L’agrine est une protéine de la matrice extracellulaire, isolée à partir d’extraits de lame basale de l’organe électrique du poisson torpille Torpedo californica(Figure 1) [1]. A la jonction neuromusculaire (JNM), l’agrine a pour fonction physiologique principale l’agrégation des récepteurs de l’acétylcholine et de protéines associées [2], d’où sa dénomination issue du grec ageirein pour « assembler ». Elle favorise ainsi la formation de la densité post-synaptique apposée à la terminaison axonale, et contribue à l’établissement d’une transmission nerf-muscle fonctionnelle. Depuis sa purification en 1987, cette protéine a fait l’objet de très nombreuses études visant à caractériser son mode d’action et le rôle-clé qu’elle entretient dans le processus de maturation de la membrane post-synaptique de la JNM [3, 4]. La présence d’agrine dans le système nerveux central laisse supposer que cette protéine pourrait également être impliquée dans la formation et la plasticité des connexions synaptiques interneuronales [5]. En effet, lors du développement du système nerveux central, les pics d’expression d’agrine coïncident avec des périodes de synaptogenèse importante [6, 7]. Par ailleurs, dans le cerveau mature, l’expression de la protéine reste élevée dans des structures telles que l’hippocampe ou encore le cortex, qui présentent une forte plasticité synaptique [7]. De plus, le blocage de l’expression d’agrine par des oligonucléotides antisens et/ou de sa fonction par des anticorps spécifiques entraîne d’importantes perturbations de la différenciation et la transmission synaptique ainsi que de l’exocytose [8], confirmant ainsi un rôle de cette protéine dans la formation/maturation des synapses du système nerveux central. Durant la période de synaptogenèse, de nombreux remaniements cellulaires et moléculaires s’opèrent, conduisant in fine à l’établissement de contacts synaptiques fonctionnels et à la formation de réseaux neuronaux. Ces remaniements s’accompagnent notamment d’un changement du mode de communication entre cellules neuronales. En effet, très tôt au cours du développement embryonnaire, et avant même qu’apparaissent les synapses, les neurones échangent des informations électriques et chimiques via des structures membranaires particulières appelées jonctions gap [9]. Ces structures correspondent à des canaux transmembranaires présents au niveau d’étroites appositions des membranes plasmiques de cellules adjacentes et sont à l’origine d’interactions directes entre cellules via le passage d’ions et de petites molécules entre les cellules couplées. Avec la progression de l’embryogenèse, ce couplage cellulaire médié par les jonctions gap diminue à mesure de l’établissement des contacts synaptiques [10], principaux supports de la propagation d’information au sein des réseaux neuronaux matures. Jusqu’à très récemment, les facteurs impliqués dans cette transition entre communication électrique jonctionnelle et transmission synaptique observée au cours de la synaptogenèse étaient inconnus. Par ailleurs, nul n’avait envisagé jusqu’ici que l’agrine puisse exercer un rôle majeur sur une voie de communication intercellulaire autre que la transmission synaptique. Dans un article récent [11], nous décrivons, sur le modèle de la synapse cholinergique entre le nerf splanchnique et les cellules chromaffines de la glande médullo-surrénale, un rôle nouveau et tout à fait inattendu de la protéine agrine comme facteur essentiel impliqué dans la transition entre couplage électrique et transmission synaptique. Les cellules chromaffines de la glande médullo-surrénale sont responsables de la sécrétion de catécholamines (adrénaline, noradrénaline), hormones-clés de la réponse adaptative de l'organisme face aux variations de l'environnement. Chez le rat adulte, le stimulus d'origine centrale est convoyé aux cellules chromaffines via le nerf splanchnique. La sécrétion de catécholamines est alors principalement régulée par l'acétylcholine libérée par les terminaisons du nerf splanchnique (contrôle neurogénique). Chez le rat nouveau-né, cette transmission synaptique est immature, et, de fait, le contrôle neurogénique de la libération de catécholamines n'est pas encore fonctionnel. Dans ces conditions, la communication intercellulaire par jonctions gap est prédominante et assure la propagation des informations au sein du …
Parties annexes
Références
- 1. Nitkin RM, Smith MA, Magill C, et al. Identification of agrin, a synaptic organizing protein from Torpedo electric organ. J Cell Biol 1987 ; 105 : 2471-8.
- 2. Wallace BG. Agrin-induced specializations contain cytoplasmic, membrane, and extracellular matrix-associated components of the postsynaptic apparatus. J Neurosci 1989 ; 9 : 1294-302.
- 3. Bezakova G, Ruegg MA. New insights into the roles of agrin. Nat Rev Mol Cell Biol 2003 ; 4 : 295-308.
- 4. Lai KO, Ip NY. Central synapses and neuromuscular junction; same players, different roles. Trends Genet 2003 ; 19 : 395-402.
- 5. Smith MA, Hilgenberg LG. Agrin in the CNS: a protein in search of a function? Neuroreport 2003 ; 13 : 1485-95.
- 6. Stone DM, Nikolics K. Tissue- and age-specific expression patterns of alternatively spliced agrin mRNA transcripts in embryonic rat suggest novel developmental roles. J Neurosci 1995 ; 15 : 6767-78.
- 7. Cohen NA, Kaufmann WE, Worley PF, et al. Expression of agrin in the developing and adult rat brain. Neuroscience 1997 ; 76 : 581-96.
- 8. Böse CM, Qiu D, Bergamaschi A, et al. Agrin controls synaptic differentiation in hippocampal neurons. J Neurosci 2000 ; 20 : 9086-95.
- 9. Kandler K, Katz LC. Neuronal coupling and uncoupling in the developing nervous system. Curr Opin Neurobiol 1995 ; 5 : 98-105.
- 10. Personius KE, Balice-Gordon RJ. Loss of correlated motor neuron activity during synaptic competition at developing neuromuscular synapses. Neuron 2001 ; 31 : 395-408.
- 11. Martin AO, Alonso G, Guérineau NC. Agrin mediates a rapid switch from electrical coupling to chemical neurotransmission during synaptogenesis. J Cell Biol 2005 ; 169 : 503-14.
- 12. Martin AO, Mathieu MN, Guérineau NC. Evidence for long-lasting cholinergic control of gap junctional communication between adrenal chromaffin cells. J Neurosci 2003 ; 23 : 3669-78.