Comptes rendus

Brian Leiter, Why Tolerate Religion ? Princeton, Princeton University Press, 2013, 192 p.[Notice]

  • Marc-Antoine Dilhac

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  • Marc-Antoine Dilhac
    Université de Montréal

Sous un titre provocateur qui suggère que l’auteur souhaite remettre en cause la tolérance accordée aux cultes et aux croyants, le bref ouvrage de Brian Leiter pose une question non seulement légitime mais encore urgente dans le contexte des démocraties libérales qui mettent en oeuvre des politiques multiculturelles : pourquoi accorder aux croyants des privilèges sous la forme d’exemptions ou d’accommodements raisonnables que l’on n’octroie pas d’ordinaire aux non-croyants ? La thèse de Leiter est qu’il n’est pas justifié de traiter de manière différente les revendications religieuses et celles qui sont fondées sur des croyances ou des pratiques sociales non religieuses ; la liberté religieuse doit recevoir la même protection que la liberté de conscience en général, ni plus ni moins. En outre, que ce soit dans le cas de revendications religieuses ou dans celui de revendications communautaires laïques, il est illégitime d’accorder des exemptions à la loi, qui doit s’appliquer également pour tous. Bien que le problème ne soit pas nommé, ce qui est visé dans l’argumentation de Leiter, ce sont les théories multiculturalistes qui justifient la pratique juridique de l’exemption uniquement pour les groupes organisés, communautés religieuses ou culturelles, et non pour les individus. Le chapitre I est consacré à la justification philosophique de la tolérance. Leiter commence par distinguer les arguments instrumentaux et les arguments de principe. Il identifie trois arguments instrumentaux qu’il rejette : l’argument dit « hobbesien » du modus vivendi ; l’argument de l’inadéquation des moyens de l’État (la force) et des fins (la conversion et le salut de l’âme) développé par Locke ; et enfin l’argument de Frederick Schauer selon lequel l’État est incompétent pour distinguer les opinions vraies des opinions erronées. Contre ces arguments instrumentaux, Leiter retient deux types d’argument en faveur d’une tolérance de principe : le premier est épistémique, le second moral. L’argument épistémique, que l’on trouve chez Mill (mais aussi chez Popper), consiste à affirmer que la tolérance permet le progrès vers la vérité aussi bien dans le domaine des faits que dans celui des valeurs. La finalité poursuivie dans le progrès de la connaissance est le développement de l’individualité et l’épanouissement moral. En toute rigueur, cet argument épistémique est simplement instrumental même s’il repose sur une raison morale indépendante. Quant à l’argument moral, il peut prendre deux formes : l’une est déontologique (Kant, Rawls) et consiste à justifier la tolérance comme un droit à la liberté de conscience et d’expression ; l’autre est téléologique (Mill) et admet un lien nécessaire entre le bonheur, qui est la finalité à promouvoir, et la liberté de choisir sa vie sans entrave. Dans les deux cas, la tolérance est coextensive à un régime libéral, et ses limites sont celles de la liberté ; ainsi, la tolérance ne peut s’appliquer aux individus dont les actes ou les discours menacent réellement la liberté d’autres individus. Leiter endosse ici la doctrine juridique du « danger manifeste et imminent » (clear and present danger). Ce premier chapitre rappelle les différentes conceptions classiques de la tolérance et ne suscite aucune surprise. Le deuxième chapitre, dans lequel l’auteur propose une explicitation des caractères propres de la religion, est plus surprenant. Leiter retient quatre caractères pertinents pour distinguer la religion d’autres systèmes de pensée comme les idéologies politiques (le marxisme par exemple) : 1) la catégoricité (categoricity) : la religion comporte des commandements catégoriques et non simplement hypothétiques, et le croyant a par conséquent des devoirs inconditionnés ; 2) l’insularité (insulation) : les croyances religieuses reposent sur des preuves inaccessibles à la raison commune et ne sont pas susceptibles d’être révisées …