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Freud et la guerre[Notice]

  • David Cumin

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  • David Cumin
    Maître de conférences (HDR) à l’Université Jean Moulin, Lyon III (CLESID)

La psychologie était une branche de la philosophie, jusqu’à ce que Sigmund Freud (1856-1939) invente la méthode de recherche que l’on nomme psychanalyse. La psychanalyse est un procédé d’investigation des processus psychiques, une théorie de la psyché, une méthode de traitement des désordres psychiques. Son édifice théorique repose sur un corps de doctrines : refoulement, inconscient, complexes, signification étiologique de la vie sexuelle, importance des expériences vécues dans l’enfance, interprétation des rêves… La psychanalyse consiste en l’examen de la partie inconsciente de la vie psychique, afin d’expliquer ce qui paraît inexplicable dans les conduites humaines. En tant que phénomène multidimensionnel, la guerre intéresse évidemment la psychologie; Gaston Bouthoul, fondateur de la polémologie en France, le soulignait. Que dit Freud, savant, sur la guerre? D’emblée, il place le conflit au centre de la psychologie humaine : conflit du ça et du surmoi, de la pulsion de vie (Eros) et de la pulsion de mort (Thanatos), du père et du fils. Il a pourtant peu écrit sur la guerre stricto sensu : conflit armé entre belligérants. Il a publié une centaine de textes : articles, contributions, livres. Une demi-douzaine, portant notamment sur la religion, intéressent la question de la guerre. Mais deux seulement lui sont explicitement et directement consacrés : « Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort », rédigé en 1915 (30 pages); « Pourquoi la guerre? », rédigé en 1933 (10 pages). La Première Guerre mondiale avait pourtant accru l’intérêt pour la psychanalyse d’un point de vue clinique : l’observation et la guérison des névrosés de guerre. La réflexion freudienne n’en est pas moins importante et étonnante. Nombre de travaux sur la guerre ont pour origine le pacifisme : « Tout pacifisme conséquent appelle un examen des racines de la guerre » (Alain). Est-ce le cas chez notre auteur? L’objectif de cet article est de démontrer, textes à l’appui, que Freud ne croyait pas au pacifisme, du moins pas au pacifisme juridique. Il convient de situer politiquement le personnage. On a souvent rapproché Freud de Marx : deux auteurs germaniques, d’origine juive, qui se réfugièrent à Londres, l’oeuvre du premier étant volontiers considéré comme le pendant psychanalytique de l’oeuvre économique du second. Le retour aux sources documentaires, autrement dit, la lecture de Freud dans le texte, autorise à corriger l’interprétation « de gauche ». En science du droit, le kelsénisme n’est pas Kelsen; en psychologie, le freudisme n’est peut-être pas Freud! Dans le rapport Freud/Marx, on insiste sur l’athéisme, le caractère « révolutionnaire » de la psychanalyse (son fondateur en soulignait pourtant la « neutralité éthique »), la critique sociale et le projet émancipatoire : éduquer et libérer l’homme de ses aliénations psychologiques. Certes. On sait pourtant à quel point le dépassement du rationalisme et de l’individualisme classiques doit à Freud. Celui-ci était un rationaliste dans le sens des Lumières; l’originalité de son oeuvre a cependant consisté, non à fonder la supériorité de la raison, mais à restituer aux ratés et aux illogismes de l’activité mentale : lapsus, oublis, erreurs, rêves…, leur force de vérité. La lecture des ouvrages du savant révèle les traits suivants : pessimisme anthropologique et culturel; hiérarchisation des peuples civilisés et des peuples primitifs; croyance en l’hérédité (« nos actes conscients dérivent d’un substrat inconscient formé surtout d’influences héréditaires ») élitisme; conviction que l’éducabilité des masses est limitée, qu’elles doivent être contraintes à se conformer aux règles et que le pouvoir est par conséquent nécessaire; scepticisme sur le « progrès »; conception patriarcale de la société et de la famille (« le passage de la mère au père caractérise une …

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