Recensions

Jean Piaget, dir., La représentation du monde chez l’enfant. Paris, Presses Universitaires de France (coll. « Quadrige »), 2003 [1947], 335 p.[Notice]

  • Yves Laberge

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  • Yves Laberge
    Institut québécois des hautes études internationales, Québec

Cet ouvrage collectif sous la direction de Jean Piaget (1896-1980) a longtemps été épuisé, comme plusieurs autres titres similaires du célèbre épistémologue suisse, qui enseigna la sociologie à l’Université de Genève, de 1939 à 1952. Onze collaborateurs ont assisté Piaget dans la recherche et la rédaction de ce livre reproduisant intégralement la publication datant de 1947, qui reprenait la version revue d’une édition encore plus ancienne, initialement parue en 1926 aux Éditions Alcan, à Paris. Le problème initial part de deux questions, à savoir comment l’enfant (en général de moins de 12 ans) se donne spontanément des représentations du monde ? La seconde question de départ touche la causalité, c’est-à-dire les modalités de l’explication enfantine, tant dans les domaines des sciences que de la philosophie (p. 5). Un questionnement sous forme d’entretien (reproduit intégralement) incite les enfants à distinguer le vivant de l’inerte, en tentant de mettre en évidence les critères distinctifs qui sont invoqués par chacun des jeunes répondants. Les allusions à la volonté des objets inanimés se retrouvent fréquemment dans les réponses des enfants. Ainsi, lorsque l’on demande à un enfant si les nuages existaient avant d’avoir un nom, un enfant répondait que non, parce « qu’il n’y avait personne sur la Terre » (p. 60). D’autres réponses illustrent chez certains enfants une conception animiste de leur environnement : « […] les nuages peuvent aller plus vite s’ils le veulent » (p. 190). Même des enfants de 10 ans, conscients que le soleil et les ruisseaux ne vivent pas, expliquent néanmoins les mouvements dans la nature par des forces, ce qui permet aux auteurs de forger le concept de « volonté sans conscience » (p. 192). Autrement dit, l’enfant qui ne connaît pas encore les théories de la physique du mouvement tente, pour interpréter les phénomènes qu’il observe, de leur donner autrement un sens, une logique, auxquels il peut adhérer : « […] concluons que l’enfant est porté à expliquer les régularités de la nature par des règles morales beaucoup plus que par des lois naturelles » (p. 192). C’est pourquoi les auteurs ne s’intéressent pas aux « bonnes réponses » des enfants interrogés, mais bien à leurs explications spontanées, peut-être incohérentes sur le plan strictement scientifique, mais révélatrices du point de vue de la formation de leurs perceptions et de leur vision du monde. Il ne s’agit pas de s’amuser de l’inexactitude de leurs réponses ou de la candeur de leurs raisonnements : « […] conservons des réponses recueillies l’élément négatif, pour ainsi dire, et non le contenu positif de chaque affirmation », indiquent les auteurs dans une remarque (p. 193). Du point de vue méthodologique, l’équipe de Piaget utilise surtout l’observation, les tests, l’enquête sous forme d’entretiens dirigés. Au fur et à mesure que les réponses aux études de cas sont présentées, les auteurs élaborent une réflexion théorique qui tient compte des enseignements fournis à chaque étape par les enquêtes, ces apports que l’on nomme ici « la portée des faits » (p. 224). Le cadre théorique y est clairement exposé. Le concept de « représentation » est utilisé dans un sens distinct de ceux d’idéologie ou de « vision du monde », qui sont pratiquement absents du livre. On comprendra ici que les abondantes réflexions des enfants, reproduites dans des larges extraits à chaque chapitre de l’ouvrage, rendent non seulement compte des conceptions initiales de ceux-ci, mais servent en outre à mettre en évidence la construction conceptuelle qui s’amorce au fil des pages. La première section de La représentation du monde chez l’enfant décrit comment naît chez l’enfant la notion de réalité, tandis que la …

Parties annexes