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Dans ce livre, l’historien et journaliste Yves Chiron, auteur de nombreuses biographies, étudie la figure de Pierre Lemaire, catholique français très engagé, notamment en faveur de la famille.

Né en 1903 dans les Ardennes, Pierre Lemaire était un ingénieur de formation. Père de famille, il commença à militer très jeune dans différents mouvements catholiques, notamment au sein de l’USIC (Union Sociale des Ingénieurs Catholiques), du mouvement Pour l’Unité du père Marcellin Fillière, de la FNC (Fédération Nationale Catholique) du général de Castelnau, et dans les Équipes Notre-Dame. Lors de la Deuxième Guerre mondiale, il servit comme officier. Fait prisonnier en juin 1940, il profita de sa captivité pour prier, se former par la lecture et réfléchir. Cette période fut déterminante dans son existence puisqu’à son retour il décida de changer de vie. Il s’établit à Arradon, dans le Morbihan, afin de se consacrer entièrement à l’éducation de ses enfants, tout en essayant de mener une vie autarcique. Après la guerre, suite à un appel de Pie XII aux pères de famille, il créa le COPARE (Comité de parents pour la réforme de l’enseignement) et la revue Paternité, laquelle connut une grande diffusion. Ultérieurement, il fonda d’autres périodiques parmi lesquels Défense du Foyer, Dieu est amour, Discours du Pape et chronique romaine. En 1960, il érigea les éditions Saint-Michel et plus tard, en 1971, il racheta la librairie Pierre Téqui, une des plus anciennes maisons d’édition catholique de Paris. Comme le montre Yves Chiron, Pierre Lemaire « va rapidement faire de la librairie Téqui un acteur majeur de l’édition catholique » (p. 259). Sous sa direction, elle « aura pour caractéristique d’être une maison d’édition consacrée à la défense et à la promotion de la famille, au catéchisme et à l’éducation de la foi, tout en se faisant l’écho fidèle des enseignements du pape » (p. 259).

Pierre Lemaire est à classer dans la série des penseurs et militants laïcs du xxe siècle tels Jean Ousset, Marcel Clément, Jean Madiran, Louis Salleron, et Gérard Soulages. Certes, ces personnages ont eu des parcours différents, pris des initiatives distinctes, usé de stratégies variées, et certains se sont divisés sur les voies à suivre ou sur des questions liturgiques et doctrinales, mais ils ont en commun d’avoir voulu être d’intrépides et tenaces défenseurs de la foi catholique. Le 6 mars 1970, dans une lettre à Jean Madiran, Pierre Lemaire écrivait : « Mon souhait, vous le connaissez, c’est que, au lieu de nous diviser à propos du pape et de la messe, nous nous unissions tous pour faire front contre la subversion religieuse qui, de Hollande et à travers la Belgique, gagne notre propre pays » (p. 250). La question de la messe n’était pas centrale pour lui et ce qui caractérisa son combat au sein de la tendance traditionaliste est qu’il voulut suivre à la lettre les directives du pape et du Saint-Siège. Il est donc logique qu’il se soit séparé rapidement de Mgr Lefebvre qu’il avait soutenu un temps. La rupture se fit dès 1974, lorsque Mgr Lefebvre publia sa fameuse déclaration de novembre 1974 dans laquelle il fustigeait « la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante ».

Les combats de Pierre Lemaire furent parsemés de critiques et de contestations ; elles venaient notamment des évêques français. Cependant, il reçut le soutien de certains prélats, de cardinaux et des papes. Et puis, sa ténacité était telle qu’il ne changea jamais de cap ni ne baissa pavillon. Après sa mort, le cardinal Ratzinger, qui était alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, écrira à ses enfants : « La nouvelle de la disparition de votre cher et regretté père m’a laissé sur une émotion que seules expliquent ma profonde amitié pour l’homme et ma très haute appréciation de sa foi, de sa transparence, de sa discrétion, de son amour pour l’Église et pour le successeur de Pierre, de son zèle à répandre la Bonne Nouvelle autour de lui ».

C’est un homme important de la galaxie traditionaliste que nous fait découvrir Yves Chiron dans cet ouvrage documenté et écrit avec la plume alerte que nous connaissons à l’auteur. De plus, l’ouvrage, composé de seize chapitres, comporte un index fort utile, une liste des archives consultées, des ouvrages de Pierre Lemaire, et des livres et articles consultés. En outre, il comprend une préface du journaliste et philosophe Gérard Leclerc, ainsi qu’une postface du père Yannik Bonnet. Notons enfin deux annexes, le sermon de l’abbé Yves Roger au mariage de Pierre Lemaire et d’Yvonne Roger-Machard en 1928, ainsi que le discours prononcé en 1951 par Pie XII pour un groupe de pères de famille français.