le chantier de rédaction d’Histoire du Québec contemporain, lancé en 1973 avec Jean-Claude Robert (François Ricard se joindra à l’équipe quelques années plus tard). Ce projet d’écriture collective prend souvent la forme de séminaires intensifs auxquels René Durocher apporte sa connaissance étendue de la production historique sur le Québec et sa compréhension des enjeux politiques. Nous y consacrerons seize ans de notre vie tout en participant à deux séries d’émissions télévisées. L’achèvement de ce projet, en 1989, est source de grande fierté pour René Durocher. Parallèlement, celui-ci contribue au développement de ce champ d’études au département d’histoire de l’Université de Montréal, dont il est le directeur de 1984 à 1987.

Au cours des années 1970, René Durocher consacre aussi beaucoup d’énergie à la cause de l’IHAF et de la RHAF. Pendant une vingtaine d’années, leur fondateur, Lionel Groulx, avait porté ces deux « oeuvres » à bout de bras, avec l’appui d’un réseau de vieux amis et de praticiens de l’histoire, dont plusieurs étaient des ecclésiastiques. Son décès en 1967 a provoqué une prise de conscience qui a amené certains acteurs à s’impliquer afin d’assurer la pérennité et le renouvellement de ces deux institutions. Pour l’Institut, il faut à leurs yeux moderniser les structures (charte, règlement, gouvernance) et y attirer de jeunes historiens et historiennes formés dans les universités. Il s’agit de réaliser le passage d’une société historique traditionnelle à une association professionnelle d’historiens. C’est chose faite en 1970. Pour la Revue, l’objectif, atteint à la même époque, est d’y introduire les pratiques des autres périodiques scientifiques : politique éditoriale explicite, évaluation des articles par les pairs et création d’un comité de rédaction. Ce dernier se voit aussi assigner la mission de recruter de jeunes auteurs et autrices et de les aider dans la révision de leur texte. René Durocher s’implique activement dans ces réformes et agit souvent comme intermédiaire entre les historiens établis et la relève qui émerge. Il siège au comité de rédaction de la RHAF, dont il est le directeur en 1976-1977. Parallèlement, il est administrateur de l’Institut, qu’il préside de 1977 à 1981. L’une et l’autre lui doivent beaucoup.

Le combat pour l’histoire, René Durocher le mène aussi sur d’autres scènes, notamment à la Société historique du Canada, qu’il préside en 1986-1987. Tout en étant engagé sur la scène universitaire, il ne perd pas de vue l’enseignement au secondaire. Président de la Société des professeurs d’histoire du Québec en 1974-1975, il sera par la suite très actif dans la campagne pour rétablir l’enseignement obligatoire de l’histoire nationale à l’école secondaire. Citoyen engagé, il multiplie les entrevues et les conférences sur le Québec et son histoire et il accepte des mandats tels celui de membre du Conseil de la science et de la technologie du Québec ou encore la présidence de deux CLSC. À partir de 1987, il occupe des fonctions de haute direction à l’Université de Montréal, d’abord à la Faculté des arts et des sciences, puis au bureau de la recherche (soutien et partenariats). De 2001 à 2005, il sera le premier directeur du programme des Chaires de recherche du Canada, à Ottawa.

René Durocher a donc eu une carrière remarquable au service de l’histoire, de la recherche et de l’enseignement universitaire. Nous lui sommes tous redevables, d’une façon ou d’une autre. Sur un plan plus personnel, je pleure celui qui, après avoir été mon mentor, est devenu un collègue et un grand ami.