Disputatio

Indication formelle et déformalisation[Notice]

  • Laurent Villevieille

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  • Laurent Villevieille
    Archives Husserl de Paris, CNRS/ENS

C’est à la fin des années dix et au début des années vingt que le jeune Heidegger forge le concept, méthodologiquement décisif, d’indication formelle. Le premier commentateur de Heidegger à en révéler l’importance fut Theodor Kisiel qui, en 1993, dans son ouvrage devenu classique The Genesis of Heidegger’s Being & Time, restitua le contenu du cours du semestre d’hiver 1920-1921 Phänomenologie des religiösen Lebens, lequel ne devait paraître que deux ans plus tard. Dans ce cours, en effet, Heidegger expose les tenants et les aboutissants méthodologiques de ce qu’il nomme formale Anzeige, et qu’il situe dans un débat avec la phénoménologie de Husserl. Ce débat est, du reste, très technique. Il repose sur une discussion des procédés husserliens de généralisation et de formalisation — la généralisation consistant à inscrire un objet dans la hiérarchie des espèces et des gens qui le subsument, la formalisation supposant au contraire de faire abstraction du contenu de l’objet (donc aussi de sa hiérarchie spécifico-générique), afin de ne retenir que la forme logique qui structure son objectivité. Dans la perspective de Husserl, cette forme rend compte du mode selon lequel l’objet apparaît à la conscience. En tant qu’expression du mode de conscience, elle est ainsi le lieu même de l’analyse phénoménologique, du moins telle que les Recherches logiques la définissent. Or c’est elle — la forme — que Heidegger estime nécessaire d’assortir d’un dispositif méthodologique bien particulier : le dispositif indicatif. Si la forme ne renvoie pas indicativement à la chose dont elle est la forme, elle encourt en effet le risque d’être elle-même tenue pour une chose, et ainsi de faire écran au phénomène qu’elle était initialement censée éclairer. Ce débat avec Husserl, Theodor Kisiel se bornait à en restituer les termes. Mais pourquoi un tel débat ? Quelle en est la portée ? Le commentateur américain n’apportait pas de réponse claire à la question du sens et des enjeux de l’indication formelle. C’est à cette importante question que répondent plusieurs sections de L’inquiétude de la pensée — en particulier la section intitulée « Anticipation et indication formelle » (p. 203 sq.), où Sophie-Jan Arrien, en s’appuyant en outre sur les Remarques sur Jaspers de 1919-1921, montre dans quelle mesure l’indication formelle constitue une tentative de repenser le statut des concepts philosophiques. Heidegger attribue en effet à ces concepts le statut de formes — et en ce sens, philosopher, c’est d’abord retenir la forme des phénomènes. L’indication formelle consiste dès lors à renvoyer les formes aux phénomènes dont elles proviennent, et auxquelles d’autres phénomènes pourraient, notamment en raison du poids de la tradition qui pèsent sur leur élaboration conceptuelle, mais dont la destruction a vocation à les délester, venir se substituer. Aussi Sophie-Jan Arrien peut-elle conclure (p. 210) : Reste alors une importante question — et c’est sur elle que nous souhaiterions faire porter ici le débat : comment s’opère le renvoi de la forme à ce dont elle est la forme ? Autrement dit, comment les concepts philosophiques parviennent-ils à atteindre les phénomènes qu’ils indiquent ? Theodor Kisiel avait bien noté, en son temps, un lien entre le concept d’indication formelle et les analyses des épîtres pauliniennes qui, dans le cours du semestre d’hiver 1920-1921, succédaient à cet exposé méthodologique. On sait en effet qu’au milieu de ces analyses extrêmement techniques, des étudiants étaient allés se plaindre auprès du Doyen de la Faculté de n’entendre parler que de méthode phénoménologique dans un cours qui était pourtant censé porter sur la philosophie de la religion. Voici en quels termes T. Kisiel commente cet épisode : Le commentateur américain fait ici allusion …

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