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Les rues de Paris : « L’affaire Alexis Carrel »The streets of Paris : the Alexis Carrel question[Notice]

  • Marc E. Weksler

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  • Marc E. Weksler
    Wright Professor of Medicine,
    Weill Medical College of Cornell University,
    1300 York Avenue, New York, NY 10021,
    États-Unis.
    weksler@med.cornell.edu

Les noms de rues apprennent beaucoup sur les nations. King’s Road à Londres évoque la monarchie britannique, Main Street à New York quelque chose de la simplicité américaine, et le boulevard Pasteur fait référence à un grand savant français. Le nombre de rues, avenues et boulevards portant des noms d’intellectuels, et plus particulièrement de médecins, est plus important à Paris que dans n’importe quelle autre ville au monde. En feuilletant l’index du plan de Paris, on constate qu’au moins cent cinquante rues portent le nom d’un médecin ou d’un scientifique. Nommer les rues de Paris en l’honneur des médecins n’a rien d’une mode récente. Il y a presque cent ans, William Osler, qui était alors Professeur Royal de Médecine à l’Université d’Oxford, séjourna trois mois à Paris. Ayant vécu aux États-Unis et en Angleterre, il considérait que la France témoignait, par rapport aux Américains et aux Anglais, d’une plus grande reconnaissance envers ceux qu’il appelait medical men. Dans ses Impressions de Paris publiées dans le journal de l’American Medical Association en 1909, Osler notait : « Si l’on me demandait l’impression la plus spécifique et la plus forte que j’ai pu éprouver là-bas, je répondrais : c’est l’extraordinaire respect des Francais pour les sciences. L’histoire des sciences est écrite partout dans la ville : sur les monuments, les immeubles consacrés par leur nom à des morts illustres et dans les rues qui portent leurs noms. Il existe plus de statues dédiées aux hommes de la médecine à Paris qu’en Angleterre et aux États-Unis réunis ». Depuis la visite d’Osler, Paris a continué de donner à ses rues les noms de medical men. C’est le cas de la rue Alexis Carrel. En 1974, Paris a associé le nom d’Alexis Carrel à une rue du 15e arrondissement. Ce qui n’est peut-être pas surprenant, puisque Alexis Carrel était le troisième français à recevoir le prix Nobel de médecine. Pour fêter le centenaire de sa naissance en 1973, son nom est apparu dans les rues de plus de deux douzaines de villes françaises, dont Strasbourg, Limoges et Montpellier. Sa ville de naissance, Lyon, avait donné son nom à sa faculté de médecine en reconnaissance de son prix Nobel. Il est certain que très peu de citoyens français connaissent Alexis Carrel en dehors de ce prix Nobel. Après tout, il a vécu la majeure partie de sa vie d’adulte aux États-Unis, et il est mort avant la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1991, cette ignorance générale a pris fin avec le démarrage de ce qui pourrait être appelé « l’affaire Carrel ». À cette époque, le Front National, sous la direction de Jean-Marie Le Pen, militait pour l’établissement d’une politique restrictive à l’égard des immigrés vivant en France, et d’une limitation drastique des nouveaux immigrants. Les Verts, parti écologiste de gauche, s’opposaient vigoureusement aux attaques racistes de Le Pen à l’égard des étrangers. En réponse à leurs arguments, Bruno Mégret et le Front National citèrent des écrits d’Alexis Carrel, le présentant comme « le premier français vraiment écologiste », un écologiste « humain ». Carrel avait en effet « averti » la France que les immigrants « polluaient » la population française. D’un coup, le nom de Carrel était jeté au centre du débat politique. La pièce maîtresse de ce débat était son livre, L’homme, cet inconnu, publié aux États-Unis en 1935. Carrel est né à Lyon en 1873. Élevé dans des écoles catholiques locales, il obtint son premier diplôme de médecin en 1900 à la faculté de médecine de Lyon. Dans sa vie d’étudiant, déjà, Carrel s’était …

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