Disputatio

Précis de Literal Meaning[Notice]

  • François Recanati

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La sémantique contemporaine est fondée sur l’idée que « les locuteurs d’une langue connaissent implicitement des règles qui leur permettent potentiellement, pour une infinité de phrases syntaxiquement bien formées, de déterminer si elles sont vraies ou fausses dans n’importe quelle situation donnée ». Le problème, c’est que les phrases ne sont pas vraies ou fausses in vacuo : pour évaluer une phrase, on a non seulement besoin d’une situation que la phrase puisse être dite décrire correctement ou incorrectement, mais aussi d’un contexte où la phrase soit énoncée. On a besoin d’un contexte d’énonciation parce qu’une phrase comme « Je suis l’auteur de Literal Meaning » décrit correctement la réalité si c’est moi qui l’énonce, mais la décrit incorrectement si quelqu’un d’autre, par exemple Michel Seymour, l’énonce. Le contenu vériconditionnel de la phrase dépend du contexte : énoncée par moi, la phrase « Je suis l’auteur de Literal Meaning » est vraie si et seulement si je suis l’auteur de Literal Meaning, alors que cette même phrase, énoncée par Michel Seymour, est vraie si et seulement si Michel Seymour est l’auteur de Literal Meaning. Autrement dit : la phrase exprime des « propositions » différentes dans des contextes différents. On peut maintenir l’idée fondatrice de la sémantique contemporaine si l’on pense que, parmi les règles maîtrisées inconsciemment par tout locuteur d’une langue, certaines déterminent la valeur sémantique que prennent les expressions indexicales (comme « je ») relativement au contexte d’énonciation. De fait, selon Kaplan, la signification linguistique d’un mot comme « je » n’est autre qu’une règle permettant, en contexte, de déterminer la valeur sémantique (en l’occurrence, la référence) de l’expression, à savoir la règle selon laquelle « je » désigne le locuteur. Les règles sémantiques du langage permettent donc bien de déterminer la valeur de vérité de n’importe quelle phrase du langage relativement à n’importe quelle situation, mais elles le font pour ainsi dire en deux étapes : dans un premier temps, les règles du langage permettent de déterminer, pour une phrase quelconque, quelle proposition est exprimée par cette phrase dans un contexte quelconque, et dans un deuxième temps, la proposition en question détermine si la phrase ainsi interprétée est vraie relativement à une situation quelconque. Mais peut-on soutenir que la référence d’une expression linguistique (relativement à un contexte) est effectivement déterminée par une règle, une convention linguistique ? Dans le cas d’expressions indexicales comme « je » ou « demain », cela paraît plausible. En vertu des conventions de la langue française « je » désigne le locuteur, et « demain » désigne le lendemain de l’énonciation. Mais qu’en est-il par exemple du pronom de troisième personne, « il » (dans son emploi référentiel) ? Aucune règle linguistique ne va ici déterminer à qui le locuteur fait référence lorsqu’il emploie ce pronom. Dans les cas de ce genre, certains linguistes parlent de sous-détermination sémantique : les règles du langage ne déterminent pas complètement la valeur sémantique et donc elles ne déterminent pas complètement la proposition exprimée par la phrase où l’expression figure. La proposition exprimée dépend, en partie, de facteurs pragmatiques. Ainsi, la référence du pronom dépend des intentions référentielles du locuteur, ou tout au moins des intentions référentielles qu’il est rationnel d’attribuer au locuteur étant donné le contexte. Plutôt que de renoncer à l’idée fondatrice sur laquelle est bâtie la sémantique contemporaine, on peut, sans nier la sous-détermination sémantique, tenter d’intégrer celle-ci à l’édifice. Admettons que des facteurs pragmatiques (par exemple les intentions référentielles du locuteur) jouent un rôle crucial pour déterminer la valeur prise par certaines expressions en contexte. Cela paraît impliquer que la valeur sémantique …

Parties annexes